Professionnel entre 1999 et 2006, 3ème du Tour de Suisse 2002, Nicolas Fritsch est aujourd’hui conseiller auprès de l’agent Clément Gourdin. Tous les quinze jours, il nous apporte son point de vue sur l’actualité cycliste.

« Cette saison 2016 a vu la confirmation du talent de Pierre Latour après une prometteuse année 2015 durant laquelle il s’était notamment illustré sur la Route du Sud (3ème), au Tour de l’Ain (une 3ème place assortie d’une victoire d’étape) et au Tour de Burgos (5ème). Ses performances tout au long de l’année, de sa 7ème place sur l’Etoile de Bessèges en février jusqu’à sa 10ème sur le Tour de Lombardie en octobre, sans oublier évidemment sa victoire d’étape sur la Vuelta, nous amènent logiquement à nous questionner quant au futur de la cohabitation au sein de l’équipe Ag2r La Mondiale entre Pierre Latour et Romain Bardet, son aîné de trois ans et, pour l’heure, son leader.

Chez nos voisins transalpins, la question s’était également posée au sujet de Vincenzo Nibali et Fabio Aru il y a déjà deux ans de cela après que ce dernier ait terminé respectivement 3ème et 5ème du Giro et de la Vuelta quand son leader avait quant à lui remporté le Tour. Ils ont depuis chacun remporté un Grand Tour, le Tour d’Espagne en 2015 pour Aru (après être également monté sur la 2ème marche du podium du Giro) et le Tour d’Italie pour Nibali cette année. On notera au passage que ces deux coureurs comptent sept Tops 5 sur les neuf derniers Grands Tours, soit depuis l’éclosion au plus haut niveau du Sarde en 2014.

On est évidemment très loin du compte en ce qui concerne le duo français, et il faut préciser une autre différence majeure : Aru était l’équipier de Nibali lors du Giro 2013 remporté par le Sicilien. On mettra de côté le Tour 2016 où le second devait être l’équipier du premier, car dans les faits ce fut loin d’être le cas ! Quoi qu’il en soit, Romain Bardet et Pierre Latour n’ont quant à eux jamais participé à un même Grand Tour, ce dernier n’ayant disputé qu’une Vuelta.

J’imagine, en tout cas je l’espère, que le Tour 2017 verra ces deux coureurs au départ, car on apprend toujours énormément d’un vrai et grand leader, performant et exigeant, et c’est peut-être d’ailleurs ce qu’il a manqué à toute une génération de coureurs français qui n’a pas pu évoluer aux côtés de coureurs de cette trempe. La gagne se cultive, le haut niveau, et ce qu’il implique, s’apprend. Romain Bardet, et c’est très rare, a su de lui-même, de manière proactive, avec réflexion et caractère, chercher puis mettre en place les facteurs indispensables à la performance. Il a ainsi tiré toute son équipe vers les sommets. A Pierre Latour d’en profiter !

Le parallèle entre les tandems Latour/Bardet et Aru/Nibali n’est pas anodin car, au-delà de la notion de rivalité, la comparaison s’impose également en termes de caractéristiques. Vincenzo Nibali et Romain Bardet sont deux coureurs exceptionnellement fiables sur les Grands Tours, dotés d’une excellente capacité de récupération qui les rend très forts en troisième semaine. Ils sont également très « endurants », et cette endurance leur permet de briller dans les longues classiques où ils sont plus à l’aise que leurs cadets. Sans même parler de leurs formidables talents de descendeurs !

Fabio Aru et Pierre Latour sont plus explosifs sur des montées intermédiaires, sur des cols de vingt à trente minutes qu’ils gravissent dans un style plus expressif. Pour ne pas dire moins gainé. Ils semblent en fait plus « coûteux » au niveau énergétique, ce qui se paye dans la durée, et engendre plus de variations de niveau. Le Français ne possède pas le palmarès de l’Italien, et son potentiel s’est pour l’instant mieux exprimé sur des courses par étapes de quelques jours quant l’Italien est déjà à l’aise sur les Grands Tours. Mais Pierre Latour, par ailleurs meilleur rouleur de la bande, rend trois ans à un Fabio Aru qui a l’âge de… Romain Bardet ! Et c’est la différence fondamentale dans cette analogie, car les Italiens ont six ans d’écart contre seulement trois pour les Français. La concurrence risque donc d’être plus forte entre nos deux coureurs. Mais on ne va pas se plaindre de ce problème de riches ! A l’âge d’un Pierre Latour, auteur d’impressionnantes performances dès ses 20 ans en tant que stagiaire, Aru était loin derrière en termes de palmarès… Au Français de faire aussi bien que l’Italien dans sa vingt-quatrième année, pour rappel 3ème et 5ème du Giro et de la Vuelta !

Leurs caractéristiques, proches mais pas identiques donc, laissent à penser qu’il ne devrait pas y avoir de problème de cohabitation entre les deux Français, d’autant que le calendrier WorldTour est suffisamment riche (trop même… n’est-ce pas Marc Madiot !) pour qu’ils puissent s’y exprimer sans perdre les pédales, au moins l’an prochain. En revanche, en fonction de leur évolution respective mais également de celle de leur équipe, il est possible que la saison 2018, qui sera aussi celle de leur dernière année de contrat, marque le début d’un rapport concurrentiel susceptible d’influencer leur choix de carrière. Ce ne sont là que des supputations bien sûr, et de saines supputations car ce serait alors plutôt bon signe pour le cyclisme français ! »