Remco Evenepoel l’a fait. Cian Uijtdebroeks s’y apprête. Le grand saut, encore impensable il y a dix ans, s’ouvre désormais aux plus téméraires des cracks : passer des rangs Juniors au World Tour. Une telle ascension est réservée aux seuls prodiges, aux anges de la bicyclette, qui risquent pourtant de s’y briser les ailes. C’est pourquoi la catégorie espoirs a longtemps été perçue comme un passage obligé, un test nécessaire pour vérifier la valeur des talents. Mais aujourd’hui naît un entre-deux, une nuance entre World Tour et amateurisme, à savoir les réserves continentales. Rattachées à des Worldteam, celles-ci engagent une dizaine de jeunes sous statut pro, pour les faire évoluer dans la plus petite division du cyclisme. Ce modèle s’est largement développé dans les années 2000, aboutissant à sa démocratisation pour la plupart des équipes de l’élite. Ce choix fut ainsi celui de Romain Grégoire, rejoignant la formation Continentale de la Groupama-FDJ, dans la lignée de ses compères Lenny Martinez ou Eddy Le Huitouze. Le meilleur à nos yeux. Explications. 

Romain Grégoire a signé à la Conti Groupama FDJ le 15 octobre dernierRomain Grégoire a signé à la Conti Groupama FDJ le 15 octobre dernier | © Groupama-FDJ

 

Tous les bénéfices d’un statut pro

Passer pro, c’est un moment fort dans la vie d’un coureur cycliste. Pour certains, l’expérience est de courte durée, tout au plus de quelques années. Pour d’autre, c’est le début d’une longue histoire d’amour avec la Petite Reine, s’achevant par une retraite bien méritée. Passer pro, c’est aussi bénéficier d’un salaire et d’un statut, primordiaux pour ce qui reste un métier, même s’il est empli de passion. Passer pro, c’est enfin bénéficier d’un niveau de suivi, de conseils d’entrainement et d’une fourniture matérielle digne du plus haut niveau, signifiant l’entrée dans une nouvelle sphère du sport.

D’ailleurs, pour Romain Grégoire, licencié à l’AC Bisontine, tous ses services se feront à domicile, puisque le service course de la Conti est basé à Besançon, au sein du Centre de Performance utilisé par la formation mère. Cette proximité territoriale fait ainsi la fierté de son futur manageur, Jérôme Gannat, se félicitant que le licencié de l’AC Bisontine soit « le premier coureur local à intégrer la Conti. ».

L’ancien coureur de l’échelon U19 d’AG2R Citroën pourra dès lors rester à la maison pour suivre sur ses terres une formation totale au métier cycliste, alliant théorie et pratique. Par conséquent, aux entraînements personnalisés et spécifiques proposés par le staff, s’ajoute un véritable planning hebdomadaire de cours relatifs à la Petite Reine, dans toute son amplitude. Aux leçons de nutrition s’ajoutent ainsi des conseils d’entraînement, de communication, de mécanique, mais aussi un programme d’apprentissage de l’anglais. Tout cela étant dit, le terme « professionnel » prend ainsi tout son sens. Le cyclisme n’est plus simplement un sport pratiqué en parallèle de ses études, mais bien un métier auquel on doit se préparer, pour y exceller.

Le COPS (Complexe d'Optimisation de la Performance Sportive) de la Groupama-FDJ à BesançonLe COPS (Complexe d’Optimisation de la Performance Sportive) de la Groupama-FDJ à Besançon | © Groupama-FDJ

En outre, contrairement à d’autres relations réserve – WorldTeam, l’imbrication de la Conti avec la Groupama-FDJ laisse libre le staff de la seconde de piocher dans la première lors de certaines courses pour compléter l’effectif. Occasions de se montrer, d’apprendre ou de progresser, les opportunités sont multiples pour les pépites lors de ces essais, ayant notamment pour objectif de les intégrer à l’équipe mère avant signature. Cette dernière saison, les exemples ont été multiples, et parfois même fructueux. Le breton Paul Penhoët a par exemple frôlé le top 10 sur le Tour du Poitou-Charentes, et le suisse Alexander Balmer est même passé à quelques hectomètres sur le Tour de Vendée. Quant au britannique Lewis Askey ou au Néerlandais Reuben Thompson, ils ont même donné les garanties suffisantes pour assurer leur place dans l’élite pour les prochaines années, devenant les 6e et 7e hommes à effectuer cette transition.

La Conti, c’était donc le choix de s’ouvrir les portes du World Tour sans assumer toutes les conséquences de cette première division.

 

Sans les inconvénients d’une Worldteam

Effectivement, si la Conti est dessinée pour s’aligner au départ de courses de niveau Espoirs, ce n’est absolument pas le cas des écuries mères. La Deceuninck Quick-Step, l’UAE Team Emirates ou la BORA-Hansgrohe ne disputent que les courses majeures du calendrier international, n’ayant aucun intérêt à prendre part aux épreuves de moindres catégories. Cela impacte évidemment le calendrier de leurs jeunes coureurs. Ainsi, en l’espace d’un hiver, Remco Evenepoel était passé des courses juniors au Tour de San Juan, puis avait découvert le World Tour dès la fin du mois de février 2019, à l’UAE Tour. A 19 ans, il fallait donc être sacrément costaud pour être capable d’encaisser le choc de la différence de niveau. Et même le phénomène belge en avait légèrement souffert, comme en témoigne notamment son abandon sur l’épreuve émiratie, le premier depuis un an. Si sa formation avait beau essayer de l’aligner sur les « plus faibles » courses de son calendrier, à l’instar du Tour de Turquie ou du Tour de Norvège, celles-ci restaient dans des standards terriblement élevés. Le natif d’Aalst avait finalement réussi à sortir la tête de l’eau à l’occasion du Tour de Belgique, qu’il avait magistralement remporté. Mais n’est pas Remco Evenepoel qui veut, et Romain Grégoire n’a pas eu cet orgueil.

Si l’objectif est évidemment d’intégrer à terme l’équipe de Marc Madiot, et la plus haute division de son sport, le bisontin se laisse ainsi le temps de mûrir et développer ses capacités au niveau continental, avec un calendrier adapté, entre Espoirs et Amateurs. Le Tour de l’Eure-et-Loir, la Ronde de l’Isard ou encore le Tour du Val d’Aoste – Mont Blanc avait ainsi composé notamment le planning de la Conti l’an passé. Courses phares de cette catégorie d’âge, véritables révélateurs de talents, elles permettent à ces hommes de lutter à armes égales face à leurs adversaires pour jouer la victoire, motivation absolue du coureur cycliste.

Romain Grégoire porté en héros par ses équipiers en équipe de France, à l'occasion de son titre aux championnats d'EuropeRomain Grégoire porté en héros par ses équipiers en équipe de France, à l’occasion de son titre aux championnats d’Europe | ©

Cet aspect est particulièrement prévalant pour Romain Grégoire, qui doit poursuivre sa formation de leader en herbe, étant amené à occuper ces fonctions en élite pendant la suite de sa carrière. Et guider ses hommes, ça s’apprend. Alexys Brunel soulignait ainsi l’importance du charisme du leader dans sa dévotion en tant qu’équipier, exemple de Thibaut Pinot à l’appui. Comme il l’a si bien fait avec ses potes de l’équipe de France Juniors, le bisontin soignera à la Conti ses discours et ses consignes de course, pour savoir parfaitement s’imposer et motiver à son arrivée en World Tour. Bref, Romain Grégoire trouvera à la Conti tout ce qui peut faire de lui un grand plus tard, en se sachant lucidement encore petit.

Par Jean-Guillaume Langrognet