Nicolas, pourriez-vous rappeler à nos lecteurs les grandes lignes de votre carrière…
Je suis passé professionnel en 1999 dans l’équipe Saint-Quentin-Oktos-MBK dirigée par Martial Gayant. L’année suivante je suis parti à la Française des Jeux, donc de 2000 à 2004, avant de passer deux ans chez Saunier Duval-Prodir. Fin 2006, j’ai arrêté ma carrière professionnelle et j’ai repris du plaisir dans les rangs amateurs au sein de l’AVC Aix-en-Provence de 2007 à juin 2008.

Cette fin de carrière, l’avez-vous davantage subie ou anticipée ?
Je l’ai subie à la fin de mon contrat à Saunier Duval-Prodir. En 2006 j’avais à peine 28 ans, c’était encore jeune pour arrêter une carrière. J’avais encore de nombreuses années pour moi, en tout cas potentiellement sur le plan physique. C’est d’ailleurs pour cela que je suis parti à Aix-en-Provence, afin de pouvoir faire du vélo et d’arrêter quand j’en aurais vraiment envie. J’ai fait l’année 2007 chez les amateurs en espérant repasser professionnel. J’ai vraiment fait une belle année, c’est la saison où j’ai le mieux marché. Mais j’ai décidé d’arrêter en milieu d’année 2008. Cette fois c’était vraiment réfléchi. Je pense que c’est très important de choisir délibérément la fin de sa carrière, même si le choix est intervenu chez les amateurs et non chez les pros.

Comment expliquez-vous cette fin de carrière prématurée chez les professionnels en 2006 ?
J’ai fait une mauvaise année tout simplement. J’ai eu beaucoup de problèmes cette année-là : je suis tombé malade, j’ai eu la varicelle, j’ai chuté… Vraiment, tout s’est passé à l’envers pour moi. C’est la loi du sport du haut niveau. L’année précédente, en 2005, je finis pourtant 15ème du Critérium du Dauphiné, j’arrive 9ème en haut du Ventoux, j’ai marché en Espagne. Mais dans le sport on oublie vite. Après, je sais que j’ai aussi des défauts : je frottais mal, je descendais mal… Malgré tout je pense que j’aurais encore pu faire de belles choses si j’avais continué comme professionnel. Mais fin 2006 je n’étais pas dans un bon état d’esprit, je n’avais pas d’agent non plus pour me vendre. Et c’est difficile de se vendre soi-même lorsque l’on ne va pas très bien. Je ne dégageais pas une grosse motivation et forcément ce n’est pas très vendeur auprès des équipes.

En juin 2008, vous décidez d’en rester là avec la compétition. Comment avez-vous rebondi ?
J’ai directement entamé un BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport) pour devenir professeur de sport, non pas en école, mais en coaching de musculation. Et à partir de là je suis rentré chez ESP Consulting à Aix-en-Provence puis aujourd’hui chez Fitnext, donc je me suis reconverti assez rapidement dans la préparation physique. C’est un domaine qui me plaisait beaucoup. Avant de faire du vélo, je voulais faire médecin du sport ! Mais ça c’est quand même plus compliqué ! Donc je suis finalement retombé là-dessus : la préparation physique, l’entraînement… Je m’en suis bien sorti par rapport à un certain nombre de cyclistes qui peuvent éprouver des difficultés.

Que faisiez-vous concrètement chez ESP Consulting ?
De l’entraînement de terrain. C’était une grosse entreprise, médicalisée, dans laquelle on faisait des tests à l’effort. On s’occupait de l’équipe de handball d’Aix-en-Provence, des basketteuses, de pas mal de cyclistes, de triathlètes. C’était vraiment une approche sur le terrain. Désormais je travaille chez Fitnext, une boîte de coaching en ligne sur Paris. Je suis donc remonté sur la capitale. Là, c’est différent, on est à distance et on est axé grand public et non plus sportif de haut niveau.

Avez-vous eu besoin de formation spécifique pour travailler dans une entreprise de préparation scientifique comme c’était le cas à ESP Consulting ?
Ma carrière de cycliste m’a beaucoup aidé pour ça. J’ai acheté mon premier SRM en 2002. On était très peu à en avoir d’ailleurs, ça coûtait un mois de salaire à cette époque, c’était un sacré investissement. Mais c’est pourquoi ça faisait un petit moment que je connaissais et maîtrisais la notion de puissance. La préparation « scientifique » m’a toujours passionné et ça me passionne toujours. Ce qui est paradoxal c’est que je suis content que cette méthode de travail se popularise mais il ne faut pas non plus que ça parte vers l’extrême. On est encore loin d’être scientifiques dans le cyclisme. Les méthodes empiriques restent prégnantes et il y en a qui marchent. Il ne faut pas que les scientifiques renient ce qui marche. Et à l’inverse, les personnes trop empiriques se passent trop souvent de ce qui peut les aider à s’améliorer à l’entraînement. Il faut trouver un juste milieu et je pense avoir maintenant une bonne vision de ce que doit être l’entraînement. Je ne suis pas entraîneur mais je comprends certaines choses.

Aujourd’hui, au sein de Fitnext, vous n’êtes pas le seul ancien cycliste professionnel…
Fitnext s’est vraiment construite par d’anciens cyclistes professionnels puisque c’est Erwann Menthéour qui a fondé cette entreprise. Florent Brard y a travaillé aussi.

Votre clientèle reste-t-elle tout public ou y a-t-il une vraie spécialisation dans le cyclisme du fait des personnes qui constituent cette société ?
Oui, notre clientèle est vraiment grand public. C’est par exemple une femme qui veut perdre du poids, tout simplement. Il y a évidemment une partie sport, mais nous ne sommes pas dans le sport de haut niveau. Il y a des projets néanmoins pour développer une partie « haut niveau » axée autour de la course à pied, du vélo et du triathlon. Ça se fera petit à petit. Mais c’est vrai qu’Erwann, Florent et moi avons ça dans notre ADN ! Et puis c’est un secteur qui se développe, qui draine beaucoup de monde. On voit qu’il y a des événements sportifs qui rassemblent beaucoup de monde, les marathons, les cyclosportives… Le but serait de suivre progressivement cette dynamique et d’y apporter nos connaissances pour aider les sportifs.

Avez-vous bénéficié de programmes de reconversion en 2008 ?
Il existe un certain nombre de choses aujourd’hui, notamment via l’UNCP (l’Union Nationale des Cyclistes Professionnels) et Pascal Chanteur, son président. En ce qui me concerne, c’était un peu plus vieux et il y avait moins de choses. Mais il existe aussi pas mal de choses dont nous ne sommes pas au courant, notamment par rapport aux Assedic. Quand on est embauché dans une équipe professionnelle, on est d’ailleurs salarié et on dispose donc de Droit Individuel à la Formation (DIF). Mais on est rarement au courant de tout ça, de toutes les aides qui existent.

On sait que vous êtes un observateur aguerri du cyclisme et vous passez bien dans les médias, vos analyses sur les réseaux sociaux trouvent un certain écho. Auriez-vous aimé trouver une piste de reconversion dans le milieu médiatique ?
Pas forcément en fait. Déjà, quand j’ai quitté le monde pro et amateur, j’ai un peu lâché le vélo, je le suivais un peu moins. Je m’y suis replongé en m’occupant de certains coureurs. Et puis, ça va peut-être paraître prétentieux, mais il y a beaucoup de points que l’on peut améliorer, même si de l’extérieur tout paraît plus beau dans le vélo : les vélos n’ont jamais été aussi bons, les bus sont magnifiques… C’est ce décalage qui m’a donné envie de me réinvestir dans le vélo avec Clément Gourdin, qui est agent de coureurs. Moi, je ne suis pas agent, je tiens à le préciser ! Du coup je n’ai pas eu envie de devenir consultant dans les médias, j’ai pu faire quelques interventions chez beIn Sports et c’était intéressant, mais j’avais surtout envie de construire des choses au quotidien, de ne pas seulement être observateur mais plutôt acteur. Même si les deux côtés sont très bien ! Alors c’est vrai qu’on ne voit pas trop ce que je fais, on connaît plutôt ce que je peux dire, comme le dit Patrick Chassé je suis un « trublion du net ». Mais j’espère que tout ce que je construis dans l’ombre va porter ses fruits.

Vous avez évoqué les bus flambant neufs, l’évolution du matériel… Cette avancée technologique vous fait-elle envie ?
Là où j’envie les professionnels aujourd’hui, c’est parce qu’ils peuvent pratiquer leur sport dans un contexte bien plus favorable pour performer quand on est un jeune Français. Ils ont la possibilité d’avoir des résultats ! Il y a et il y aura toujours des doutes, on va parler rapidement du dopage c’est évident. A l’époque, la pratique dopante devait concerner 90 % du peloton. Si ça pouvait être l’inverse aujourd’hui ?! En tout cas on va dans la bonne direction, c’est sûr. Tout n’est pas parfait, c’est d’ailleurs ce qui me chagrine, parce que l’on n’insiste pas assez sur le fait que l’on va dans la bonne direction. Pour les autres avancées, certes il y a une évolution technologique, mais ça reste toujours du vélo ! Par contre c’est devenu plus professionnel sur le plan médiatique. Les coureurs sont encore assez timides néanmoins sur les réseaux sociaux. Ils ne s’expriment pas trop mais c’est justement parce que la communication devient de plus en plus pro et cadrée. Si un coureur dit une connerie, c’est sûr qu’on ne va pas le louper.

On vous sait actif sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, auriez-vous aimé évoluer comme cycliste professionnel dans un environnement où la parole est peut-être plus libre, plus personnelle ?
Je trouve que c’est une chance de pouvoir exprimer son point de vue. Certains coureurs le font très bien d’ailleurs. Mais encore une fois ce n’est pas évident, surtout que l’on n’est absolument pas formé à tout ça. On critique systématiquement les footballeurs pour leurs déclarations ou je ne sais quoi, mais il ne faut pas oublier que la plupart ont 20 ans et n’ont pas forcément de recul. J’ai 38 ans aujourd’hui, j’ai fait autre chose depuis ma carrière, j’ai du recul, je peux aider certains, et c’est une partie de mon boulot, à expliquer ce qu’il faut voir ou dire. On ne peut pas se permettre de tout dire.

Il faut avoir une légitimité ?
Oui, il faut être légitime. Comment va passer la déclaration dans son équipe ? Dans le monde du vélo ? Est-ce que ça ne va pas te griller ? Et pourtant c’est paradoxal car je suis le premier à parler assez ouvertement… Quoi que je me contienne par rapport à mon travail quand même. Sinon j’en dirais davantage !

Avec quels cyclistes ou sportifs travaillez-vous aujourd’hui ?
On travaille avec beaucoup de jeunes. Au début on s’est un peu éparpillé, puis après on s’est concentré sur un seul domaine, d’autant plus qu’en France on a la chance d’avoir un excellent vivier de jeunes sportifs. On a par exemple contribué à ce que Rémi Cavagna signe chez Etixx-Klein Constantia, ce qui à l’époque n’a pas forcément été bien compris par tout le monde. Et aujourd’hui il passe chez Quick-Step Floors, et tout le monde trouve que c’est super. On travaille aussi avec Matthias Le Turnier, qui a signé chez Cofidis. Avec également Clément Bétouigt-Suire, qui n’est que Junior, mais qui a signé dans l’équipe Sunweb-Giant Development Team. Ensuite il y a certains noms que l’on ne peut pas citer mais on a un bon petit vivier, que ce soit chez les amateurs, les étrangers avec par exemple le champion norvégien qui était Maillot Jaune sur le Tour de l’Avenir Amund Jansen. On a aussi sept ou huit coureurs anglo-saxons que l’on a fait intégrer dans des équipes amateurs françaises : CC Etupes etc. En France on a la chance d’avoir un calendrier amateur dense et de bonne qualité. Et ça les coureurs anglo-saxons l’ont compris. Ils ont un gros potentiel, n’en déplaise à ce que peuvent penser certaines personnes, et ils veulent l’exploiter sur le calendrier français. Et il faut l’accepter. De toute façon, le cyclisme est aujourd’hui mondial. Le problème c’est quand l’UCI anglo-saxonne a tendance à vouloir écraser un monde qui existait bien avant elle. Il ne faut pas que la modernité l’emporte sur la tradition.