Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.

Cyril, dans deux ans, en 2016, les Championnats d’Europe sur route s’ouvriront aux coureurs professionnels (lire l’article), est-ce une bonne idée ?
Ce n’est pas une mauvaise idée mais je pense que ça n’aura aucun intérêt pour les coureurs pros. Cette course n’ayant pas d’historique, elle n’aura aucune valeur dans le palmarès d’un pro et ne lui apportera rien. Aujourd’hui, ce qui fait principalement un palmarès, ce sont les classiques et les Grands Tours. Un titre européen, ce sera une ligne supplémentaire mais pas un objectif prioritaire, hormis pour des jeunes coureurs. Dès lors ce rendez-vous a toute sa légitimité chez les Espoirs. Le calendrier est suffisamment chargé déjà, c’est un championnat qui va avoir du mal à y trouver sa place. Les coureurs professionnels ne trouveront pas d’intérêt à se rendre aux Championnats d’Europe, ça n’aura en tout cas pas de sens.

Quelle valeur peut justement avoir un titre européen auprès des coureurs pros ?
Il y a des courses phare tout au long de la saison que tout le monde veut gagner : les grandes classiques, les courses par étapes du WorldTour, les Grands Tours… C’est ce qui forge le palmarès d’un coureur. Un Championnat d’Europe, ça ne lui apportera rien. Déjà, historiquement, les Jeux Olympiques ouverts aux pros à partir de 1996 ont eu du mal à trouver leur place. Bien que tous les grands noms du cyclisme y participent, la course olympique n’a pas la même importance qu’un titre de champion du monde. Je ne vois donc pas quel intérêt trouveront ceux qui préparent les classiques et les Grands Tours à faire les Championnats d’Europe.

Ce titre a en revanche une grande importance chez les jeunes, ne risque-t-il pas d’être diminué par une course d’un niveau supérieur ?
Ça ne nuira pas à la valeur du titre dans les catégories d’âge, Juniors et Espoirs, où il restera hyper important. Un jeune Espoir qui deviendra champion d’Europe gardera cette légitimité. Cette course pro, je le répète, aura peu de sens. En revanche ça pourra être important pour un jeune coureur de 21-22 ans qui viendra de passer chez les pros et pourra commencer à y construire son palmarès. Peut-être alors que ce Championnat d’Europe sera voué à devenir la course des coureurs professionnels de moins de 23 ans. Et tant qu’à aller dans ce sens pourquoi ne pas simplement ouvrir les Championnats d’Europe Espoirs aux coureurs professionnels, WorldTour compris, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Les Championnats d’Europe se disputent traditionnellement mi-juillet, soit en plein Tour de France. Où faudra-t-il les placer ?
S’il est maintenu en juillet, ce sera un Championnat d’Europe sans grands noms, les tout meilleurs de chaque nation étant probablement sur le Tour. On y retrouvera principalement des jeunes coureurs qui ne participent pas au Tour de France, avec une équipe de France B. A la limite ça peut permettre à des coureurs non retenus au Tour de France d’avoir un objectif sur la mi-juillet, mais il s’agira essentiellement de jeunes coureurs, auquel cas on en revient à un Championnat d’Europe Espoirs. Franchement, je me trompe peut-être, mais je ne vois pas du tout cette course-là exister dans le calendrier. Il y a sans doute mieux à faire avant de créer un Championnat d’Europe.

Comme quoi ?
Je pense qu’il faut avant tout se donner les moyens de pouvoir accompagner au mieux les Juniors et les Espoirs, de faire de la détection, de les amener en stage. Emmener une sélection française à un Championnat d’Europe, ça va coûter de l’argent à la fédé, quand ce ne sera pas forcément nécessaire pour les pros. Il vaut mieux réinjecter de l’argent pour accompagner toujours mieux les jeunes et leur permettre de s’émanciper rapidement quand ils passeront pros. En cyclo-cross, nous en avons parlé cet hiver, la fédé n’arrive pas à emmener les jeunes coureurs sur certaines Coupes du Monde. Posons-nous les bonnes questions. On a tout aussi intérêt à peaufiner et mieux faire encore ce qui existe qu’à créer une course à un niveau où elle n’a pas d’intérêt.

Cet événement ajoutera un second rendez-vous au programme de l’équipe de France, cela peut-il renforcer l’idée d’appartenance à la nation ?
L’équipe de France a toute légitimité chez les Juniors et les Espoirs, les coureurs réalisant X courses dans l’année ensemble. Les plus belles courses internationales se courent alors par nations. L’équipe de France apporte aux jeunes coureurs la capacité d’aller faire les plus grandes courses. Aujourd’hui, je pense que les professionnels ont tout autant de fierté à porter le maillot de l’équipe de France, mais c’est une fois par an, aux Championnats du Monde. Le sentiment d’appartenance à une nation, de travailler pour apporter le meilleur résultat au pays, existe, même à raison d’une fois par an. Rajouter une course sur laquelle la sélection n’aura rien à voir avec celle des Mondiaux, si elle se maintient en juillet, n’apportera rien de plus.