Roglic déserté par Van Aert, la crainte de l’Ardèche

Après une entame de course tonitruante de la Jumbo-Visma, marquée par deux impressionnants triplés, l’écurie néerlandaise avait montré un tout autre visage sur les routes de l’Ardèche, isolant précocement son leader, Primoz Roglic. Contraint de se débrouiller seul et de faire face à l’ensemble de ses adversaires, le slovène avait été tout heureux que ces derniers n’en profitent pas plus pour l’attaquer. Volontairement distancé en amont des dernières difficultés, Wout Van Aert avait été notamment pointé du doigt pour ses manquements. Poursuivant ses propres objectifs, orientés vers la préparation des monuments printaniers, le belge donna effectivement l’impression de ne poursuivre que ses propres intérêts.

Kruijswijk, Laporte et Van Aert ont fait partie de la garde rapprochée de Primoz Roglic tout au long de la semaineKruijswijk, Laporte et Van Aert ont fait partie de la garde rapprochée de Primoz Roglic tout au long de la semaine | © Jumbo Visma

A mi-course, le flamand avouait d’ailleurs cette posture dans les médias : « Je veux en garder sous le coude pour être en pleine possession de mes moyens au départ des grandes classiques. ». La déclaration a le mérite de l’honnêteté. Il expliquait ainsi vouloir répondre aux exigences de l’équipe, sans chercher à se surpasser pour autant dans un rôle de gregario. « Mentalement, ça serait trop pesant pour moi de faire toute la course à bloc. Si samedi mon seul but est de placer Primoz à l’avant au pied du col, puis de monter à mon rythme, ça me va. » ajouta-t-il ainsi. Service minimum pour le mercenaire Van Aert.

Dans une langue tout autant déliée, Primoz Roglic montrait au contraire que cette attitude n’était pas tout à fait de son goût. Partiellement privé de Steven Kruijswijk, gêné tout au long de la semaine par les conséquences d’une chute, le slovène ne pouvait plus compter que sur les services de Rohan Dennis, vaillant dans son travail mais insuffisant dans la protection du maillot jaune. A Saint-Sauveur-de-Montagut, la désertion de Wout Van Aert se faisait sentir, et inquiétait même le slovène : « J’ai conscience que Wout n’est pas là pour se tuer à la tâche [mais] cela pourrait finir par être problématique, tout le monde se souvient ce qui m’est arrivé l’an passé et cette année encore, l’étape de dimanche devrait être la plus importante. Mais il va bien falloir faire sans. ». L’amer spectre de Levens hantait encore l’esprit du slovène. Victime de chutes, le slovène avait été abandonné dans la pampa par ses équipiers. Oublié par son succès sur la Vuelta, ce cauchemar ressurgissait soudainement du fait des évènements.

Dans l'étape ardéchoise, Primoz Roglic ne put pas compter sur le soutien de Wout Van Aert, alors maillot jauneDans l’étape ardéchoise, Primoz Roglic ne put pas compter sur le soutien de Wout Van Aert, alors maillot jaune | © Jumbo Visma

 Roglic porté par Van Aert, la réponse de Nice

Après avoir résisté autoritairement à la meute des cadors dans l’ascension du col de Turini, qu’il mata même en remportant l’étape au sommet, Primoz Roglic se présentait au départ de Nice avec une certaine appréhension. Ce traditionnel tracé, court et explosif, a maintes fois démontré dans le passé qu’il était propice à de sacrés retournements de situations. En 2018, Marc Soler s’était ainsi hissé de la 6e place du classement général à la plus haute marche du podium. Ou en 2017, Alberto Contador avait fait trembler Sergio Henao, finalement vainqueur pour deux petites secondes. Du haut de ses 32 ans, Primoz Roglic en avait suffisamment vu pour être conscient du danger qui le guettait.

Il ne fut pas déçu lorsque le 3e du classement général, Daniel Felipe Martinez (INEOS-Grenadiers), l’attaqua à 50 bornes de l’arrivée. Ni quand Simon Yates (BikeExchange – Jayco) profita de sa relative faiblesse pour s’envoler à l’avant de la course, escalant effrénément le col d’Eze. Vraisemblablement victime d’une fringale, ou apparemment dans un mauvais jour, le slovène aurait pu perdre gros, et répéter encore son histoire tragique sur la Course au Soleil. Mais un ange le sauva.

Wout Van Aert a littéralement porté Primoz Roglic dans l'ascension du col d'Eze, à la poursuite de Simon YatesWout Van Aert a littéralement porté Primoz Roglic dans l’ascension du col d’Eze, à la poursuite de Simon Yates | © Jumbo Visma

Lucide quant au caractère décisif de l’étape, soucieux de ne pas froisser son manager et directeurs sportifs, Wout Van Aert se mua en lieutenant idéal, en protecteur de rêve. Isolé avec son leader, Simon Yates et Nairo Quintana, il s’échina à rouler dans la vallée puis mena en maître la chasse au britannique. S’il ne parvint finalement pas à le rattraper, et s’adjuger par la même occasion son second bouquet de la semaine, le belge permît à Primoz Roglic de conserver, cette fois, sa précieuse tunique dorée. Ahurissant de force, le flamand aurait pu aisément s’en aller seul dans le col d’Eze pour enrichir un peu plus son palmarès personnel. Mais il attendît patiemment son aîné chaque fois que celui-ci décrochait, dans une forme d’abnégation la plus totale qu’il soit. A l’arrivée, il s’agit sûrement d’une victoire de perdue. Mais grâce au soutien unanime ainsi acquis, il en retrouvera vraisemblablement 10 semblables.

Laporte couronné par Roglic et Van Aert, la preuve des Yvelines

Laporte, Roglic et Van Aert célébrant la victoire du français à Mantes-la-VilleLaporte, Roglic et Van Aert célébrant la victoire du français à Mantes-la-Ville | © Jumbo Visma

Et si cette dévotion aveugle n’avait pas suffi à vous convaincre de la force collective de la Jumbo-Visma, rappelez vous l’entame de semaine de l’équipe néerlandaise. Décidé à éliminer les meilleurs sprinteurs au profit de Wout Van Aert, le « train jaune » avait alors fait exploser le peloton dans la côte de Breuil-Bois-Robert. Nathan Van Hooydonck mit d’abord le paquet en file indienne, puis Christophe Laporte, recrue hivernale, se chargea de détacher la fusée du reste. Basculant de justesse avec ses leaders au sommet, le français aurait pu se ranger à l’arrivée, laissant les plus grosses bonifications à ses leaders. Celles-ci auraient d’ailleurs pu manquer à Primoz Roglic cet après-midi, si le combat à distance face à Simon Yates avait été plus serré. Mais en grands seigneurs, reconnaissant du boulot de leur gregario, Roglic et Van Aert laissèrent Laporte remporter sa première victoire en World Tour. Et ça, c’est le signe d’un groupe qui vit bien.

Par Jean-Guillaume Langrognet