Jean-Pascal, qu’est-ce qui t’a obligé à mettre la flèche dimanche matin dans ta onzième montée du Ventoux après plus de 27 heures d’effort ?
La dixième descente a été tellement froide qu’elle m’a fait lâcher. Après, je n’avais plus beaucoup de jambes. J’avais également très mal au genou. Je n’avais plus la possibilité de pédaler donc plus moyen de me réchauffer. J’avais un objectif de douze, treize voire quatorze montées. L’idée n’était pas de faire le plus de montées sur 24 heures, mais d’en enchaîner le plus possible. Comme je suis allé un peu plus vite que prévu, j’ai changé d’objectif en cours de route puisqu’il était devenu possible de faire dix montées et descentes en 24 heures. En résumé, j’ai voulu être un peu trop gourmand et courir après deux lièvres à la fois. J’ai réussi à attraper le deuxième, à atteindre l’objectif secondaire qui n’était initialement pas prévu, en bouclant les dix montées en 24 heures. Je tenais déjà la meilleure performance sur 24 heures avec onze montées, mais en descendant en voiture depuis 2006. Dix montées en 24 heures, en descendant en vélo, ce n’est déjà pas mal et ça suffisait à mon bonheur.

Finalement la limite n’était-elle pas atteinte au niveau psychologique et physiologique ?
J’aurais bien voulu faire les deux suivantes, avoir du jus. Il me restait douze heures pour en faire deux, j’aurais très bien pu me traîner jusqu’au sommet. Mais j’ai pensé à mon assistance à commencer par ma femme et mon fils. Ce n’est déjà pas rigolo de suivre quelqu’un qui monte à 10 km/h, alors à 5 km/h… J’ai aussi pensé à mes patients car je travaillais le lendemain. J’ai donc décidé que c’était suffisant. La onzième montée est inachevée, mais on est tout de même monté jusqu’au Chalet Reynard, on a bu un chocolat, puis on est descendu.

Aucune déception donc, bien au contraire ?
Absolument ! J’ai fait ce que j’ai pu et je ne rentre pas bredouille ! Je n’ai pas ramené le lièvre après lequel je courrais, mais quelque part, si j’ai basculé sur mon deuxième objectif, c’est parce que j’étais plus performant que prévu. Je ne peux donc pas être déçu de pédaler trop bien. A quoi bon courir après le premier lièvre alors que je n’avais plus de cartouches ? D’autant plus que la météo n’était pas géniale. Autant la météo avait été relativement clémente le samedi, autant le dimanche matin, ce n’était pas drôle. C’est d’ailleurs ce que vit actuellement Stéphanie Gros aujourd’hui dans sa tentative de record du monde de dénivellation positive (à suivre toute la journée sur Vélo 101).

La chaleur s’était pourtant installée sur le Ventoux dans l’après-midi…
La chaleur, je n’aime pas ça, c’est vrai là où certains fonctionnent à l’énergie solaire. Mais la chaleur, on ne l’avait que sur Bédoin. Certes il faisait un peu trop chaud, mais il faisait toujours froid en haut. Comme je redescendais à vélo, j’étais frigorifié à chaque descente et je repartais en légère hypothermie. Descendre en vélo, quand il fait très chaud, c’est donc plutôt un avantage. En descendant en voiture, j’aurais transpiré dès ma remontée sur le vélo. Au final, oui, j’ai souffert de la chaleur, mais sur le Ventoux, il n’y aura jamais de conditions idéales. Il fera toujours trop chaud en bas et trop froid en haut. Globalement, ce n’était donc pas si mal et j’ai connu pire dans le Ventoux. D’autant que le vent était assez favorable là haut.

Dans quelle mesure, le fait de descendre à vélo a été pénalisant par rapport à 2006 quand tu descendais en voiture ?
Il faut distinguer la descente de jour et la descente de nuit. De jour, tu descends pratiquement aussi vite, tu vois bien, tu n’es pas crispé. Tu as même l’avantage de pouvoir te refroidir. En revanche, la nuit, c’est très stressant. Je criais à toutes les entrées de virage pour faire fuir le gibier qui pouvait se trouver à la sortie ! J’étais toujours sur les freins. Même dans les lignes droites, tu dois rester concentré. Et puis il y a ce froid qui t’envahit au bout de quelques kilomètres… Aujourd’hui, j’ai plus mal aux bras qu’aux jambes à cause de cette crispation dans les descentes. Des contractions aussi que je retrouve dans les muscles cervicaux. En plus de cela, ces descentes font perdre du temps. On ne va pas vite et on ne peut pas s’alimenter. Arrivé en bas, il faut enlever toutes les épaisseurs et manger un peu de solide. C’est donc une perte de temps et une perte d’énergie.

En grossissant le trait, ces descentes de nuit pourraient-elles être considérées comme le principal obstacle de ton défi ?
Disons qu’elles ont porté le coup de grâce. Quand je me suis lancé dans la dixième descente vers 6 heures, j’avais encore pour but d’en faire deux supplémentaires. Arrivé en bas, je n’étais plus en état. Elle m’a fait lâcher psychologiquement avec le froid et le fait d’avoir atteint un objectif. On peut considérer que je suis le meilleur performeur en descente en voiture depuis 2006 et en descente à vélo depuis ce week-end. Quand on y pense, faire dix montées et descentes du Ventoux, c’est presque mieux que de faire douze ou treize montées de suite. Je ne peux pas être déçu de ramener un gibier plus gros que celui que j’étais parti chasser.

Comment se sont passées tes dernières 48 heures ?
Étonnamment bien. Mieux qu’il y a dix ans quand je n’étais pas allé travailler le lendemain. Lundi matin, mis à part des douleurs aux pieds, j’étais comme au lendemain d’une grosse cyclo. J’étais un peu courbaturé, mais sans plus. Il y a dix ans j’avais également connu des problèmes pour dormir la nuit. Là j’ai passé deux nuits très correctes.

Ta performance a été très suivie sur la page Facebook de Vélo 101. Nos internautes se sont interrogés sur le matériel que tu utilisais.
J’ai un Trek Emonda SLR. J’ai changé la selle pour plus de confort. J’ai aussi opté pour un pédalier ovale en 34. Ça aide quand on est fatigué. J’avais mis une cassette de 11-32, mais je ne me suis pas beaucoup servi du 32, sauf dans la onzième montée. Avant cela, j’ai beaucoup utilisé le 28. 34X32, c’est le braquet minimum que je pouvais avoir de toute façon avec un double plateau. Pour faire moins, il fallait un triple, mais ce n’est pas encore de mon âge (il rit). J’avais également des roues Mavic Ksyrium Pro Carbon à 1200 grammes. Je n’ai pas cherché la légèreté à tout prix. Mon vélo était aux alentours de 6,3 ou 6,4 kilos.

Qu’en est-il au niveau alimentaire ?
J’avais des produits énergétiques de marques différentes. J’ai pris beaucoup de salé. Quand il faisait froid, je carburais pas mal à la soupe, et plus généralement des boissons chaudes de type thé au miel. On brûle beaucoup de calories. Mon compteur m’indiquait 21 000 calories, mais on n’a pas l’obligation d’en consommer autant. D’ailleurs, il ne faut surtout pas s’amuser à compenser toutes les calories perdues ! Au contraire, il vaut mieux avoir une petite hypoglycémie qu’une indigestion, une panne qu’un excès. Dans la première situation, tu repars au bout de 30 minutes, dans le deuxième tu rentres chez toi. Je n’ai pas eu l’occasion de me peser samedi matin, mais je pense avoir perdu entre 500 grammes et un kilo grand maximum. En revanche, il faut évidemment beaucoup boire. Uriner toutes les deux ou trois heures, c’est bon signe.

Avais-tu suivi une préparation particulière pour ce défi ?
Je n’avais même pas fait deux Ventoux d’affilée en préparation ! Je l’avais monté quelquefois avant cela, mais jamais plusieurs fois. Depuis le 1er janvier, j’ai dû faire 6000 kilomètres. Donc j’ai roulé, mais rien de spécifique.

Grâce à ce défi, tu fêtais les dix ans de ton premier record. As-tu quelque chose en tête pour mai 2026 ?
J’ai fait la promesse à ma femme que c’était la dernière fois. J’y ai trouvé un peu moins de plaisir. L’objectif était moins clair dans ma tête. Preuve en est, j’ai changé d’objectif en cours de route. Je ne vois pas ce que je pourrais prouver encore dans le Ventoux. Pour réaliser ce genre de défis, il faut une grosse motivation. Je crains que je ne puisse pas l’avoir. De toute façon, je ne pourrais faire que moins bien donc je ne vois pas l’intérêt. Je vais avoir 52 ans et ces bêtises-là, c’est fini pour moi. Mais je sais aussi que c’est ce que je dis à chaque fois…

Propos recueillis le 24 mai 2016.