Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique.

Cyril, quatre équipes s’arrêteront en fin de saison. Est-ce selon vous quelque chose de ponctuel, ou êtes-vous inquiet à long terme ?
En tout cas je souhaite que ce ne soit que ponctuel. C’est relativement cyclique : il y a des années qui sont toujours un peu plus difficiles. Cette année le cyclisme mondial ressent une pression particulière. Des équipes auraient pu se créer et ne se sont finalement pas faites. Je ne pense pas que l’on soit sur une tendance à long terme, il faut que les choses se repositionnent. Il y avait quelques opportunités pour retrouver des co-sponsors, mais ils étaient un peu frileux pour 2014, mais il y a certains projets sur 2015.

Cela veut-il dire que vous êtes plus optimiste pour la prochaine inter-saison ?
Je reste optimiste quoiqu’il arrive pour l’avenir du vélo. C’est un sport qui plaît et qui intéresse beaucoup de monde. Trouver des partenaires est compliqué, mais si on regarde les études marketing faites sur le vélo, on voit que le retour sur investissement dans une équipe pro est toujours très intéressant. Il y a certes la condition de faire le Tour de France qui est importante, mais les sommes allouées par les partenaires restent raisonnables pour les retours qu’ils peuvent avoir. Il faut aussi souligner que l’on reste dans le domaine du sport et que l’on peut tomber sur une année où l’équipe ne marche pas très bien.

Dans ces moments-là, on parle beaucoup des coureurs, mais beaucoup moins du staff…
C’est compliqué pour tout le monde et c’est aussi très compliqué pour le staff. Ils sont souvent déjà bien en place et quand une équipe ferme, un membre du staff ne peut pas argumenter sur ses résultats ou ses performances. C’est le relationnel qui va jouer, et les places qui peuvent se libérer. Mais c’est effectivement très compliqué pour le staff technique de retrouver une équipe.

En France, on pense particulièrement à Sojasun, selon vous, quel pourcentage de l’effectif actuel peut retrouver une formation l’an prochain ?
Il y en a déjà une petite dizaine qui a retrouvé une équipe, tant mieux. Malheureusement, il n’y aura pas de place pour tout le monde. Il y a 23 coureurs à recaser et les 23 ne retrouveront pas d’équipes. Ceux qui ont fait la meilleure saison et/ou qui ont fait le Tour de France vont trouver un refuge. Pour ceux qui ont connu une année plus difficile, tout dépendra de leurs affinités ou de leurs projets d’avenir. Les jeunes coureurs qui ont beaucoup d’ambitions auront plus de facilité que les coureurs qui sont en fin de carrière pour qui ce sera plus compliqué. Ceux-là devront faire un choix de carrière : arrêter ou continuer dans le vélo. C’est un choix qui leur appartient. Ils doivent prendre un peu de temps pour réfléchir et analyser la saison : ce qui a fait qu’ils ont ou n’ont pas marché, ce qui fait qu’ils ont envie ou non de continuer… Pour prendre la meilleure décision ensuite.

Peut-on y voir un « bon côté des choses »  en se disant que le niveau des équipes françaises n’en sera que plus relevé ?
Quand on a que cinq équipes, ce n’est qu’au bénéfice des meilleurs. Mais en avoir plus permettrait de donner une chance aux jeunes coureurs qui passent pro dans de petites formations. Quand je suis passé chez Aubervilliers, c’était une petite équipe, mais cela m’a permis de découvrir le Tour et de gagner une étape. Réduire le nombre d’équipes pros veut dire que seuls les meilleurs peuvent y passer. En revanche avoir une ou deux équipes à l’échelon continental serait une bonne chose pour le cyclisme, car cela permettrait aux jeunes coureurs de s’émanciper, de découvrir le monde professionnel avant de se diriger vers une équipe WorldTour. Si on a huit équipes et qu’elles peuvent toutes vivre, c’est parfait. Même si Sojasun arrête on va retrouver suffisamment d’équipes françaises. On en avait six cette année, cinq l’année prochaine. C’est encore correct. Mais on ne devrait pas descendre en dessous de cinq.

Passer quelques années chez les amateurs peut-il être une solution et leur permettre d’arrêter en douceur ?
Je ne pense pas que ce soit une solution. Cela ne fait que repousser l’arrêt de carrière. Cela a pour avantage de continuer à faire du vélo et de continuer à évoluer dans un environnement qui plaît. Ce métier n’est pas le plus désagréable. Certes, on perd beaucoup en salaire, et on est souvent en déplacement. Mais ce n’est pas la solution la plus pérenne. Quand on opte pour cette solution, on sait qu’elle ne pourra durer que pour deux ou trois ans. Car tôt ou tard, cette question se posera ! Parfois, il est plus simple de travailler son après-carrière quand on a été coureur pro. On décide d’arrêter et on a des choses à mettre en avant. On peut dire que l’on a été sportif de haut-niveau, coureur professionnel. On trouve des solutions pour avoir une reconversion bien construite, avec des projets d’avenir.

Le probable passage du Team Europcar en WorldTour n’est-il pas un cadeau du ciel pour les coureurs de Sojasun ?
Si Europcar libère des places, ce ne sera jamais que quatre ou cinq. Quoiqu’il arrive, ils ne prendront pas cinq coureurs de Sojasun. Ils ont de très bons coureurs dans leur réserve avec le Vendée U. Ils sont également attentifs à certains coureurs dans d’autres équipes ou même des coureurs à points. Ceux qui ont fait la meilleure saison chez Sojasun vont sans doute retrouver rapidement une équipe. Les autres sont maintenant dans une situation où ils doivent se poser les bonnes questions. Si Europcar prend deux coureurs de Sojasun, ce sera déjà pas mal.

Comment peuvent rebondir les autres ?
Certains devront se poser les bonnes questions, d’autres redescendront peut-être chez les amateurs. Prenons l’exemple d’un coureur de 21 ans pour qui 2013 était la première année pro. Il peut très bien redescendre chez les amateurs pendant un an et viser les plus belles courses. C’est ce qu’avait fait Pascal Chanteur à l’époque. Il était passé pro en 1991 chez Toshiba, était redescendu chez les amateurs l’année suivante à Créteil et avait remporté les plus grandes courses du calendrier. Cela lui avait permis de repasser pro chez Chazal, la première équipe de Vincent Lavenu avec la carrière qu’on lui connaît. À un âge, il faut savoir prendre des décisions et réorienter sa carrière. Mais c’est très difficile à 27-28 ans de redescendre chez les amateurs en espérant rebondir.

Un coureur en recherche d’un contrat appelle-t-il directement les managers des équipes ?
La plupart du temps, oui, ça se passe comme cela. On fait parler le relationnel, c’est un monde où tout le monde se connaît. En règle générale, le coureur appelle le manager de l’équipe en lui offrant ses services. En revanche, quand le manager vient vous voir, c’est bien plus simple puisqu’il montre qu’il a une réelle envie de vous embaucher. On peut aussi avoir un leader qui explique vouloir un coureur à ses côtés, car c’est un coureur en qui il a confiance. Les équipes peuvent alors arrondir leurs budgets pour obtenir ce coureur-là et combler le besoin ressenti par le leader de l’équipe.

Il y a aussi la possibilité d’avoir un manager…
Il en existe dans le monde du vélo, effectivement, mais, en France, il n’y en a qu’un, c’est Michel Gros. Il ne peut pas placer ses soixante coureurs. En revanche, il va avoir cette capacité relationnelle, à mener les négociations de manière différente. Il peut aussi vous conseiller, vous orienter vers un projet. Il peut vous pousser à vous diriger vers une équipe, car il juge que c’est celle-ci qui va le mieux vous convenir. Dans la situation actuelle, il va essayer tant bien que mal de caser ses coureurs. Mais s’il n’y a pas de budget….