Jean-François, avant d’occuper les fonctions qui ont été les vôtres chez Amaury Sport Organisation, vous avez entamé une carrière chez les pros…
J’ai en effet commencé le vélo en 1968 dans la catégorie des Cadets avec un petit club en Seine-et-Marne. Ensuite, j’ai rejoint l’ACBB jusqu’en 1975 puis je suis passé professionnel en 1976 dans l’équipe Jobo-Wolber-La France. J’ai mis un terme à ma carrière en 1981 à La Redoute parce que l’on me proposait de rentrer dans la Société du Tour de France.

Vous avez donc mis fin à votre carrière parce qu’un job en or vous était proposé ?
Tout à fait. J’étais alors le représentant des coureurs à la commission des professionnels de l’équipe. Dans cette commission il y avait Félix Lévitan, Albert Bouvet, Antonin Magne et d’autres grosses personnalités du cyclisme. Un jour, Albert Bouvet et Félix Lévitan m’ont pris à la sortie en me disant : « votre profil nous intéresse, est-ce que vous seriez disponible pour venir chez nous ? » Je n’ai pas réfléchi très longtemps, même si je n’avais que 30 ans. J’avais réalisé mon rêve en faisant le Tour de France trois fois sur un vélo. Là, je me retrouvais dans la grande maison du cyclisme, puis j’ai monté les échelons.

Ce poste, il vous a été proposé eu égard à vos fonctions de l’époque ?
Je représentais l’UNCP (Union Nationale des Cyclistes Professionnels) avec André Chalmel. On participait à toutes les réunions et je n’en ai jamais manqué une seule. Cela prenait du temps mais c’était un choix, j’aimais bien tout ce qui tournait autour des règlements. Ils se sont aperçus que je défendais les intérêts du cyclisme avant de défendre les intérêts d’un tel ou d’un tel. C’est ce qui leur a plu et voilà comment je me suis retrouvé à cette place.

Pensiez-vous alors à d’autres possibilités de reconversion ?
Je voulais rester dans le milieu du cyclisme, mais pas dans une équipe parce que cela ne m’intéressait pas. J’aurais peut-être plus été dans l’organisation. J’avais eu des contacts en tant que coureur. J’allais souvent boire un café chez Jean Leulliot qui me disait : « toi, tu m’intéresses, il faudrait que tu reprennes en main Paris-Nice, ce genre de courses ». Quand j’ai arrêté, je venais de signer trois ans de contrat avec La Redoute mais j’avais toujours dit que si je trouvais un métier qui me plaisait je saurais arrêter le vélo.

Déjà, durant votre carrière professionnelle, vous vous étiez attaché à faire évoluer le Tour de France…
J’étais dans la grève à Valence-d’Agen que nous avions faite à cause des transferts, ce qui a participé aux changements des demi-étapes. J’ai connu des Tours de France avec trois demi-étapes dans la journée. Aujourd’hui, il n’y en a plus. Nous avons également fait des recommandations sur l’alimentation, sur l’hébergement. C’est cette évolution là qui a été suivie tout en se mettant du côté des organisateurs avec toutes les contraintes que cela représente. Je pense que l’on a fait évoluer le cyclisme dans le bon sens.

Auriez-vous aimé, à votre époque de coureur, avoir un Jean-François Pescheux en face de vous pour faire évoluer les choses ?
C’est vrai qu’aujourd’hui il y a trois familles qui forment le cyclisme : les groupes sportifs, les coureurs et les organisateurs. Quand on fait ce métier, on appartient à la grande maison mais on ne doit pas défendre que son intérêt personnel. Il faut avoir une vue générale sur le cyclisme. Aujourd’hui, avec les nombreuses commissions, on ne sait pas trop où l’on va. Il n’y a pas une personne emblématique qui représente les coureurs auprès des instances, et c’est de ça dont elles souffrent.

Les coureurs utilisent beaucoup les réseaux sociaux, parfois avec des vidéos, et ils font parfois le travail des télévisions. Pourraient-ils être davantage revendicatifs ?
Oui, mais cela doit se faire dans la bonne intelligence, avec les coureurs et les groupes sportifs. Mais ces derniers ne s’entendent pas entre eux et les coureurs, en fonction des pays, pas forcément non plus. Il ne faut pas tenir compte de l’intérêt des uns et des autres, c’est l’intérêt du cyclisme que l’on doit retenir. S’il pleut à verse, en fonction de la course, le départ sera retardé, une solution sera trouvée. Ou pas. Aujourd’hui on subit toute la pression des réseaux sociaux dès que ça ne va pas. Il est arrivé que des coureurs critiquent les hôtels sur les réseaux, mais lorsque j’arrivais sur place on me disait que tout allait bien…

Ne pensez-vous pas que le peloton d’aujourd’hui manque de personnalités, contrairement à votre époque ?
Aujourd’hui, l’intérêt des équipes et des groupes sportifs passe avant. Ce qui me désole dans le vélo c’est quand j’entends certains coureurs qui disent : « c’est mon directeur sportif qui m’a dit qu’il ne fallait pas attaquer ». C’est triste. Aujourd’hui il y a trop d’intérêts financiers, on joue au gagne-petit et on arrive à un cyclisme complètement sclérosé. Quand je regarde certaines épreuves à la télévision, je regarde combien de kilomètres il reste et je reviens à 10 bornes de l’arrivée parce qu’il ne se passe rien. Par exemple Liège-Bastogne-Liège. Souvent il y a presque vingt coureurs qui arrivent au sprint, même avec un parcours extrêmement difficile. C’est un autre cyclisme et ce n’est pas à cause d’un manque de personnalités.

Enviez-vous les coureurs actuels, qui ont de plus nombreuses opportunités de reconversion ?
Oui, aujourd’hui l’UNCP fait un beau boulot. On avait commencé à faire, à l’époque, de la formation l’hiver mais cela n’intéressait pas les coureurs. Ils étaient plongés dans le cyclisme alors qu’il n’y avait rien en novembre, décembre et janvier. On avait commencé à faire des stages dans la comptabilité ou d’autres reconversions, dans la perspective d’aider. Maintenant, ils ont beaucoup plus de moyens et ils aident énormément les coureurs à se reconvertir. Ce que je reproche aux coureurs, c’est que par exemple personne ne veut être commissaire de course. Pourtant quand on est commissaire on garde un pied dans la course, ce n’est pas être un gendarme, et en plus cela permet de voyager. Il y a des coureurs qui vivent sur de l’acquis. Quand on est coureur, tout va bien. On connaît tout le monde, tout le monde nous connaît, la vie est belle. Quand on arrête le vélo du jour au lendemain parce qu’on a plus d’équipe et plus rien, on continue à courir en amateur, on végète, on va voir les gens qui nous ont proposé du boulot avant et on nous dit : « ah mince, si tu étais venu il y a huit jours, je viens d’embaucher quelqu’un ». Je vois beaucoup d’anciens collègues qui ont souffert.

Que conseilleriez-vous aujourd’hui à un jeune, notamment en matière de poursuite des études ?
Je dis déjà que l’on n’est pas coureur cycliste avant 22-23 ans. Quand je vois des Cadets ou des Juniors, le matériel et les moyens qu’ils ont, ils sont presque professionnels. Le vélo doit être un amusement, un plaisir. On ne doit pas prendre ça comme un boulot. Pour moi il faut privilégier d’abord les études et le vélo vient après. C’est un bon équilibre. En ne faisant que du vélo et juste du vélo, on tombe dans un système d’assistanat et du jour au lendemain on se trouve à la rue. Quand on m’a proposé la place, j’avais le bac, je savais écrire et compter. Cela fait partie de ce que l’on doit savoir.