Arnaud, quelle émotion vous procure votre première victoire d’étape sur le Tour de France ?
C’est vraiment énorme, parce que le Tour touche non seulement le monde du vélo mais aussi le grand public. Y participer, c’est déjà quelque chose, mais gagner une étape c’est entrer dans une autre dimension… même si pour moi ça équivaut à Milan-San Remo. Je fais désormais partie des lauréats d’étape sur le Tour et c’est merveilleux. J’en rêve depuis que je suis passé pro. Ça avait été difficile pour mon premier Tour en 2014, mais j’ai abordé cette édition avec de bonnes jambes. Marc Madiot a mis une véritable équipe autour de moi sur ce Tour et je l’en remercie. Idem pour Thibaut Pinot qui a accepté ce sacrifice après un merveilleux Giro.

Le final dans Vittel a été nerveux et stressant, comment l’avez-vous perçu ?
Je savais que ça allait être nerveux car on n’a pas roulé trop vite et les sprinteurs sont arrivés frais. Ça a été une étape facile à contrôler avec un seul échappé très volontaire. Et quand c’est comme ça, on sait que ça va frotter dur ! Dans le final, j’ai vu la chute survenir avant la flamme rouge. J’ai alors perdu Jacopo Guarnieri, qui est bien égratigné, et j’ai esquivé de peu la gamelle. A ce moment là j’ai cru que c’en était fini de mes chances de gagner cette étape, j’ai commencé à douter, mais Davide Cimolai était encore là et il m’a replacé au bon moment. Je me suis faufilé, ça a été un peu limite, mais je savais que j’avais les jambes pour gagner, à compter du moment où je pouvais m’exprimer. J’avais peur qu’Alexander Kristoff ferme la porte sur la droite, j’ai fait l’effort sur la gauche sans voir que ça tombait derrière moi. Pour gagner il faut de bonnes jambes et un peu de réussite, j’ai eu les deux et c’est extraordinaire.

Vous vous étiez classé 2ème dimanche à Liège, 6ème hier à Longwy, vous sentiez-vous sur la voie d’une première victoire dans un Grand Tour ?
J’avais une vraie confiance en moi. J’avais de bonnes jambes sur le chrono, j’étais bien à Liège, et hier à Longwy, même si je savais que ça allait être difficile de faire un résultat, je pensais surtout à marquer des points pour le maillot vert. En haut, je me suis dit que la patte était là. Je savais que j’allais gagner un jour ou l’autre durant ces trois semaines, et le plus rapidement possible reste toujours le mieux. C’était l’objectif pour pouvoir relâcher la pression et récompenser les gars. Et maintenant je pense déjà aux prochaines donc c’est bon signe.

Marc Sarreau n’est pas sur le Tour, Mickaël Delage n’est pas à sa place, mais vous gagnez malgré tout. Comment vous adaptez-vous ?
Tout ne s’est pas déroulé comme à l’entraînement, mais sur le Tour, avec les meilleurs, il faut s’adapter. Un mec comme Mickaël Delage était encore là à 5 kilomètres malgré un genou en vrac, c’est fort, un coureur comme Rudy Molard est venu donner un coup de main à l’approche des 10 kilomètres… Le principal est d’être placé. Certes mes coéquipiers n’ont pas été présents dans les derniers hectomètres mais j’ai été piloté à la perfection, je n’ai pas trop pris de vent. Chacun peut permuter dans le train, c’est notre force que de pouvoir s’adapter en fonction des aléas de la course. Gagner comme ça c’est extra, j’imagine ce que ça pourrait être si nous étions tous bien en ligne.

Vous voilà Maillot Vert, pourriez-vous imaginer vous battre pour le classement par points ?
La priorité c’était vraiment de gagner en bleu-blanc-rouge. Le premier objectif est atteint, et avec les jambes que j’ai on va encore faire de belles choses durant ces trois semaines. J’aimerais récidiver, et on verra si le maillot vert peut devenir un objectif. Ce qui est sûr c’est que je ne voulais pas perdre de points bêtement, c’est pourquoi je me suis faufilé dans les sprints intermédiaires pour marquer des points. Peter Sagan reste le grand favori, le Tour est long et il faut faire attention, mais au moins je n’ai pas pris de retard.

Vous aviez traversé une crise de confiance il y a deux ans, comment avez-vous géré cette période ?
Je n’ai pas eu beaucoup de réussite en 2015, et une journée comme aujourd’hui j’aurais sans aucun doute été dans la chute. J’ai continué à travailler beaucoup, à progresser aussi, et ça n’a pas été une année de perdue. Psychologiquement, ça a été une période un peu difficile. Mais avec les capteurs de puissance, on peut voir où on se situe, et je savais que je marchais même si je ne levais pas les bras. Je n’ai rien lâché, j’ai continué à m’entraîner dur, et j’ai vite vu en 2016 que le travail n’avait pas été fait pour rien. Gagner Milan-San Remo m’a vraiment réconforté, ça vaut dix victoires.

Avez-vous le sentiment d’avoir changé de dimension désormais ?
C’est un travail de plusieurs années qui porte ses fruits aujourd’hui. Gagner sur le Tour, on a tous ça dans un coin de la tête, mais pour le réaliser c’est du travail. C’est le fruit d’un travail collectif, du recrutement de Marc Madiot, qui a recruté des coureurs de qualité pour pouvoir jouer la gagne dans des sprints comme ceux-là. J’ai moi-même pris de la caisse, gagné en maturité, beaucoup gagné en confiance après ma victoire dans Milan-San Remo. Se sentir épaulé comme ça joue beaucoup. Il y a une parfaite cohésion dans le groupe. Je sais aussi mieux ce que je veux et je sais l’exprimer à mes coéquipiers. Ils font entièrement partie de toutes mes réussites.

Vous êtes plus mature, plus confiant, et c’est ce qui fait la différence ?
Je suis aussi plus lucide dans les sprints. Quand on est à bloc, on perd beaucoup en lucidité, et on a tendance à ne plus savoir où on va. Mon premier Grand Tour, sur le Giro, j’étais à fond dans les roues, je ne pouvais pas lever le cul de la selle. Maintenant j’arrive mieux à lire le sprint, j’ai davantage de fraîcheur, je mesure mieux les risques. Je suis plus lucide, je me place mieux, je freine moins tôt, et je mets les roues là où je n’aurais pas osé en ayant des étoiles dans les yeux. J’arrive plus frais et plus serein à l’approche des sprints, et ça joue. Battre les meilleurs sprinteurs du monde, j’en rêvais depuis longtemps. Je l’ai fait et je veux récidiver.