Dans le monde du vélo, il possède presque le don d’ubiquité. Présents sur tous les terrains et dans tous les domaines, il s’est forgé un CV digne des plus grandes légendes de ce sport. José Miguel Echavarri, directeur sportif de Miguel Indurain, déclarait même à son égard « Il a évolué d’un rôle de sprinteur à un rôle de bon grimpeur, et voilà qu’il s’est transformé en bon rouleur. Je ne sais pas si cela suffira [pour gagner le Tour], mais c’est admirable ». D’abord terreur des emballages finaux, il est devenu caïd des classiques ardennaises, avant de muer en un cador des classements généraux, de finir sa carrière comme ténor des baroudeurs, puis d’en entamer une autre de monstre des Ironmans, ces épreuves herculéennes cumulant des kilomètres de natation, de vélo et de course à pied. Pourtant, si nous traitons son sujet un dimanche, c’est pour mettre en lumière son rôle de consultant pour France Télévision, l’amenant notamment chaque été à commenter durant trois semaines les exploits des coureurs du Tour de France, qu’il alimentait par ses prouesses auparavant. Une façon de boucler la (grande) boucle pour celui qui aurait tout fait et (presque) tout gagné durant sa vie. J’ai nommé Laurent Jalabert.

 

Son Parcours :

Il nous faudrait écrire un roman pour pouvoir décrire et raconter la carrière de « Jaja » de manière exhaustive. Nous allons donc employer la méthode de la facilité et choisir de faire parler les chiffres pour souligner l’immensité de son talent et la grandeur de son palmarès. Car en effet, Laurent Jalabert, c’est tout de même 4 classements UCI, un titre de champion du monde de contre-la-montre, un titre de champion de France, un Tour d’Espagne, 10 classements annexes et 25 étapes de Grands Tours, 6 classiques dont 2 monuments, et surtout la compte absolument ahurissant de 140 victoires professionnelles. Parmi les coureurs cyclistes encore en activité aujourd’hui, seul Mark Cavendish peut se vanter d’avoir levé les bras plus de fois (146 victoires.). Mais personne ne peut se targuer d’avoir une armoire à trophées aussi complète.

Cependant, ces froides considérations statistiques ne peuvent pas à elles seules résumer le coureur que Laurent Jalabert était, ni le personnage qu’il incarnait. Quelque part, le natif de Mazamet était cet homme qui ne s’était jamais laissé enfermer dans la lassitude de la gloire, dans la facilité du triomphe. A chaque fois qu’il parvenait au sommet de sa spécialité, qu’il réussissait à terrasser ses concurrents dans son domaine, il devait se lancer un nouveau défi. La sagesse allant avec l’appétit de découvrir d’autres terrains, c’est ainsi qu’il abandonna progressivement le monde périlleux du sprint en 1994, après une grave chute à Armentières sur le Tour de France 1994. C’est-à-dire qu’il y avait déjà tout gagné, en revêtant notamment en 1992 le maillot vert, graal de tout membre de cette caste des fous de la dernière ligne droite. C’est ainsi de cette même manière qu’il remporta Milan – San-Remo en 1995, avant de jeter son dévolu sur le classement général de la Vuelta, qu’il dévora tel un ogre, en s’accaparant au passage pas moins de 5 étapes. La suite de sa carrière connu le même succès sur les courses par étape d’une semaine, devenues ses proies privilégiées.Laurent Jalabert, vainqueur aérien de la Vuelta 1995Laurent Jalabert, vainqueur aérien de la Vuelta 1995 | © Francetvinfo.fr

Finalement, quand on jette un regard rétrospectif sur la globalité de la carrière du « panda », seul le Tour de France lui aura résisté. Comme de nombreux coureurs avant et après lui, Laurent Jalabert aura trouvé ses limites sur l’épreuve mythique du sport cycliste, poussant les organismes jusque dans leurs retranchements pour n’en retirer que la fine élite. L’histoire sentimentale qu’il a entretenu avec la Grande Boucle lui aura réservé bien des contrariétés, bien des désarrois, bien des souffrances, en cumulant chutes, scandales et désillusions. Le Tour aura été cette bête effroyable qu’il n’a jamais réussi à dompter, lui refusant l’accès aux cimes des monts du cyclisme. Pourtant, cette histoire entre ces deux légendes du sport français aura connu une formidable happy end, digne des meilleurs films hollywoodiens, avec une forme de baroud d’honneur pour ses deux dernières participations en 2001 et 2002, montant systématiquement sur le podium de l’avenue des Champs-Elysées pour y revêtir les populaires pois rouges du meilleur grimpeur. Son dernier moment de gloire cycliste avant de s’orienter vers de nouveaux horizons, le bagage bien rempli de souvenirs et de couronnes.

 

Son statut aujourd’hui :

Toutefois, Laurent Jalabert n’a pas seulement fait le cyclisme français. Il le façonne encore par la qualité de ses analyses, par la précision de ses commentaires et par la richesse de son expérience, qu’il distribue à l’antenne de France Télévision et de RTL environ 50 jours par an, du Tour de France aux Championnats du Monde en passant par Liège-Bastogne-Liège, autant de courses sur lesquelles il a brillé sans jamais les remporter. D’abord consultant sur la moto, avant de rejoindre la cabine de commentateurs à la suite du décès du regretté Laurent Fignon, Laurent Jalabert a réussi à continuer à faire partie du paysage de juillet pour nombre de français, en faisant vivre la course à des millions de téléspectateurs. Un peu plus enjoué que son prédécesseur à son poste, « Jaja » marque toutefois par son sérieux, ce qui souligne son sérieux professionnel, même si on pourrait parfois lui reprocher ce manque de légèreté.

On peut aussi regretter un certain défaut d’anecdotes de sa part sur des moments de sa carrière, la faute semble-t-il à une volonté de faire oublier ses douteuses affaires de dopage, après un contrôle positif sur le Tour 1998 annoncé par l’AFLD en 2013. Si son choix de ne pas courir en France en raison de la sévérité de la lutte antidopage peut aussi paraître quelque peu ambigu, le natif de Mazamet n’a toutefois jamais reconnu avoir utilisé des substances améliorant de manière artificielle les performances. Mais désormais, le récent champion du monde d’Ironman 70.3 dans la catégorie des 50-54 ans semble véritablement courir pour son plaisir, et non pour la gloire. Preuve que peu importe son âge et sa préparation, Laurent Jalabert reste avant tout un sportif d’exception.

Par Jean-Guillaume Langrognet