Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique.

Cyril, revenons d’abord sur la dernière étape du Tour de France et la défaite de Mark Cavendish sur les Champs-Élysées où il était invaincu depuis 2009. 
Plus qu’une défaite de Mark Cavendish, je vois avant tout cela comme une victoire de Marcel Kittel. Les Argos-Shimano ont su prendre le dessus, se placer idéalement avant les derniers virages. Marcel Kittel lance son sprint à 250 mètres de la ligne, vraiment en puissance. Il a pris un mètre ou deux à André Greipel qui était dans la roue. Lui et Cavendish sont revenus, mais pas suffisamment pour sauter Kittel. En tout cas, on a eu un superbe sprint. Marcel Kittel était vraiment trop fort. Il l’a gagné en puissance. Ces trois autres sprints, il les a remportés en revenant de derrière et en sautant les autres sur la fin. À Paris, il lance lui même et termine seul devant.

Pourtant, Marcel Kittel avait perdu son poisson-pilote Tom Veelers…
Il a été livré à lui même. Greipel a lui aussi perdu un des ses équipiers dans le dernier tour sur crevaison. Il lui a fallu réorganiser le train. Seul Mark Cavendish pouvait compter sur son train habituel. Omega Pharma-Quick Step avait pris le dessus à 1 kilomètre de l’arrivée, mais a été débordée dans les dernières courbes. Le placement sur ce sprint sur les Champs-Élysées est vraiment important.

Comment compareriez-vous la 100ème édition avec le Tour du centenaire en 2003 ?
On avait vécu le centenaire de façon assez « normale ». Mais la 100ème a vraiment été marquée par son parcours : un départ inédit en Corse, des profils assez difficiles. On a eu un Tour de France très dur avec les trois derniers jours dans les Alpes, chose dont on n’avait pas l’habitude. Cette 100ème est aussi marquée par des paysages féériques et une cérémonie protocolaire finale avec une mise en scène phénoménale sur l’Arc du Triomphe. On était proches des Jeux Olympiques.

L’une des belles découvertes de cette édition, c’est le Semnoz, escaladé la veille de l’arrivée. 
C’est toujours dur pour le coureur de se dire que les choses peuvent encore bouger la veille de l’arrivée du Tour. Pour le suspense, c’est encore mieux pour nous spectateurs. On l’a vu, le podium s’est défini à 4 kilomètres de l’arrivée au Semnoz.

Chris Froome a 27 ans, est-il parti pour un long bail sur le Tour de France ?
C’est ce que l’on dit souvent quand un jeune coureur remporte le Tour de France, mais il y a toujours des jeunes pousses qui vont arriver, des coureurs que l’on ne connaît pas. D’autres qui vont se révéler. Cette année, dans les quinze premiers on a cinq coureurs qui faisaient leurs premiers pas sur le Tour. Ces coureurs-là vont s’aguerrir, vont confirmer et, à un moment ou à un autre, vont créer la surprise. Même si Chris Froome a suffisamment dominé ce Tour pour se dire qu’il sera encore le grand favori l’an prochain.

Qui vous a déçu ?
Une des déceptions, c’est Thibaut Pinot parce qu’il n’a même pas pu livrer bataille. Il est passé complètement à côté de son Tour et on lui souhaite tout le meilleur pour revenir. Alberto Contador est une semi-déception, car il s’est tout de même battu. Mais il termine tout de même 4ème alors qu’il venait pour gagner. La grosse déception de ce Tour de France, c’est Cadel Evans, mais aussi Tejay Van Garderen.

À l’opposé, qui a réussi son Tour de France ? 
Je dirai Ag2r La Mondiale dans sa globalité. Romain Bardet vient illuminer le cyclisme français. D’une certaine façon, c’est le renouveau du cyclisme tricolore même si cela fait quelques années que les Français sont sur le devant sur le Tour. Ça a été dur cette année, mais le cyclisme français était présent. Ag2r La Mondiale l’a prouvé. Elle termine 2ème du classement par équipes, ce qui n’était pas arrivé depuis bon nombre d’années pour une équipe française. On peut aussi parler de Nairo-Alexander Quintana qui est la grande révélation de ce Tour de France.

Nairo Quintana a doublé cette année maillot blanc et maillot à pois, c’est un configuration qui s’est rarement produite…
Je trouve que c’est une bonne chose de voir que le classement de la montagne récompense réellement le meilleur grimpeur avec des points doublés au sommet. J’ai par exemple des souvenirs de Lucho Herrera avec ce maillot à pois. On doit attribuer beaucoup de points sur les ascensions les plus dures et très peu de points les petites ascensions pour que ce classement récompense réellement le meilleur grimpeur. Si on veut donner la possibilité aux grimpeurs qui ne jouent pas le général de s’exprimer, il faudrait peut-être n’accorder qu’un nombre de points bonus lors des arrivées au sommet, et non pas doubler les points comme ce fut le cas cette année. Si les points ne sont pas doublés lors des arrivées en altitude, Pierre Rolland peut ramener le maillot à pois à Paris. C’est cet aspect-là qu’il faudrait peut-être revoir. En revanche on doit continuer d’accorder plus de points sur les difficultés de 1ère catégorie et hors catégorie. Même si ça me faisait plaisir de voir Thomas Voeckler avec ce maillot l’an dernier puisqu’il s’était battu pour l’avoir, mais aussi Anthony Charteau en 2010 qui était allé le chercher en fin de Tour en se lançant dans de grands raids.

Le Team Sky termine le Tour à sept, êtes-vous favorable à une réduction du nombre de coureurs par équipe ?
C’est quelque chose qui pourrait animer le Tour, c’est vrai, mais cela peut aussi être dangereux. Prenez l’exemple d’Ag2r La Mondiale qui laisse deux coureurs sur chute : Maxime Bouet en début de Tour et Jean-Christophe Péraud à Chorges. S’ils partent à sept, cela veut dire qu’ils se retrouvent à cinq, et dans ces conditions, on ne peut plus rien faire. C’est sympa pour animer, mais il y a toujours ce risque de chutes sur le Tour de Frane et si vous ne partez pas avec neuf coureurs, vous pouvez rapidement vous retrouver dans une position qui ne vous permet pas de défendre un maillot.

Quelles sont vos attentes pour la 101ème édition en 2014 ? 
Maintenant que je ne suis plus sur le vélo, un Tour de France comme celui de cette année me plairait. Il était super bien dessiné. Il est bon aussi de voir qu’il peut se passer beaucoup de choses dans des étapes de plat. Pour cela, il faut qu’il y ait du vent, qu’il soit bien placé et que les coureurs se décident à faire la course. Le profil de cette année était sympa. J’ai confiance en l’équipe qui sera reprise par Thierry Gouvenou pour nous dessiner un magnifique Tour de France.

Cette année, le Tour était 100 % français. L’an prochain, il partira de Leeds et pourrait passer par la Belgique, êtes-vous favorable aux passages du Tour à l’étranger ? 
Le Tour de France est un événement international. L’évènement grandit d’année en année. Il a besoin de s’émanciper et d’élargir ses frontières. Le cœur du Tour doit rester la France, mais la mondialisation fait que le Tour doit savoir s’expatrier.

Vous avez vécu ce Tour de France comme consultant à la RTBF. Quel est votre sentiment ? 
C’est une super expérience, très enrichissante. On apprend beaucoup de choses. J’ai pris énormément de plaisir. On a eu beaucoup de retours très positifs, ce qui est toujours encourageant. Mais mon rôle de consultant prend toute sa valeur aux côtés de Rodrigo Beenkens. Je peux travailler avec un super journaliste qui me laisse dans un rôle d’analyse. C’est là où je prends le plus de plaisir. C’est une expérience qui devrait être renouvelée. Je vais maintenant me lancer avec la RTBF dans les classiques, même si j’avais fait Paris-Roubaix et la Flèche Wallonne cette année. L’an prochain, je ferai six classiques et probablement le Tour de France pour les deux ou trois prochaines années.