Le Top 5 des plus belles courses cyclistes 2021

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N°5 : La 17e étape du Tour d’Espagne, Unquera > Lagos de Covadonga

C’est lorsqu’ils sont blessés dans leur orgueil que l’on reconnait les grands champions. Et ce mercredi 1er septembre 2021, Egan Bernal a prouvé qu’il en était un. Malmené par Primoz Roglic depuis l’entame du Tour d’Espagne, relégué à près de trois minutes au classement général après des débours réguliers, le colombien se décide à tenter le tout pour le tout dans la terrible Collada Llomena (7,6km à 9,1%). Placée à deux reprises sur le parcours du jour par les organisateurs, celle-ci tendait pourtant à s’écraser sur le papier face à l’épouvantail des Lacs de Covadonga, dont la montée était d’autant plus précédée d’une longue portion de vallée.

Mais les champions n’écoutent pas les briefings, dépoussièrent les stratégies, tendant vers l’imprévisible. Et lorsqu’une pluie battante s’est abattu sur un peloton déjà affaibli par le poids de trois semaines d’une course intense, le vainqueur du Giro s’est lancé à l’assaut de l’impossible. Dernière wagon du train infernal mené par son équipe, le natif de Bogota a accéléré sans se lever de sa selle, en patron. D’un regard dur accompagné d’un coup de pédale obstiné, il s’est naturellement détaché d’un groupe disloqué. Dans sa roue, seul Primoz Roglic résistait. Bernal versus Roglic. Le grand affrontement vendu par la startlist de cette 75e Vuelta prenait enfin forme. Il ne surgissait qu’après 16 jours de course, mais déboulait à l’écran lorsque celui-ci indiquait encore plus de 60 kilomètres à parcourir.

D’un coup de pédale, d’un jarret malmené, Egan Bernal enflammait une épreuve longtemps rongée par la morosité. Seul, il défiait Primoz Roglic, mais menaçait également tous les prétendants au podium, qui tentaient tant bien que mal de s’organiser à sa poursuite. Son effort aurait d’ailleurs pu rester vain s’il n’avait pas reçu une aide salutaire dans son entreprise. Celle du maillot rouge en personne. Saisissant l’occasion de s’envoler une bonne fois pour toutes au classement général, de se défaire définitivement du chewing-gum Enric Mas, Primoz Roglic mit la min à la pâte. Alliés de circonstance, les deux rivaux s’en allèrent, poussant même leur avance à 2 minutes au pied de l’ultime ascension.

Egan Bernal et Primoz Roglic en échappée sur la route des Lacs de CovadongasEgan Bernal et Primoz Roglic en échappée sur la route des Lacs de Covadongas | © ASO / Charly Lopez

Et lorsqu’Egan Bernal apparu fatigué, le visage marqué, le coup de pédale heurté, Primoz Roglic le poignarda. D’une attaque, le slovène s’échappa conquérir un bouquet de prestige et un maillot rouge des plus résistants. Son épopée se conclut effectivement avec 1 minute 30 d’avance sur ses poursuivants, dont le dernier figurant à passer la ligne fut Egan Bernal. Héros malheureux de la journée, le colombien acquit toutefois sa maitrise en panache. Plus que sur tout podium, c’est dans cette défaite qu’il étincela.

 

N°4 : La 8e étape du Tour de France, Oyonnax > Le Grand Bornand

Pourquoi attendre quand on peut assommer le Tour ? C’est sûrement la question que s’est posé Tadej Pogacar dans l’ascension du col de Romme, avant dernière difficulté d’une première journée de montagne chargée sur la Grande Boucle. Peu familier de la notion de suspense, le slovène s’est effectivement débarrassé de tous ses adversaires en Haute-Savoie, assurant son maillot jaune d’une fantastique épopée. S’il a clos d’une traite la bataille pour le haut du podium sur les Champs-Elysées, la manière le vaut largement.

C’est ainsi que sous une pluie battante, en conclusion d’un travail de sape mené au préalable par ses équipiers, le tenant du titre s’en est allé à 30 kilomètres de l’arrivée. D’abord accompagné de l’équatorien Richard Capapaz, Tadej Pogacar a vite conjugué son aventure à la posture solitaire, tant son rythme était intenable. Pédalant tambour-battant face à des poursuivants désorganisés, le natif de Kiruna n’a cessé de faire croître son avance. Alertant sans cesse assise et danseuse, relançant régulièrement, le coureur du Team Emirates s’est couronné roi des grimpeurs en ce samedi 3 juillet.

Tadej Pogacar pouvait bien avoir le sourire au Grand Bornand, après un tel exploitTadej Pogacar pouvait bien avoir le sourire au Grand Bornand, après un tel exploit | © ASO / Charly Lopez

Apparemment aérien, il s’est véritablement envolé sur les pentes de la Colombière, ébouriffant les spectateurs de sa force et son talent. Depuis le bord de la route, sa forme transparaissait. La fluidité de son mouvement de pédalier semblait contraire à la violence de l’effort fourni. Au passage de la ligne d’arrivée, tracée dans le hameau du Grand Bornand, il avait même comblé six des sept minutes qui le séparaient de l’échappée au moment de son offensive. Et surtout, il reléguait Alexey Lutsenko, « premier des autres », à 4 minutes 30 au classement général. Un gouffre à Paris. Un abîme au soir de la 8e étape. Incontestable monarque, légitimé auprès de ses rivaux, adulé par ses partisans, Tadej Pogacar pouvait régner en paix sur les deux dernières semaines de Tour.

 

N°3 : 5e étape de Tirreno-Adriatico, Castelalto > Castelfidardo

« Je ne me souviens pas avoir autant donné dans une course », dixit Mathieu Van der Poel à l’arrivée. La citation est d’autant plus impressionnante quand on connaît la générosité du néerlandais dans l’effort. Coureur téméraire, attaquant infernal et rouleur intrépide, le petit-fils de Raymond Poulidor a livré sur les routes italiennes une nouvelle épopée d’anthologie. Tuméfié par la pluie glaciale glissant sur sa peau et imprégnant ses vêtements, le phénomène hollandais a décidé de se réchauffer. Bidon bouillant ? Paletot chaud ? Abandon de fortune ? Que nenni. Une grande offensive, voilà l’option préférée par MVP. Après une première banderille à 66 kilomètres de l’arrivée, que quelques courageux avaient accompagnés, le coureur d’Alpecin-Fenix s’en est allé seul à 50 bornes du final, dans une étape parsemée de murs et de montées accablantes.

Largué au classement général, celui-ci a rapidement pris la poudre d’escampette, se forgeant une confortable avance sur des poursuivants frigorifiés. Dans son style caractéristique, affublé d’amples mouvements des épaules, Mathieu Van der Poel se livrait comme un lion sur sa machine, sans gestion de l’effort aucune. Son panache manque d’ailleurs de lui coûter cher, tant il s’écroula dans l’ultime ascension du mur de Castelfidardo, voyant son avance fondre sur Tadej Pogacar. En effet, bien décidé à assurer son maillot bleu face à Wout Van Aert en prévision du contre-la-montre final, le slovène s’était détaché du groupe de poursuivants pour fondre sur l’homme de tête, si bien qu’il ne lui aurait fallu qu’une centaine de mètres supplémentaires pour le dépasser.

Exténué, Mathieu Van der Poel n'a même plus la force de célébrer au passage de la ligne d'arrivéeExténué, Mathieu Van der Poel n’a même plus la force de célébrer au passage de la ligne d’arrivée | © Tirreno – Adriatico

Affaibli par des conditions climatiques particulièrement difficiles, vidé par sa cavale, Mathieu Van der Poel s’est fait très peur dans les ultimes instants de sa folle entreprise. Mais son heureuse fin est amplement méritée. Incapable de lever les bras au passage de la ligne, il pouvait toutefois savourer intérieurement le bouquet de cette épopée, et se jurer qu’il recommencerait. Et c’est avec hâte qu’on le retrouvera à l’animation de la saison 2022.

 

N°2 : Paris-Roubaix 2021

Cette première édition automnale marquera les esprits pour l’éternité. Disputé sous une pluie diluvienne et sur une boue épaisse, « l’Enfer du Nord » a renoué avec l’origine de son surnom après vingt ans de clémence météorologique. La course féminine du samedi avait fait étal du chantier qui attendait les hommes le lendemain. Et les spectateurs ne furent pas déçus. Courues de fond en comble, ces 260 bornes infernales ont été traversées avec une intensité inouïe. Secoué par les chutes, les attaques et les défaillances, le peloton des favoris s’est réduit à peau de chagrin avant même le franchissement de la trouée d’Arenberg. Et a complètement explosé à sa sortie. A la poursuite d’une échappée de costauds, Sonny Colbrelli et Mathieu Van der Poel ont entériné sa dislocation à plus de 70 kilomètres du vélodrome de Roubaix, en se défaisant tour à tour de leurs rivaux. On ne compte plus les battus, mais épèle les survivants.

Une poignée d’hommes résument ainsi le combat hors du commun se dessinant sur les pavés des Hauts de France et les téléviseurs du monde entier. A l’avant figure l’insaisissable Gianni Moscon, bluffant d’aisance dans cet élément. A sa poursuite caracole le duo Colbrelli – Van der Poel, avalant un à un les rescapés de l’échappée matinale. Seul l’étonnant flamand Florian Versmeersch parvient à s’accrocher à leur roue, pour sa première participation à l’épreuve. Les kilomètres passent et Moscon résiste. Encore et encore. Puis crève et chute. Encore et encore. La folie de Roubaix illustrée. D’un coup du sort, d’un boyau un peu plus gonflé, tout peut basculer. Le transalpin en a fait les frais. Irrémédiablement lâché par les assauts de Van der Poel, il goûte à la cruauté de l’Enfer.

Une image marquante de cette édition particulière de l'Enfer du Nord : les corps recouverts de boue, jusqu'à la méconnaissanceUne image marquante de cette édition particulière de l’Enfer du Nord : les corps recouverts de boue, jusqu’à la méconnaissance | © ASO / Pauline Ballet

Favori en puissance, le néerlandais semble alors avoir course gagnée. Mais lui aussi subit la dureté de Roubaix. Vidé de tout tranchant, il s’est résigné à disputer le pavé au sprint, face à un Colbrelli décomplexé. En passe de remporter le premier Monument de sa carrière, l’énergumène lombard est survolté. D’un mouvement de hanche, il se défait aisément de son rival hollandais sur la piste du vélodrome d’arrivée, et se défait sans plus de difficulté de Vermeersch. En gladiateur rayonnant d’allégresse, il se dresse une dernière sur ses pédales pour recevoir les palmes d’honneur qu’il mérite.

Entièrement recouvert de boue, le visage tuméfié de terre et le corps vidé de forces, l’Italien hurle son agonie entremêlée d’un grand bonheur. Celui d’être entré dans la légende.

 

N°1 : Les Championnats du monde sur route 2021

Il y a sûrement une once de patriotisme dans un tel choix de positionnement. Mais comment faire autrement avec le souvenir d’un déluge d’émotions sans pareil ? De ce fabuleux dimanche 26 septembre, la mémoire retiendra que c’est l’équipe de France qui a tout fait exploser. Tandis que les courses Espoirs et Féminines avaient confirmées les présages d’une arrivée groupée, Voeckler et ses hommes ont tout fait pour les contredire. D’attaques en attaques, les bleus ont usé et épuisé leurs adversaires, jusqu’à les faire craquer. Au cours d’une fantastique course de mouvement qu’ils animèrent de bout en bout, ils écrémèrent le peloton jusqu’à ce qu’il soit assez mûr pour exploser. Après maintes poursuites menées et moultes équipiers cramés, une seule attaque de Julian Alaphilippe a suffit pour enterrer la majorité des sprinteurs, initialement candidats aux liserés arc-en-ciel.

Les quatre suivantes lui permettront de distancer l’ensemble du groupe qui avait pris sa roue, Van Aert, Colbrelli, Mohoric, Pidcock, Evenepoel et Van der Poel compris. C’est d’ailleurs à l’énumération de ces prestigieux noms que l’exploit prend forme, jusqu’à atteindre une hauteur vertigineuse. Réaliser que neuf valeureux guérilleros tricolores ont retourné le monde du cyclisme pour en vaincre les stars est une expérience enivrante, et particulièrement jouissive. Se souvenir de l’extraordinaire dévouement de Valentin Madouas, des frénétiques cavales de Benoît Cosnefroy ou de l’impressionnante maîtrise de Florian Sénéchal génère instantanément sourire et larmes.Au sommet de la principale bosse du circuit de Louvain, Julian Alaphilippe jaillissait seul à 17km de l'arrivéeAu sommet de la principale bosse du circuit de Louvain, Julian Alaphilippe jaillissait seul à 17km de l’arrivée | © Deceuninck Quick-Step

Mais le plus galvanisant fut certainement l’étourdissante échappée de Julian Alaphilippe, faite d’euphorie et de peur, de courage et de souffrance, de glucides et d’acide lactique. Longtemps, le natif de Saint-Amand-Montrond ne garda qu’une poignée de secondes d’avance sur un quatuor de poursuivants composé de Dylan Van Baarle, de Jasper Stuyven, de Michael Valgren et de Neilson Powless. Interminablement, on crut son audace veine, et son entreprise promise à l’échec. Puis au moyen d’incessantes relances et de multiples grimaces, l’écart cru. Jusqu’à l’extase. L’exultation. L’hystérie. Et ces sentiments parfumeront le souvenir de cette journée d’Histoire, dont tous les enfants qui n’auront pas connu Julian Alaphilippe entendront assurément parler. Celle du français champion du monde qui a gardé sa tunique arc-en-ciel un an de plus.

Par Jean-Guillaume Langrognet