Personne ne l’avait pu venir. Surtout pas Sam Bennett, lancé telle une balle vers la ligne d’arrivée, croyant bien avoir là assommé toute concurrence. Mais c’est lorsque que le franchissement de la fameuse bande, synonyme de délivrance, se faisait imminent, que l’irlandais s’est fait coiffer sur le fil par un revenant : Caleb Ewan. Coincé en second-rideau aux 300 mètres, l’australien a surgi au dernier moment pour ravir au sprinteur de la Deceunink Quick-Step le bouquet du jour, et glaner ainsi son quatrième succès d’étape sur la Grande Boucle.

Avec son mètre soixante-cinq et ses soixante-sept kilos, son vélo taille S et sa selle rabaissée, son allure prend parfois des airs de junior dans un peloton de cadors. En dépit des apparences, l’homme est bien adulte, et est bien incapable de passer le moindre taquet malgré son gabarit. Non, son truc, c’est le sprint. Et lorsqu’il se dresse à sa façon sur les pédales, le corps penché sur tout son poids vers l’avant, près à basculer de l’autre côté du guidon, il n’accélère pas, il bondit. Il faut le voir gigoter sur sa bécane pour comprendre à quel point l’alliage de sa force et sa technique est prodigieux. Il est même époustouflant d’observer l’effet mécanique extraordinaire produit par ses petites jambes, aux dimensions largement réduites par rapports aux « grosses cuisses » traditionnelles des sprinteurs. Et l’arrivée de cette 3e étape en a été une formidable démonstration, cumulée à une adresse incroyable.

S’il faisait bien parti des grands favoris du jour au départ, Caleb Ewan fut hâtivement rayé des derniers pronostics lorsqu’il se retrouva englouti et enfermé par les incessantes vagues de trains de sprints déboulant dans les rues de Sisteron. On s’est d’abord concentré sur les efforts précoces de Peter Sagan et Giacomo Nizzolo, avant d’être subjugués par la puissance dégagée par Sam Bennett, éloignant avec fermeté la meute de ses adversaires. Mais au milieu de tous ces grands, c’est bien une petite souris qui s’est frayée un improbable passage entre ses différents concurrents pour finalement triompher. Initialement dans la roue d’Hugo Hoffsteter, aux environs de la 10e position, Caleb Ewan s’est d’abord frayé un passage entre les barrières et un Peter Sagan en perte de vitesse, avant de contourner Giacomo Nizzolo puis de revenir sur l’homme de tête à près de 69 km/h pour le sauter dans les 25 derniers mètres.Caleb Ewan vainqueur dans les rues de SisteronCaleb Ewan vainqueur dans les rues de Sisteron | © Compte Twitter du Team Lotto-Soudal

Après une entame de Tour particulièrement compliquée pour la Lotto-Soudal et son sprinteur fétiche, privé dès samedi soir de son équipier Philippe Gilbert et de son poisson-pilote John Degenkolb, et sortant de deux journées de galère à l’arrière du peloton, celui-ci a parfaitement su rebondir dès que la météo et le dénivelé se sont montrés plus cléments sur la route de cette 107e édition. Et si Peter Sagan semble parfaitement parti dans sa quête d’un huitième maillot vert sur les Champs-Elysées, Caleb Ewan pourrait bien recommencer sa récolte de victoires, et endosser pour la deuxième fois consécutive le statut de sprinteur le plus prolifique de la Grande Boucle. Mais il faudra pour cela battre systématiquement l’armada Deceuninck Quick-Step, et résister au terrible parcours proposé par les organisateurs, pour un sprinteur autant réputé pour son explosivité que son inaptitude à grimper.

Par Jean-Guillaume Langrognet