C’est un beau palmarès, plus riche encore que celui obtenu durant ses six saisons chez les pros (1999 à 2004), qui semblait destiné à Franck Pencolé. Coureur parmi les plus brillants de sa génération, notamment sur le terrain des classiques flandriennes (14ème de Gand-Wevelgem en 2002, 8ème du Grand Prix de l’Escaut en 2003, 5ème d’A Travers les Flandres en 2004), le Normand a finalement tourné la page avant d’en avoir le cœur net, à 27 ans, dégoûté par le milieu du vélo. Dix ans après, Franck Pencolé ne regrette rien. Il a rebondi dans l’immobilier. Et s’il reste détaché du monde du vélo, il a repris goût à l’effort voilà deux ans, retrouvant le plaisir de rouler et de se fixer des défis personnels. Son prochain challenge : boucler les 610 kilomètres de Bordeaux-Paris le dimanche 1er juin.

Franck, cela fera bientôt dix ans que vous avez mis un terme à votre carrière. En quoi a consisté pour vous l’après-vélo ?
Aujourd’hui je travaille dans l’immobilier. Je suis aménageur lotisseur et je possède une agence, par le biais d’un ami qui disposait déjà d’un gros réseau d’agences. Je me suis associé avec lui. Je travaille sur le secteur d’Evreux, d’où je suis originaire. Lorsque je courais, j’avais déjà investi un peu dans l’immobilier. J’avais notamment construit ma maison. Quand j’ai mis fin à ma carrière, c’est la voie que j’ai suivie. Mais j’ai aussi fait pas mal de choses : de la promotion, la création d’un Eléphant Bleu que j’ai revendu par la suite… J’ai tout appris sur le tas. On a eu de mauvaises affaires, de bonnes affaires, c’est comme ça qu’on apprend. Mais je m’en suis plutôt bien sorti.

L’immobilier, ça n’a plus rien à voir avec le monde du vélo, duquel vous vous êtes détourné brusquement à l’âge de 27 ans. Quel état d’esprit vous animait alors ?
J’avais pris la décision de tourner la page en milieu de saison, dégoûté du vélo, de son milieu et de ceux qui le dirigeaient. On m’avait empêché de prendre le départ de Paris-Camembert alors que j’étais 5ème de la Coupe de France et que j’aurais pu en prendre la tête ce jour-là (NDLR : Franck Pencolé y avait obtenu à la dernière minute la participation de son équipe MBK-Oktos mais avait été interdit de départ par l’organisateur en représailles de son action). L’équipe n’avait pas non plus été invitée à Paris-Roubaix alors que j’avais terminé 5ème d’A Travers les Flandres. Je marchais bien mais devant tant d’obstacles je suis arrivé à saturation psychologique. J’ai tout envoyé balader et je suis parti sur d’autres projets.

A l’époque vous incarniez une génération prometteuse dans les classiques, nourrissez-vous un sentiment de frustration ?
Bien sûr, même si j’ai toujours eu un peu de malchance. En 1997 j’étais échappé avec Christian Poos dans Liège-Bastogne-Liège Espoirs, et je crève au pied de la dernière bosse. Je fais 5ème mais ce jour-là j’aurais dû gagner. L’année suivante, j’entre en tête sur le vélodrome au terme de Paris-Roubaix Espoirs, mais je me fais rattraper dans le dernier virage par Thor Hushovd, qui gagne. Quand tu vois son palmarès par la suite et que tu étais à son niveau chez les Espoirs, où j’ai pris la 5ème place de la Coupe du Monde à 23 ans, ça énerve.

Que pensez-vous qu’il vous ait manqué pour réaliser la carrière à laquelle vous étiez promis ?
L’encadrement. Quelqu’un qui m’aurait fait confiance et pris sous son aile. Il faut aussi avoir conscience que le vélo à ce niveau, ce n’était plus seulement une question d’entraînement mais de préparation biologique. De ce côté-là je ne regrette rien. J’ai préféré préserver ma santé plutôt que de franchir la ligne jaune sans savoir ce que je serais devenu plus tard. C’est aussi ce qui m’a encouragé à arrêter. Quand j’entends parler de révélations aujourd’hui, ça me conforte dans mon choix. Je me dis que j’ai bien fait d’arrêter car pour être au haut niveau, comme ils l’étaient, on était obligé de prendre.

Vous n’avez donc jamais regretté d’avoir mis un terme à votre carrière si prématurément ?
Non. Cela faisait déjà deux ans que je me posais cette question quand j’ai pris ma décision. Des amis proches m’avaient conseillé d’aller au bout de mon aventure, j’ai essayé mais j’ai vu ce qu’il fallait faire pour être au top. Dans ces conditions ce n’était plus du sport.

Vous évoquiez un encadrement défaillant…
Ça se passait très bien avec Pascal Cordier chez MBK-Oktos, mais avec les autres c’était du n’importe quoi. J’ai revu récemment un reportage sur Marc Madiot et Paris-Roubaix, dans lequel j’apparaissais d’ailleurs. C’est le genre de chose qui m’énerve. L’année où j’ai disputé Paris-Roubaix avec la Française des Jeux, en 2002, j’avais été désigné « passeur de roues » alors que je venais de finir 14ème de Gand-Wevelgem et que j’avais un bon coup de pédale. A la sortie de la Tranchée d’Arenberg, j’étais le dernier représentant de la Française des Jeux. Frédéric Guesdon, Christophe Mengin et les autres avaient sauté. A 30 bornes de l’arrivée, Marc Madiot est monté à ma hauteur, il a tapé dans mon guidon et m’a fait tomber. Il m’a engueulé comme du poisson pourri quand il est venu me récupérer dans le fossé. J’ai fait un an dans ce climat, au terme duquel mon contrat n’a pas été reconduit.

Dix ans après, quel regard portez-vous sur cette partie de votre vie ?
Je garde de bons souvenirs quant à mes jeunes années, quand je prenais vraiment du plaisir sur le vélo chez les Espoirs. Mais une fois passé professionnel en 1999, ça a plutôt été galère, si bien que j’ai très peu de bons souvenirs. En 2001, alors que je courais pour BigMat-Auber 93, je m’étais cassé la clavicule au Grand Prix de Denain. J’avais promis que je serais rétabli et en forme pour le Tour de France mais je n’ai pas été sélectionné. Énervé, je suis allé faire une kermesse tout seul en Belgique l’avant-veille du Tour. J’ai été gagner tout seul. C’était dans mon caractère. C’est l’un des meilleurs souvenirs de ma carrière.

Aujourd’hui, avez-vous fait la paix avec le vélo ?
Disons que j’ai tout coupé. Je n’ai gardé de contact avec personne, hormis quelques gars avec qui je m’entraînais et auprès desquels j’ai repris le vélo aujourd’hui. Quand j’entends des mecs qui se sont fait gauler parler de cyclisme à la télé, ça me fait bien rire. Les voir continuer à prendre de l’oseille grâce au vélo en étant consultants, ce n’est pas du tout un bon exemple. Ces mecs-là sont toujours dans le milieu du vélo, ce n’est pas sain et ça m’écœure, même si aujourd’hui je me suis détaché du vélo et de son actualité. Les seules courses que je vais regarder, à la rigueur, ce sont Paris-Roubaix et le Tour des Flandres.

Vous avez néanmoins repris goût à la pratique du vélo ?
Pendant presque dix ans j’ai cessé toute activité sportive. A la sortie de ma carrière j’ai aussi désiré consacrer du temps à ma vie de famille. J’ai aujourd’hui deux enfants de 4 ans et 1 an et demi. Je n’ai repris le sport avec un groupe de copains qu’il y a deux ans. Je pratique le triathlon. Je me suis engagé sur des triathlons longue distance l’année dernière. J’ai couru à l’Alpe d’Huez, à Deauville… Ce qui me plaît, c’est le goût de l’effort, d’aller au bout de soi-même. Je me suis fixé des défis personnels. Et cette année je me suis inscrit pour Bordeaux-Paris : 610 kilomètres !

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui souhaite s’investir au plus haut niveau dans le cyclisme ?
Aujourd’hui je ne conseillerais pas le sport de haut niveau, que j’estime toujours gangrené. Pour commencer je lui dirais de faire du sport pour son plaisir et pour soi-même. Le sport, c’est essentiel à la vie de tous les jours et au bien-être.

Dans notre prochain épisode, découvrez quel ancien vainqueur d’étape et Maillot Jaune du Tour de France est aujourd’hui chargé de mission sur le sport de haut niveau dans la Communauté Urbaine de Lille. Rendez-vous le jeudi 13 mars.