Jérôme, quelles ont été les grandes lignes de votre carrière ?
Je suis passé professionnel en 1994 à l’âge de 22 ans chez Catavana, une toute petite équipe. J’ai été cycliste sur route seulement quatre ans, dans les équipes Catavana, Le Groupement et Festina. Je suis devenu champion du monde de VTT en 1996 sur les cycles Peugeot (NDLR : titre dont il a été déchu après ses aveux de dopage). Je devais alors faire un choix, car on se rendait compte que le VTT se professionnalisait et qu’il était de plus en plus dur de concilier les deux pratiques. C’est pourquoi Bruno Roussel, le manager de Festina, m’a demandé de trancher. Ils avaient besoin d’un gars à 100 % sur la route, mais je préférais l’option de partir vers d’autres horizons parce que je sentais que j’avais davantage de capacités physiques en VTT. Je suis alors parti trois ans aux États-Unis chez Gary Turner et les Cycles GT. Et j’ai fini ma carrière chez Lapierre après un mauvais épisode.

Les écarts de salaire entre la route et le VTT étaient-ils importants à cette époque ?
A l’époque, chez Festina, je gagnais l’équivalent de 2000 euros par mois. C’est-à-dire le salaire très moyen d’un modeste équipier, ce que j’étais. Quand je suis devenu champion du monde de VTT, j’ai signé un contrat pour trois ans avec l’équivalent de 15 000 euros par mois. Je ne me suis même pas posé de question ! Ce titre était assez inattendu, c’est vrai. Si je n’avais pas été champion du monde, ma carrière et mes choix auraient été différents. Mais avec des si on refait une vie !

A quels moments avez-vous commencé à réfléchir à la fin de votre carrière cycliste ?
Ça s’est fait en deux étapes. La première n’était pas voulue : j’ai avoué m’être dopé. Là, d’un seul coup, je me suis senti précipité vers la sortie sans vraiment le vouloir. Mais, heureusement, c’est à ce moment-là que j’ai pu rebondir en allant chez Lapierre pour quelques saisons. Ensuite, une lassitude s’est installée. Lassitude de répéter toujours les mêmes choses, alors que j’avais un parcours atypique. Du coup, j’ai préparé tranquillement ma sortie pour être restaurateur, ce que j’ai fait pendant neuf ans. Mais c’est un métier très prenant, mes enfants grandissaient, et j’ai décidé de bifurquer à nouveau. Surtout, j’avais pris du poids, je ne retrouvais plus mon âme de sportif. Je suis donc devenu chauffeur à l’hôpital de Millau. C’est modeste comme travail, mais ça me permet de me réentraîner et d’avoir de nouveaux challenges en course à pied.

Comment devient-on restaurateur après une carrière de cycliste ?
Tout a été compliqué ! On n’est pas prêt à la reconversion d’une manière générale. Pour obtenir un crédit, ça a été une vraie galère, du coup j’ai vendu ma maison, j’ai tout vendu, et je suis reparti de zéro. Je n’avais jamais porté une assiette de ma vie, ni géré de société. Mais je sentais que je voulais faire ça. J’avais un associé à ce moment-là avec qui je m’entendais très bien. Malheureusement on a fini par se séparer au bout de neuf ans. Ce n’était pas parce que l’affaire ne marchait pas, mais parce que l’on ne s’entendait plus. La reconversion a été difficile à gérer. Surtout avec l’image que j’avais. On émettait des doutes sur mes garanties. Et puis j’arrivais dans un petit village dans le Gard, qui n’est pas du tout ma région d’origine, ce n’était pas évident non plus. Mais j’ai toujours cru en moi et en mon projet et ça s’est fait naturellement.

On a l’impression que vous cumuliez les « handicaps » pour vous lancer dans cette profession…
Complètement ! Mais j’en avais conscience, c’est l’avantage. Je me sentais prêt à affronter cette réalité. Je savais que les difficultés allaient se présenter. La première difficulté, c’était le budget. Il fallait donner beaucoup de notre personne. On a eu six mois de retard pour l’ouverture, car pendant ces six mois on était matin, journée et nuit en train de rénover nous-mêmes la bâtisse. Il a fallu se retrousser les manches, c’est sûr ! Il y a évidemment eu de grands moments de solitude et de tension.

Regrettez-vous l’absence de programme de formation et de reconversion pour les cyclistes professionnels à ce moment-là ?
Même aujourd’hui, ce n’est pas suffisant. Les coureurs restent livrés à eux-mêmes. J’ai eu une discussion avec Julien Absalon récemment et je ne l’ai pas du tout senti prêt à une reconversion alors qu’il est double champion olympique ! Évidemment, c’est encourageant de voir que des choses se mettent en place et que l’on va dans le bon sens. Mais nous ne sommes toujours pas prêts pour attaquer notre reconversion. On consacre toute une partie de notre vie à préparer une carrière de cycliste, mais sans regarder le monde extérieur. C’est quand on se le prend de plein fouet que l’on se dit qu’il aurait mieux fallu préparer ça.

Certains anciens pros se sont dits satisfaits des formations reçues.
Moi aussi j’ai bénéficié d’une formation grâce à un ancien footballeur professionnel qui avait créé une structure pour aider les athlètes de haut niveau. Elle m’a beaucoup aidé. Mais c’est parce que j’ai fait sa connaissance que j’ai pu bénéficier de cette formation. Ce n’est pas l’Etat, pas la Fédération qui m’ont mis en relation avec lui.

Aujourd’hui, vous êtes donc installé à Millau dans l’Aveyron, votre région d’origine.
Oui je suis né à Millau. Mais J’ai beau avoir un « nom », je suis contractuel depuis 29 mois aujourd’hui et il n’y a pas de titularisation en vue. Le milieu du travail est quand même sinistré, d’autant plus à Millau.

A la fin d’une carrière, deux voies s’ouvrent généralement aux anciens pros : l’industrie du cycle ou les médias en tant que consultant. Cela aurait-il pu vous séduire ?
Sincèrement, si c’était à refaire, oui, je me tournerais vers le monde des médias. J’ai une élocution assez facile, j’aime m’exprimer. Ça me plaît ! Mais, j’ai un souci : on dit de moi que je suis ingérable. Dès que j’ai envie de dire quelque chose, je le dis. Je réfléchis après et c’est souvent trop tard. Donc à la radio, ça pourrait être compliqué ! Mais avec le temps on peut apprendre, non ? De toute façon, il me reste un dernier projet sportif à réaliser pour l’instant. Une fois que je l’aurais réussi, pourquoi ne pas me donner toutes les chances pour changer de voie ?

Ce projet sportif, quel est-il ?
C’est de remporter les 100 kilomètres de Millau, chez moi. C’est un rêve d’enfant. Ça fait sourire beaucoup de gens, mais j’ai toujours vécu à travers mes rêves et c’est ce qui me porte.

Pour préparer cet objectif, avez un programme de courses défini pour l’année 2017 ?
Je compte participer à des cyclos sur route et VTT comme La Marmotte, la Transmaurienne, peut être la Transvésubienne. Et peut-être une ou deux manches de Coupe de France VTT Masters. Il est possible que je sois au départ du Roc d’Azur, mais chez les Masters même si ça fait grincer quelques dents. Il faut l’admettre, la catégorie Elites n’est plus pour moi.