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Philippe, au matin de l’étape des Champs-Elysées vous avez une victoire dans votre escarcelle, quel est votre bilan de ce Tour de France ?
Le bilan est bon dans le sens où nous avons réussi à coller aux objectifs. Après il y a quelques déceptions comme la chute de Dan et sa crevaison à cinq kilomètres du sommet de Mende où nous n’avons pas pu le dépanner comme on aurait voulu et comme on peut le faire en règle générale. Et cela lui coûte potentiellement une cinquième place à Paris. Mais cela fait partie du jeu et du vélo, il y a d’autres coureurs qui ont eu de problèmes bien plus graves. Donc au finale c’est un bilan positif avec cette étape gagnée à Mûr de Bretagne (l’interview a été réalisée avant la victoire de Kristoff), le titre de super-combatif et pas mal de places dans les étapes. Je pense que l’on a été présent tout au long de la course.

Avec huit coureurs par équipe, est-ce toujours possible d’avoir deux leaders, un pour le général et un pour les sprints ?
En règle générale, les équipes qui jouent le général ne viennent pas avec un sprinteur. Mais quand on est sur des équipes intermédiaires on peut se permettre de jouer un peu sur les deux tableaux parce qu’on sait qu’au classement général la course va être verrouillée. Pour l’homme du classement général, même s’il joue le top 10, on peut le faire sans une grosse garde autour de lui. Maintenant c’est vrai que si l’on veut jouer le maillot jaune il n’y a pas le choix, on ne peut pas emmener un sprinteur.

Dan Martin aimerait bien faire un Tour de France sans incidents. Si c’était le cas, jusqu’où pourrait-il aller ?
On ne sait jamais réellement à quel niveau peut aller un coureur. Tant que l’on n’a pas touché le graal on ne sait pas si on peut l’atteindre ou si on va l’atteindre. Qui aurait dit il y a sept ou huit ans, quand Chris Froome ou même Geraint Thomas étaient chez Barloworld, qu’ils gagneraient un jour le Tour de France… Personne. Donc pourquoi pas Dan.

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Les rouleurs-grimpeurs ont dominé le général cette année, ce qui n’est pas le profil de Dan Martin. Pensez-vous que nous sommes rentrés dans une ère où ce sont les rouleurs qui dominent en montagne ?
Cela fait partie de l’évolution du sport. Le cyclisme s’est énormément professionnalisé sur les quinze ou vingt dernières années. On demande beaucoup plus aux coureurs au niveau physique. Il y a eu cette évolution dans d’autres sports, comme le basket, le rugby ou même le football. Maintenant, je crois que l’on a une différence avec tous ces sports là, c’est que notre terrain de jeu tient compte de la géographie et je pense que sur ce Tour de France, la montagne est arrivée quand les grimpeurs étaient épuisés par la plaine. Beaucoup d’observateurs ont dit qu’il ne s’était rien passé dans la première semaine, mais c’est parce qu’ils n’étaient pas dans le bus au soir des étapes. Au bout de quelques jours, les coureurs étaient très marqués. Le peloton était nerveux avec le vent, et la fatigue nerveuse s’accumule à la fatigue physique. Au final les grimpeurs arrivent au pied de la montagne bien entamés et ils n’ont plus cette giclette qu’ils pourraient avoir si on n’avait pas ces dix étapes de plaine avant. Je ne pense pas que ce soit définitif que les rouleurs dominent, cela dépend aussi beaucoup du parcours.

L’organisateur a toutefois tendance à réduire le nombre de kilomètres de contre-la-montre, tout en les faisant plus difficiles. Cela va dans le sens des grimpeurs…
Et bien non cela ne va pas dans le sens des grimpeurs car il y a ces dix étapes de plaine qui les ont épuisé et au pied de la montagne ils sont bien plus fatigués que les rouleurs, qui étaient eux sur leur terrain.

Est-ce que vous avez peur que des coureurs du profil de Dan Martin, souvent à l’attaque, ce que les gens apprécient, disparaissent ?
Non je n’ai pas peur qu’ils disparaissent car il y aura toujours des attaquants. On parle de Dan, il y a aussi eu Julian Alaphilippe, Rafal Majka, il y a eu plein de coureurs qui ont tenté des choses. L’avantage de Dan et ce qui l’a mis en lumière, c’est qu’il a pu le faire dans le final des étapes. Ca marque forcément plus l’esprit d’autant que ça le rapprochait de la victoire d’étape. Maintenant des attaquants dans le peloton il y en a plein. Mais c’est toujours la même chose, si ces puncheurs arrivent fatigués au pied de la montagne forcément ils ne peuvent pas s’exprimer.

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Diriez-vous qu’il a manqué un relais à Dan Martin en montagne, un équipier qui aurait pu se glisser dans les échappées ?
Oui, mais on fait avec le budget et en fonction des coureurs que l’on a au départ. Cela fait partie de notre sport, c’est comme ça. C’est aussi un challenge intéressant de travailler avec des coureurs que l’on n’imagine pas en haut du tableau.

Qu’a changé le fait de courir le Tour à huit coureurs, et pensez-vous que cela amène les équipes à réduire progressivement leur effectif ?
Les effectifs ont déjà été réduits depuis la saison dernière. Si on regarde bien, presque toutes les équipes ont perdu deux ou trois coureurs. Cela veut aussi dire perdu un masseur, un mécanicien, quelques fois un entraîneur ou un directeur sportif, c’est la réalité de cette nouvelle réglementation. Après au niveau de la course je n’ai pas vu de changements. Si on veut vraiment qu’il y ait du changement, il faut descendre encore plus bas. Mais est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? A un moment donné, la victoire est tellement importante que si l’on sent que l’on peut gagner, même si on a un effectif réduit, on va sacrifier un ou deux coureurs pour aller rouler et on sait que d’autres équipes auront également cet intérêt au même moment. Donc au lieu d’avoir une équipe qui contrôle, on va en avoir deux ou trois qui vont se partager les rôles.

Et puis les équipes à gros budget resteront avec un gros budget…
C’est ça. Tout le monde se demande pourquoi la Sky gagne encore. Mais elle a le double du budget de la deuxième équipe la plus riche. Et elle a dix fois le budget de Fortuneo ou Wanty, donc à un moment donné il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’elle domine le cyclisme actuellement. Mais on n’a pas non plus à les jalouser car j’imagine assez facilement que si une autre équipe avait le même budget elle essaierait de faire la même chose et elle aurait aussi une masse salariale très importante.