Pascal Hervé reste un coureur emblématique des années 90. Passé professionnel à l’aube de la trentaine en 1994, deux ans après son titre de champion de France amateur, il demeure associé au rôle de lieutenant attitré de Richard Virenque, qu’il seconda dans plusieurs de ses quêtes pour le maillot à pois de meilleur grimpeur du Tour de France. Pascal Hervé connut aussi ses heures de gloire personnelles, vainqueur d’étape au Giro en 1996 et lauréat du Grand Prix Ouest-France en 1998, un mois et demi après le scandale de l’affaire Festina, dans lequel il fut impliqué et afficha jusqu’au bout sa loyauté envers son ami varois. C’était malheureusement l’époque où le dopage gangrenait le peloton, jusqu’à rattraper le coureur un jour de mai 2001 qui sonna la fin de sa carrière. Sa passion pour le vélo, elle, est restée intacte.

Pascal, votre carrière s’est arrêtée à 36 ans, après un contrôle positif au Giro 2001. Etiez-vous prêt à rebondir professionnellement ?
En fait, oui, car j’avais déjà préparé ma reconversion depuis 1998. Quand il y a eu le bordel de l’affaire Festina, je me suis dit qu’il fallait songer sérieusement à préparer mon avenir, si jamais il m’arrivait quelque chose. En parallèle à mes dernières années de vélo, j’ai donc monté une grande brasserie à Limoges. Je l’ai créée avec des associés auxquels j’ai ensuite racheté les parts pour en devenir le seul actionnaire avec mon ex-femme qui la tient toujours aujourd’hui. Quand ma carrière a pris fin, je suis donc allé y travailler à plein temps.

Comment s’appelle cet établissement ?
La Bibliothèque. Tout simplement parce qu’elle se situe à l’emplacement de l’ancienne bibliothèque de Limoges, un bâtiment qui date de 1789. Nous avons tout créé à l’intérieur et essayé de remettre à l’identique, avec des matériaux nouveaux, une déco appropriée.

Des salons sombres, des livres anciens, mais rien qui ne se rattache à votre carrière cycliste…
Non. Pour la bonne et simple raison que lorsque je courais je ne gardais pas mes coupes à la maison. Je me disais que le jour où tu commences à regarder tes trophées, c’est que tu regardes derrière et tu n’avances plus. Dans mon resto, je ne voulais pas que les gens viennent pour ce que j’avais fait mais pour ce que j’étais en train de faire. Je n’ai donc jamais rien rattaché à mon passé de coureur. Et bien que je sois fier de ce que j’ai accompli, je n’ai d’ailleurs pas de coupe chez moi. Je regarde toujours devant !

Avant de passer professionnel sur le tard, à 29 ans, vous étiez imprimeur de métier, pourquoi vous êtes-vous orienté vers la restauration ?
Quand j’ai arrêté le vélo, l’imprimerie avait tellement évolué que j’étais déconnecté. Ma carrière s’est terminée sur un contrôle positif, trouver une reconversion dans le vélo était presque exclu. Et puis je voulais exister à travers autre chose. Je suis né dans la restauration de par mes parents. C’est un métier que je connaissais, ça s’imposait donc. Le seul métier que je ne connaissais pas, c’était celui de chef d’entreprise. J’ai eu jusqu’à vingt salariés, c’était une petite PME, il m’a fallu apprendre tout cela.

Du temps de votre carrière, vous étiez un équipier apprécié, comment devient-on chef d’entreprise ?
On apprend beaucoup de choses sur le tas, mais il faut en plus une âme d’entrepreneur et de gérant, de gestionnaire d’équipe, de gestionnaire de budget… C’est quelque chose d’inné chez moi. J’aime diriger, j’aime créer. J’ai d’ailleurs lancé par la suite un bar à vins à Limoges, le Comptoir de Bacchus, que j’ai ensuite vendu à mon frère. De mon côté j’ai tenu la Bibliothèque avec mon ex-femme jusqu’en mai dernier.

Et depuis ?
Je suis marié à une Canadienne, qui a choisi de reprendre des études à 40 ans à Montréal. De mon côté cela faisait des années que je rêvais de venir m’installer au Québec. Je l’ai donc rejointe pour prendre ici un nouveau départ. Même si le Québec est francophone, j’y ai découvert une autre culture, une autre mentalité. Tout est différent. Je me sens comme un immigrant et je dois m’adapter à tout ça. Je vais avoir 50 ans le 13 juillet et je me dis que c’est un beau challenge. Ici, je ne suis personne. Tu recommences tout à zéro, tu oublies qui tu es, ce que tu as fait. Et ça me plaît.

Votre installation au Québec a nécessité de vous lancer, une fois encore, dans une nouvelle carrière professionnelle. Que faites-vous désormais ?
Je travaille avec Pierre Hutsebaut, un grand entraîneur et une sommité du cyclisme. Je suis entraîneur au Peak Centre Montréal, un centre de haute performance au sein duquel nous entraînons des athlètes de très haut niveau. Pierre suit le très haut niveau, moi la masse. Nous faisons du suivi personnalisé pour tous nos athlètes, des plans d’entraînement, des tests… Nous sommes axés vélo à 50 % de notre clientèle mais nous entraînons aussi beaucoup de triathlètes, des coureurs à pied, des joueurs de badminton. Je suis retourné dans un domaine que j’aimais et en même temps que je découvre car je n’ai pas connu, à mon époque, toutes les techniques d’entraînement d’aujourd’hui.

Avec ce recul, quel regard portez-vous dès lors sur l’entraînement que vous suiviez du temps de votre carrière professionnelle ?
Quand j’ai commencé il y a vingt ans, les choses commençaient à bouger mais nous étions un peu réfractaires à toutes ces nouvelles technologies. L’entraînement cycliste, à mon époque, c’était « prends ton vélo et va rouler six heures ». Pendant des années, le cyclisme a vécu sur son passé. Dans les années 60 il fallait s’entraîner beaucoup, puis encore plus dans les années 70, rouler par tous les temps dans les années 80. Les entraînements spécifiques ont commencé à arriver à mon époque mais c’était loin de ce qu’on fait aujourd’hui.

Beaucoup d’athlètes viennent vous voir pour relever un challenge, disputer un Ironman notamment, de quelle manière travaillez-vous avec eux ?
On apprend à les connaître en discutant avec eux, on les évalue, on leur fait passer une batterie de tests : VO2, lactates, puissance, vitesse… On récolte un grand nombre de paramètres que nous analysons ensuite. En fonction des résultats et de leur objectif, nous déterminons alors avec nos athlètes un plan d’entraînement qui nous permettra de les amener en condition optimale le jour J. C’est du suivi personnalisé qui tient compte de leurs impératifs professionnels et familiaux.

Finalement, vous n’avez pas lâché le vélo. On imagine que vous êtes régulièrement amené à rouler dans le cadre de vos activités ?
Je fais du sport à peu près trois-quatre fois par semaine. Toutes disciplines confondues. Ici, au Québec, il fait très froid l’hiver, donc nous nous entraînons beaucoup en salle. Mais à la fin du printemps, quand il recommencera à faire beau, ce sera plus régulier, parfois presque quotidien.

Comment sont les routes au Québec ?
Il y a des parcours magnifiques autour de Montréal, mais dans la ville on a des routes pourries, d’abord à cause du temps mais aussi parce qu’il y a beaucoup de trafic. Quand on quitte Montréal pour rouler dans les cantons de l’est, ou bien au nord ou au sud de la ville, on a de quoi faire des balades merveilleuses. J’encourage vraiment les gens à venir découvrir ces routes. En plus, il n’y a pas de circulation une fois à l’extérieur de Montréal. Tu as la route pour toi ! En outre le vélo prend une dimension extraordinaire, les automobilistes font attention aux cyclistes, c’est super.

Comment le cyclisme est-il perçu au Québec ?
Depuis quelques années il a pris une grosse ampleur. Dès lors on a beaucoup de travail, c’est génial ! Au centre, Pierre Hutsebaut a entraîné David Veilleux depuis les rangs Juniors. Nous suivons également Hugo Houle, d’Ag2r La Mondiale, et Antoine Duchesne, qui a signé chez Europcar. Nous avons également beaucoup de coureurs québécois qui courent aux Etats-Unis ou au niveau provincial.

Vous étiez au Canada au moment des Grands Prix de Québec et Montréal, y êtes-vous allé ?
Bien sûr, d’autant plus que j’habite sur le Plateau-Mont-Royal à côté de l’arrivée du Grand Prix de Montréal. C’est un super événement, et la victoire de Rui Costa sur le chemin des Championnats du Monde ne peut que rehausser ces épreuves. Et puis ça m’a permis de revoir des gens que j’aime beaucoup. J’étais très content de les voir et eux étaient étonnés de me retrouver ici. De retour dans l’univers du vélo.

Dans notre prochain épisode, retrouvez quel ancien porteur du maillot jaune du Tour de France a monté sa société dans l’immobilier. Rendez-vous le jeudi 30 janvier.