Pouvons-tu nous rappeler les grandes lignes de ta carrière professionnelle ?

Je suis passé pro en 1996 dans l’équipe Saeco, l’une des plus grandes équipes au monde. J’ai fait 3 ans avec Cipollini et là, ça a vraiment été les meilleures années de ma carrière. Je n’ai pas été pistonné, j’ai envoyé un dossier, on m’a rappelé et je suis passé pro. Dès ma deuxième année chez les pros, j’ai participé au Giro d’Italia, j’étais le seul étranger et on a gagné le Giro avec Gotti et là c’était vraiment des moments magiques.

Après ces 3 ans chez Saeco, je suis parti chez Festina une année. En fin de saison, j’ai appris qu’on ne me gardait pas donc ca a été assez difficile. J’ai rebondi et je suis allé chez Kia-Villiger en troisième division où j’ai réappris à gagner des courses.

Ensuite, je suis rentré chez Phonak jusqu’en 2006. Puis, j’ai signé un contrat de deux ans mais l’équipe s’est arrêtée. Je rebondis à nouveau et j’arrive chez BMC où j’avais monté un projet avec mon manager et ami, David Chassot. Je n’avais pas envie d’arrêter ma carrière comme ça donc je leur ai proposé de faire du VTT pour eux et ils m’ont mis aussi sur des courses sur route en Amérique. L’équipe sur route débutait et a bien grandi, sacré aventure, c’était très sympa. J’ai fait ça jusqu’en 2010 et j’ai vécu l’arrivée de Cadel Evans.

Ensuite de 2010 à 2012, je n’ai fait que du VTT, principalement le Marathon. Cela a très bien fonctionné car j’ai pu gagner beaucoup de courses en Suisse. J’ai été Champion de Suisse marathon et Champion de Suisse de la montagne.

Dans ma carrière, j’ai également été champion de Suisse sur route, 2ème et 3ème aux championnats de Suisse cyclo-cross. J’ai gagné une étape au Tour de Suisse, j’ai gagné une étape au Tour de Romandie et j’y ai porté le maillot jaune, j’ai gagné le Giro de Mendrisiotto… C’était mes grands moments.

As-tu plus anticipé ta fin de carrière plus que tu l’as subi ?

Non, je ne l’ai pas du tout anticipé car je venais de signer mon contrat de 2 ans et cela s’est arrêté brutalement. Ceci dit, cela ne m’a pas gêné car j’ai quand même pu continuer ma passion. J’ai eu cette chance de rebondir vers le milieu du VTT que j’ai toujours bien aimé. J’ai pu faire moitié VTT moitié avec cette nouvelle équipe BMC sur route. J’ai fini en beauté ma dernière année et c’était le moment d’arrêter, c’était idéal.

Penses-tu que ta polyvalence aussi bien sur route que sur cyclo cross t’a aidé pour cette transition ?

Oui, c’est clair, cela m’a sauvé ! Cette compétence m’a aidé et mon amitié avec le patron m’a beaucoup aidé également, j’étais un peu son « chouchou ». On avait de grandes affinités et cela m’a aidé pour cette réinsertion dans le VTT et pour la création de cette équipe sur route en Amérique.

J’en ai déjà beaucoup discuté avec d’autres sportifs. La réinsertion n’est jamais facile. On m’avait dit « mais qu’est ce que tu fais à aller dans le VTT ! ». Là, à l’heure actuelle, cela fait plusieurs années que j’ai arrêté ma carrière, et pour moi, ma réinsertion n’est pas encore faite.

On imagine souvent que les grands champions comme toi n’auront pas de mal à rentrer dans le monde des médias, dans l’industrie du cycle au niveau technique ou de la commerce, y as-tu déjà pensé ?

Je ne sais pas. J’ai toujours été proche de mes terres, c’est aussi ce qui m’a sauvé. Je n’ai jamais été un très grand champion, j’étais un coureur moyen disons donc ce n’est pas la même reconversion que pour un coureur qui aurait eu une très grande carrière. J’ai eu 16 ans chez les pros mais ce n’est pas facile. En revanche, je ne doute pas de moi-même, je sais que d’ici 1 à 3 ans cela va s’arrêter avec l’équipe VTT, mais ce n’est pas grave, je rebondirai ailleurs !

On parlait de Mario Cipollini tout à l’heure ou de Eddy Merckx, as-tu des modèles de reconversions de coureurs qui t’ont marqué ?

Cela m’est difficile de citer un nom. Par contre, on voit beaucoup d’anciens sportifs, que ce soit dans le vélo ou ailleurs, qui finissent mal leur carrière. Ils dilapident leurs économies et finissent plus bas que terre. Certains petits coureurs ont très très bien réussis leur reconversion, parfois mieux que des grands coureurs. Il faut savoir où se vendre, avoir le sens de la communication, savoir vendre un produit. Certains ne savent pas quoi faire, cela part de travers et tout s’écroule.

Aujourd’hui, tu coaches en tant que team manager de l’équipe BMC Racing, tu coaches un double champion olympique avec un palmarès plus grand que le tiens, tu coaches une équipe numéro 1 mondiale cette année, quelle qualité ou compétence mets-tu en avant pour y parvenir et manager ?

Je suis quelqu’un qui connait très bien ses qualités et ses défauts. J’arrive à analyser très vite les situations, je suis humain et très proche de l’athlète. J’arrive à bien ressentir les choses et j’ai un très bon feeling. C’est un tout, il faut savoir contrôler ses émotions mais aussi parfois savoir faire preuve de psychologie.

Je fais les repérages et je sais parler aux pilotes en fonction de ce que j’ai ressenti. J’ai vite compris comment cela fonctionnait d’un point de vue tactique. Je pense que j’ai assez vite gagné la confiance des pilotes de mountain bike dans un team qui étant grand avec beaucoup de bons coureurs. Je me trompe assez rarement. Ils sont suffisamment bons pour décider eux-mêmes de la trace qu’ils vont suivre. Mon rôle est plutôt dans la motivation et la mise en confiance. C’est aussi intéressant de leur donner un autre point de vue, différent du leur. C’est compliqué de savoir ce qu’il faut leur dire, pas dire, mettre en relief, analyser, comment gérer l’épreuve, être dans le groupe, se positionner dans les virages…

Peux-tu imaginer coacher une équipe mountain bike féminine un jour ?

Oui bien sur, ce serait très intéressant ! Tout est intéressant dans le mountain bike, quels que soient les athlètes que tu coaches, hommes ou femmes.

En France, avec Pascal Chanteur, il y a des aides à la reconversion avec l’Union Nationale des Cyclistes et des bilans de compétences. Aurais-tu aimé bénéficier de ce genre de programme en Suisse ?

Oui, en fait, j’en ai bénéficié avant l’arrêt de ma carrière. C’était sur plusieurs années et c’était très intéressant car on apprend à mieux se connaitre, on fait des tests. Ce genre de programme a vraiment du bon car quand on arrête sa carrière, si on n’a pas les pieds sur terre, on est très vite à la dérive…

 

Mathilde Duriez