L’île d’Oléron et son pont, Royan et ses bâtisses de charme, La Rochelle et ses tours, ou encore l’île de Ré et sa pampa aussi sèche que l’été… Autant de points de curiosité dans une étape aux allures d’itinéraire touristique que les coureurs n’ont pas eu le temps d’apprécier, mis à part quelques attardés peut-être. Mais aujourd’hui il fallait être vif et pleinement focalisé sur sa roue-avant pour éviter les multiples pièges que le bord de mer proposait, entre vent maritime et succession de stations balnéaires.

Dès le départ, le ton fut donné. L’escapade helvétique composée de Michaël Schär et Stefan Küng n’a jamais eu le luxe de prendre le large, malgré les célèbres talents de rouleurs des deux gaillards, le second ayant même été couronné aux championnats d’Europe de contre-la-montre. Une petite minute, le temps d’une légère respiration du côté du peloton, avant qu’un vicieux souffle de côté à la sortie du Gua n’énerve tout ça et agite sévèrement la meute, comme des atomes excités par un changement de niveau d’énergie secouraient une molécule. Les coureurs du Tour se voyaient à peine regroupés que la meute éclatait déjà, laissant anonymes, équipiers et grands désabusés passer par la fenêtre, premières victimes de ce vilain courant d’air. De ce coup d’épée rapidement tombé à l’eau, le classement ne retiendra que l’abandon immédiat de Sam Bewley, et Davide Formolo, de nombreuses douleurs dans sa chair.

Un nouveau changement de direction, un troisième viaduc et une énième traversée urbaine plus tard, encore patatra. Et si la première n’avait affecté que des hommes de second rang, c’est l’avant du peloton qui est cette fois touché, projetant notamment à terre Bryan Coquard, Tadej Pogacar ou encore Guillaume Martin. Plus de peur que de mal pour les deux derniers nommés, simplement condamnés à une course-poursuite dans les voitures, entre cyclisme sur route et fixie. Quant au coureur de B&B Hotels Vital-Concept, l’horizon de la ligne d’arrivée lui atténuera ses douleurs dorsales.Le letton Tom Skujins a lui aussi lourdement chuté sur cette 10e étapeLe letton Tom Skujins a lui aussi lourdement chuté sur cette 10e étape | © ASO

Sans se préoccuper de l’hypothétique présence de demoiselles à Rochefort, c’est en longeant la côte que le peloton s’est dirigé vers La Rochelle, pendant que Matteo Trentin joua encore les troubles fêtes au sprint intermédiaire, privant Peter Sagan du plus gros butin de points. Et c’est à proximité du port des Minimes, plus grand port de plaisance d’Europe, au milieu de chaussées absolument noires de monde, éloignant un temps le contexte pandémique actuel, que Warren Barguil et son coéquipier Kevin Ledanois goutèrent à leur tour au bitume. Bien aidé par le gars du coin, le breton finit par agripper la queue du peloton juste avant que les choses sérieuses ne commencent, et que le mélange explosif de la perspective d’un sprint massif et d’une fanfare d’oreillettes alarmantes n’envenime de nouveau la journée.Sam Bennett victorieux à Saint-Martin-de-RéSam Bennett victorieux à Saint-Martin-de-Ré | © ASO / Pauline Ballet

Devant le pont de l’île de Ré, roulant sur un bout de terre au prolongement artificiel, les grosses cylindrées embrayèrent encore, pour laisser définitivement à l’arrière la plupart des désintéressés. Une ultime chute et quelques ronds-points plus tard, l’immense ligne droite sillonnant la « Ré Blanche » dans toute sa longueur projetait les grosses cuisses vers un emballage final logiquement inévitable, alors qu’un féroce vent de face épuisait les lanceurs comme l’océan environnant érode les falaises. Bien emmené par le train noir-et-blanc de la Sunweb mais coincé sous la flamme rouge, le sprinteur surprise de ce Tour, Cees Bol, a laissé s’envoler les époustouflants rivaux, Sam Bennett et Caleb Ewan, évoluant côte à côte dans deux styles antagonistes, pour que l’australien ne s’avoue pour la première fois vaincu face à son adversaire irlandais. Le coureur de la Deceuninck Quick-Step entre par la même occasion dans le cercle fermé des vainqueurs d’étapes sur les trois Grands Tours, tandis que les principaux protagonistes du classement général terminent sans entraves l’étape de tous les dangers.

Par Jean-Guillaume Langrognet