Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.

Cyril, le parcours de la 72ème édition de Paris-Nice a été dévoilé (lire l’article), est-ce à votre sens un parcours digne d’une course comme Paris-Nice ?
C’est un projet audacieux et novateur. Un parcours sans chrono ni arrivée au sommet, je trouve que c’est une idée sympa, tout à fait digne d’une course comme Paris-Nice quand on regarde le profil de plus près. On pourra vraiment dresser le bilan le 16 mars au soir mais je pense qu’on va avoir du beau spectacle.

Pas de contre-la-montre, pas d’arrivée au sommet, en quoi cette particularité va-t-elle impacter sur le déroulement de la course ?
Il n’y aura pas d’arrivée au sommet comme on a l’habitude d’en voir mais les coureurs vont avoir un parcours suffisamment dur pour se départager et offrir des courses mouvementées. Ils vont avoir de quoi s’amuser. Beaucoup d’étapes vont donner des possibilités d’ouverture, ce qui ne va pas figer le classement général. On devrait assister à une course clairement différente d’une compétition qui présenterait un contre-la-montre, une épreuve dite de vérité, mais qui a pour effet de figer la course. Ce Paris-Nice s’annonce ouvert, avec potentiellement un changement de leader au quotidien du fait des bonifications attribuées aux arrivées. Il va falloir être vigilant en permanence, ne pas laisser trop de marge aux nombreux coureurs qui seront incités à attaquer. Ça va apporter de la prise de risques, ce qui devrait être très plaisant à suivre.

L’organisateur veut effectivement privilégier les audacieux, mais tout le monde peut-il se prendre à rêver gagner Paris-Nice ?
Ça reste un parcours difficile. On ne peut pas dire aujourd’hui que tout le monde peut gagner Paris-Nice, soyons clairs. On retrouvera les hommes forts aux avant-postes, les hommes du moment, de grands coureurs comme ça a toujours été le cas sur la Course au Soleil. Il faut quand même prendre en compte qu’il va s’agir de huit étapes complètes, longues, dures, qui vont apporter beaucoup de mouvement à la course. A côté, Tirreno-Adriatico, ce sont sept étapes dont un contre-la-montre par équipes et un contre-la-montre individuel. Pour gagner ce Paris-Nice, il va falloir attaquer, prendre des risques, oser – ça ne va pas être pour déplaire aux Français – et  au bout du compte un homme fort s’imposera sur la Promenade des Anglais.

Néanmoins une course dépourvue de grande montagne et de chrono présente-t-elle un intérêt dans la préparation des favoris du Tour de France, comparativement à Tirreno-Adriatico ?
D’abord, le parcours me semble plus dur que celui de Tirreno-Adriatico. Il y aura je le souligne huit étapes complètes dans lesquelles il va se passer tous les jours quelque chose. Maintenant, Paris-Nice a très peu d’importance dans la préparation proprement dite au Tour de France, bien que ce soit une étape. C’est le moment où on entre dans une phase de compétition qui nécessite d’être plus pointilleux sur sa préparation physique. Même si aujourd’hui toutes les courses sont importantes, Paris-Nice et Tirreno-Adriatico restent les deux premiers grands rendez-vous de la saison. Sans être primordiales dans la préparation au Tour, ces courses sont des passages importants pour bien lancer sa saison, ne serait-ce que psychologiquement. A leur sortie on a acquis de la puissance, du rythme, qui vont permettre d’encaisser toutes les épreuves qui vont se succéder derrière.

Ces dernières années, Tirreno-Adriatico semble avoir pris le pas sur Paris-Nice en termes de parcours spectaculaire comme de plateau, est-ce une tendance qui va s’inscrire dans la durée ?
Certains font de ces courses un objectif mais pour certains l’objectif identifié est Milan-San Remo, une semaine après Paris-Nice et cinq jours après Tirreno. D’une année sur l’autre les leaders préfèrent telle ou telle course. Quels sont les avantages de l’une ou de l’autre ? Pour avoir fait les deux par le passé, je dirais que la météo est plus aléatoire sur Paris-Nice et qu’il s’agit d’être vigilant dès le départ, où ça bordure généralement, jusqu’aux étapes corsées du sud de la France. Sur Tirreno-Adriatico, on a deux-trois étapes phares parmi lesquelles une étape de montagne et un contre-la-montre. Dire laquelle est meilleure que l’autre, c’est un choix personnel. Je sais que je me sentais mieux de faire Tirreno que Paris-Nice.

Ce pari des organisateurs de Paris-Nice mérite-t-il d’être développé sur d’autres épreuves ?
C’est une belle formule dont doivent s’inspirer les autres organisateurs. D’un côté, je trouve que c’est primordial de garder des passages mythiques, des points de repères, sur les classiques. Mais sur une épreuve comme Paris-Nice, rien n’est figé. Il n’est écrit nulle part qu’il faille mettre systématiquement un contre-la-montre. Il faut prendre des risques, c’est ce que développe le Tour de France depuis plusieurs années et je pense que c’est une bonne idée. Maintenant, si les organisateurs suivent le pas, il y a un terrain sur lequel il ne faut surtout pas s’engager : celui de la surenchère à celui qui fera la course la plus dure. Ça se ferait au détriment des coureurs et de la course. La question qui doit être posée par un organisateur, c’est comment rendre son parcours attractif.

Avez-vous un élément de réponse ?
Des étapes courtes, avec des bosses suffisamment dures pour permettre aux grimpeurs de se détacher et aux sprinteurs de s’accrocher pour passer, ça crée automatiquement des courses mouvementées. Sur une étape plane dans un secteur venté, l’organisateur doit appréhender la provenance du vent dominant pour favoriser une course de bordures. Une belle course, ce n’est pas forcément beaucoup plus dur ni beaucoup plus long. L’organisateur, s’il veut que son épreuve soit mouvementée, doit réfléchir à tout ça. Je pense que le profil de Paris-Nice va donner raison aux organisateurs et apporter beaucoup de plaisir aux suiveurs. Je vais avoir la chance de le commenter pour la RTBF. Et je m’en réjouis déjà.