Ce dimanche, la page danoise s’est tournée, et, avec elle, le premier chapitre de ce 109e Tour de France s’est conclu. Si de nombreux constats peuvent en être tirés, à l’instar de la suprématie des Quick-Step Alpha Vinyl sur les parties planes ou de la force collective du Team Jumbo-Visma, ce premier week-end conforte surtout Tadej Pogacar (UAE Emirates) dans son statut de favori ultime à la victoire finale. Sur le Grand Belt, là où lui et son équipe de grimpeurs pouvaient être mis en difficulté, il n’a essuyé aucun danger. Et sur le contre-la-montre inaugural, là où il pouvait être concurrencé, il s’est brillamment illustré.

Dans l’avion, quelque part entre la Scandinavie et la France, ses songes relèveront sûrement la perfection de sa situation. Au terme de trois premières étapes acclamées et d’un contre-la-montre mouillé, Tadej Pogacar est déjà troisième du classement général, 8 secondes devant Jonas Vingegaard (Jumbo-Visma), premier « des autres ».

Tadej Pogacar s’emparera-t-il du maillot jaune dès la Planche des Belles Filles ?

Néanmoins, il serait plantureusement erroné de s’enflammer et crier sur tous les toits que le slovène a d’ores et déjà remporté son troisième titre sur la plus grande course du monde. 8 secondes d’avance sur Jonas Vingegaard, c’est peut-être conséquent au regard des écarts actuels, mais insignifiant dans la perspective de Paris. C’est équivalent au plus faible écart enregistré sur les Champs-Elysées, ces fameuses secondes ayant privées Laurent Fignon du dernier maillot jaune du Tour 89. Mais les premières batailles du Tour ne sont-elles pas symptomatiques de l’issue de la guerre ? C’est à cette question que les statistiques suivantes tentent d’apporter une réponse, en dressant la comparaison entre premières étapes et classement général final sur les dernières décennies. Et, à ce jeu-là, Tadej Pogacar semble bien loti…

L’avance de Tadej Pogacar sur ses concurrents serait amenée à s’amplifier

Petite avance deviendra-t-elle grande ?

Si, par essence, le sport est imprévisible, l’Histoire s’est aussi construite comme une discipline riche d’enseignements pour le présent. C’est même à cet égard qu’il paraît pertinent de se plonger dans les annales du Tour pour analyser la tonitruante entame de course de Tadej Pogacar sous le prisme d’un passé chiffré. L’idée est la suivante : où se trouvait le vainqueur final par rapport à son futur dauphin à l’issue du premier week-end de Tour ? Pour répondre à une telle interrogation, il a donc fallu mesurer l’écart entre les deux premiers protagonistes du podium au terme des deux premières journées de course.

Ecart 1er - 2e du classement général final après le premier WE (en secondes)

Immédiatement, un constat s’impose. Le futur vainqueur n’a jamais été en retard par rapport à son principal rival. Au contraire, 8 fois sur 12, il s’en est immédiatement détaché. Et avec ses 8 secondes d’avance sur Jonas Vingegaard, Tadej Pogacar dépasse même les cas de Thomas – Dumoulin en 2018, Nibali – Péraud en 2014 et Evans – Schleck en 2011. Ne reste presque que l’exception de 2015, où 14 kilomètres de contre-la-montre et de vastes opérations de bordures avaient mis à flots la frégate Froome.

Un constat en trompe-l’oeil

Néanmoins, ces statistiques sont à relativiser avec leurs contextes respectifs. La présence d’une épreuve chronométrée dans les deux premiers jours de course est naturellement la première source d’écarts sur le premier week-end du Tour. Les années portant un astérisque matérialisent cette tenue initiale de prologues et symbolisent la corrélation de ces derniers avec l’amplitude des écarts. Dès lors, les huit secondes d’avance de Tadej Pogacar sur Jonas Vingegaard paraissent bien faibles en comparaison au passé. Même si l’on prend en compte les neuf secondes de marge sur Primoz Roglic (Jumbo-Visma) ou les 18 sur Geraint Thomas (INEOS-Grenadiers), cet écart deviendrait le plus faible enregistré dans ce registre si cette hiérarchie persistait jusqu’à Paris. De Pogacar conforté, doit-on plutôt parler de Pogacar ballotté ?

Primoz Roglic et Jonas Vingegaard, les deux leaders de la Jumbo-Visma, sont tous proches de Tadej Pogacar au classement général

Tadej Pogacar, premier des favoris, premier à Paris ?

Le contre-la-montre, révélateur du vainqueur

Un second graphique tend toutefois à renforcer sa sérénité. Le classement du prologue (ou contre-la-montre inaugural) est bel et bien représentatif de l’état des forces entre les ténors. Depuis l’an 2000, sept fois sur treize, le vainqueur du classement général final devançait déjà ses neufs poursuivants à l’issue de cet exercice bien particulier. Et si Lance Armstrong, en bon triathlète et maître de l’EPO, était un spécialiste de la discipline, ces statistiques sont partagées par trois autres coureurs (Contador, Wiggins et Froome). En creusant un peu plus loin, on s’aperçoit même que le vainqueur final n’était jamais placé bien loin dans cette précoce hiérarchie (4e au pire).

Au sein des 10 premiers du classement général final, à quelle place se situait le vainqueur à l'issue du prologue ?

D’une part, ces statistiques démontrent l’importance de la maîtrise de l’exercice chronométré dans la quête de la Grande Boucle. Avec plusieurs dizaines de bornes nez dans le vent tracées chaque année par l’organisation, les cancres du chrono sont lourdement pénalisés. Dans un récent passé, Nairo Quintana, mais aussi Andy Schleck, ont en notamment subi les effets. En s’illustrant de la sorte dans les rues de Copenhague, Tadej Pogacar s’est ainsi montré enclin à renouveler l’opération à la veille des Champs-Elysées, entre Lacapelle – Marival et Rocamadour, si jamais quelques secondes ne venaient à lui manquer.

D’autre part, en isolant les coureurs sur la chaussée, le contre-la-montre les force à se dévoiler. Plus de tactique, plus d’aspiration, mais juste de la force pure. A cet égard, l’exercice chronométré se transforme ainsi en une véritable sonde de l’état des forces en présence, même si elle n’est pas infaillible ! Thibaut Pinot avait notamment réalisé un formidable chrono à Utrecht en 2015 (18e, 9 secondes devant Froome), avant de craquer dès les premières rampes de la Pierre-Saint-Martin. Mais l’épreuve de Copenhague témoigne néanmoins du bel état de forme de Tadej Pogacar… pour le moment.

 

L’imprévu, bête noire des statistiques, ennemi de Tadej Pogacar

Tadej Pogacar est déjà paré du maillot blanc de meilleur jeune au terme de ce premier WE de course / Crédits ASO - Charly Lopez

Tadej Pogacar est déjà paré du maillot blanc de meilleur jeune au terme de ce premier WE de course / Crédits ASO – Charly Lopez

En effet, ces statistiques ne prennent compte que des premiers à l’arrivée finale du Tour de France, et non des favoris à son départ. Entre ces deux extrémités, la chute et la maladie font malheureusement des victimes chaque année, n’épargnant pas les ténors. Si Tadej Pogacar dispose apparemment d’une force herculéenne, elle n’en reste pas moins un humain, sujet aux coups du sort.

Les étroites routes du Nord, les cabosses des pavés ou encore la nervosité des sprints massifs pourraient bien anéantir ses rêves jaunes, sans qu’il n’en ait le temps de le réaliser. De brutaux changements de températures ou de conditions météorologiques seraient également susceptibles de nuire à sa santé. Touchez-en un mot à Romain Bardet, balayé du Giro par un virus, il vous le confirmera. Les statistiques ont beau encenser Tadej Pogacar, elles ne sont pas une parade à la fortune. Ce 109e Tour de France vient à peine de commencer, la route est longue et les péripéties nombreuses.