François, pendant 48 heures le week-end dernier, tu as gravi et descendu le Mont Ventoux au profit de Mécénat Chirurgie Cardiaque. Quel sentiment t’anime aujourd’hui ?
Je suis allé au bout de mes forces. J’ambitionnais entre quinze et vingt montées, je n’en ai fait que treize en raison des conditions climatiques difficiles. Sur Internet, certains se sont demandés pourquoi je m’attaquais au Ventoux à cette période de l’année : d’abord parce que c’était mon anniversaire ce week-end, ensuite parce que ça s’inscrivait dans mon programme d’entraînement sur de l’ultra longue distance en vue de la RAAM en juin prochain. Il était écrit que je devais faire un 48 heures en cette fin d’année. J’ai eu une journée idéale vendredi mais les nuages ont commencé à s’accrocher au sommet dans l’après-midi. Le vent est monté, les nuages sont descendus jusque dans la forêt, si bien que j’ai effectué 40 % de l’ascension dans le brouillard pendant un jour et demi. Etant donné que je faisais les descentes à vélo, c’est là que ça m’a gêné.

Tu redoutais la descente de nuit pour ne l’avoir jamais expérimentée, quelle technique as-tu retenu ?
Quand tu es derrière la voiture, les feux stop sont si forts qu’ils t’éblouissent et que tu perds la notion de trajectoire. Avec un conducteur qui pilotait extrêmement bien et de manière très précise, je suis descendu de manière quasi parallèle à la voiture. Ça m’a permis de profiter de l’éclairage et de la visibilité. Je devais avoir une confiance extrême en mon pilote, lequel s’appuyait sur les indications du copilote pour savoir où je me tenais. De cette façon mon champ visuel était dégagé mais je ne suis évidemment pas descendu aussi vite que de jour.

Dans ton défi, n’était-il pas préférable de descendre en voiture, comme l’ont fait ceux qui se sont attaqués au record d’ascensions par le passé ?
Je respecte ces records du nombre d’ascensions, qui nécessitaient de descendre en voiture pour ne se concentrer que sur la montée. Mais moi je fais du vélo, que ça monte ou que ça descende. Le cycle, c’est monter et descendre. Si je monte un col, c’est pour le descendre, parce que j’aime ça ! Même si descendre de nuit demande de la technique, un éclairage, un équipement. J’avais un vélo pour monter, un vélo pour descendre. Mon défi et ma satisfaction, c’est que personne ne m’a aidé pendant 48 heures. Il y avait tellement de tempête dans les deux dernières ascensions qu’il m’était impossible, dans les 150 derniers mètres, de finir sur le vélo. Je l’ai monté à pied, seul, sans aide. Ce n’était plus tellement du vélo mais je suis allé au bout de mon challenge : moi, mon vélo et le Ventoux pendant 48 heures.

Et le vent…
C’était une tempête ! Sur les cinq dernières ascensions, ça soufflait peut-être à 150 km/h, et ça tourbillonnait, le vent changeant brusquement d’orientation. J’ai manqué plusieurs fois de me casser la gueule. Je faisais des écarts de trois mètres sans savoir où j’étais avec le brouillard, c’était comme si des mecs me donnaient des coups d’épaules de droite et de gauche.

Face à des conditions climatiques défavorables en octobre, n’envisagerais-tu pas de retenter l’expérience au printemps pour porter ta performance à hauteur de tes ambitions de départ ?
C’est vrai, j’y pense. Les problèmes de météo m’ont enlevé au moins deux répétitions. Je suis un amateur entraîné au moral d’acier mais je dois encore m’endurcir avant d’affronter la RAAM. J’ai fait ces 48 heures pour me renforcer psychologiquement. J’ai choisi le Ventoux, la montagne que j’aime, car j’étais à la recherche d’un choc, d’un défi du genre « ça passe ou ça casse ». Aujourd’hui je suis super heureux d’avoir affronté le Ventoux dans la difficulté de la météo. Mon team m’a dit que je l’avais impressionné par mon mental.

En combien de temps as-tu gravi le Ventoux ?
J’ai toujours tourné autour de deux heures. Me rendant compte que je ne pourrais pas faire quinze ascensions, on a revu le programme pour que j’en réalise treize. Je craignais d’avoir un coup de mou total. J’ai donc réalisé l’avant-dernière ascension de manière exagérément soft, en 2h30, pour réaliser la dernière montée à mon train et terminer douze minutes avant les 48 heures.

Sur ces 48 heures, comment as-tu géré ton alimentation ?
Nous avions programmé des tas de choses. L’idée, c’était de manger quand je pédalais pour profiter des arrêts pour le massage et le sommeil. Dans la première tranche de 24 heures, j’ai dormi deux heures et demie. Assez tôt finalement car, étant parti sans compteur, j’ai effectué les trois premières acensions en moins de deux heures. Je commençais alors à avoir l’estomac chargé et à avoir des difficultés à manger : il m’a fallu une demi-heure de plus à la quatrième ascension. J’ai pris un gros coup au moral, si bien que mon staff m’a obligé à m’arrêter. J’ai dormi et décidé de m’alimenter essentiellement durant les pauses. Je suis rentré dans un autre cycle. J’ai mangé salé, de la soupe, des saucisses, de la pizza, mais je me suis au final assez peu alimenté.

Tu disais avoir dormi deux heures et demie sur la première tranche de 24 heures, comment as-tu géré ton sommeil ?
Durant la première tanche, tu n’as pas envie de dormir tant tu es excité. J’ai dû dormir aux alentours de 2h00 du matin (NDLR : le défi a commencé à 10h00 vendredi), mais c’est tout. En revanche, dans la seconde tranche de 24 heures, je faisais des sommes de 30 minutes. J’appréhendais de tituber. Dans la dernière descente, sur les longs bouts droits monotones, je me suis battu contre le sommeil.

Ton quartier général était installé dans un mobil-home au pied du Ventoux. En quoi consistait l’organisation ?
Quand j’arrivais, le team m’avait préparé quelque chose à manger. Je débriefais tout de suite, je disais où j’avais mal, puis je mangeais tant bien que mal, on me déshabillait complètement, puis je me faisais masser, manipuler, et je dormais en même temps. L’ostéo m’a dit qu’il ne pensait pas qu’un mec pouvait se faire manipuler les cervicales tout en dormant ! Mon physiologiste avait décelé que, chez moi, poser le pied à terre était un échec. Quand je fais l’Etape du Tour par exemple, je ne m’arrête pas aux ravitos. Il m’avait dit d’accepter de penser que l’arrêt est nécessaire à être meilleur sur l’ultra. Rapidement, j’ai pensé à ce qu’il me disait. Je souffrais sur le vélo mais mon havre de paix était de retrouver le mobil-home et l’ostéo pour m’endormir entre ses mains. C’était ma motivation.

As-tu désormais le sentiment de faire partie d’une confrérie qu’on pourrait définir comme les « fous du vélo » ?
Niveaux athlétiques mis à part, je pense qu’il existe une communauté intellectuelle, une vision du sport qui nous est commune à quelques challengers comme moi. Etre pionnier, le premier à avoir fait quelque chose, ça flatte l’orgueil. Je pense que je referai 48 heures sur le Ventoux. J’ai aujourd’hui une expérience, je sais quelles erreurs je pourrai corriger, et c’est quand même une montagne unique. Et puis je recherche à présent de partenaires pour faire la RAAM en juin 2014. Pour plus d’infos : www.fjw-challenges.com.

Propos recueillis à Paris le 22 octobre 2013.