Thomas, vous nous aviez habitués à des victoires d’étape sur le Tour, et voilà que vous renouez avec le maillot jaune…
J’avais dit au départ du Tour que je ne gagnerais pas une étape chaque année, et cette année c’est le maillot jaune que je prends, c’est génial. Je n’ai pas réussi à gagner l’étape, mais je pense que le public ne m’en voudra pas. Il fallait que je prenne du temps, quitte à laisser tomber l’étape. Retrouver le maillot jaune est quelques chose d’indescriptible.

Comment définir ce que vous ressentez ce soir ?
Ce sont de bons moments. J’ai connu des galères sur le Tour, mais j’ai aussi connu beaucoup de bons moments qui les compensent largement. A vrai dire, cette année, je ne savais pas pourquoi je venais sur le Tour. Ce qui est sûr c’est que je ne voulais pas avoir de regrets… et que je ne pensais pas au maillot jaune. Le retrouver un jour, ça me paraissait impensable.

Allez-vous davantage savourer ce maillot jaune qu’en 2004 ?
Autant en 2004 on m’avait laissé aller chercher le maillot jaune, bien qu’il fallait encore que je sois le mieux classé de l’échappée, autant aujourd’hui je peux affirmer que je suis allé le chercher. J’avais dit que si la situation se présentait, je n’hésiterais pas à sacrifier l’étape pour aller chercher le maillot jaune, et c’est ce que j’ai fait. Ce maillot, je l’apprécie encore plus qu’il y a sept ans car le temps passe. Je ne le garderai peut-être pas dix jours mais je vais le savourer davantage. En 2004, ça m’était un peu tombé dessus, désormais j’en connais davantage la valeur.

Revenons sur l’étape. Quand avez-vous commencé à y croire ?
Je me suis dit que c’était bon à 10 kilomètres de l’arrivée. Pas avant. D’accord, on a repris de l’avance après les chutes successives, mais l’écart est redescendu dans le final. J’ai entendu que ça roulait derrière, puis j’ai fini par décider de sacrifier l’étape pour le général.

Vous avez beaucoup attaqué en première semaine, et cette fois ça paie…
Maintenant que j’ai le maillot sur les épaules, je me dis que ça valait le coup d’attendre ! En même temps, cette semaine, je n’ai pas fait de rallyes de 200 kilomètres. Je n’ai pas attaqué n’importe comment mais j’ai tenté ma chance dans le final des étapes quand je m’en sentais capable. Hier, ça n’allait pas, alors je n’ai rien tenté. Je n’ai pas lâché pour autant. Non pas que je pensais au général mais je voulais tout donner. Finalement si je ne m’étais pas fait mal hier dans la dernière bosse, je n’aurais peut-être pas fini devant Sanchez au général.

Avez-vous craint que vos efforts cette semaine pèsent dans vos jambes ?
Non, j’ai attaqué mais pas sur de longues durées. Il faut essayer, mais je n’ai pas fait de journées à l’avant très usantes pour l’organisme. Je n’étais pas plus fatigué qu’un autre aujourd’hui. J’ai senti dès le départ que les jambes étaient meilleures qu’hier. Ca m’a permis de lancer l’échappée de loin.

Quel était le plan ?
La consigne était d’aller dans l’échappée. On pensait que c’était voué à l’échec car Thor Hushovd avait fait le plus dur hier en conservant le maillot jaune. M’en emparer aujourd’hui, c’était presque inespéré. On ne pensait pas que le maillot allait changer d’épaules. Mais nous devions aller dans l’échappée quand même. Car si la Garmin était décidée à garder le maillot jaune, on ne savait pas si elle y parviendrait.

Comment aviez-vous décidé de vous comporter sur cette étape ?
Disons que j’ai été attentiste dans un premier temps, puis j’ai attaqué dans le premier col, que j’ai  franchi en tête. Dès lors, j’ai lancé l’échappée. J’ai compris très vite que j’étais le mieux placé, puis on s’y est mis. Loin avant l’arrivée, je me suis mis à penser uniquement au général, encore plus à 60 kilomètres de l’arrivée. On s’est alors mis d’accord avec mon directeur sportif pour faire une croix sur l’étape, sans garantie de finir l’étape avec suffisamment d’avance pour m’emparer du maillot jaune. J’ai roulé les 60 dernier kilomètres comme si j’étais échappé solitaire.

Avez-vous été mis au courant de la chute qui a mis à terre une partie du peloton et permis à votre entreprise de reprendre du temps ?
Oui, j’ai été au courant de la grosse chute du jour. On a recreusé grâce à ça, ça nous a donné un petit coup de pouce, mais même si c’est malheureux, il n’y a pas matière à polémique. L’autre chute est plus dommageable. Si elle s’était produite loin de l’arrivée, nous aurions attendu. Là, nous étions trop proches du but, on ne pouvait pas attendre avec un peloton à nos trousses. En ce qui me concerne, j’aurais préféré qu’on reste à cinq vu que je ne visais pas la victoire d’étape. J’avais besoin d’eux pour creuser davantage l’écart. J’ai eu plus de travail en leur absence.

Comment avez-vous vécu leur chute justement ?
C’est regrettable. Autant les chutes en descente font partie du vélo, autant la voiture qui fait tomber Juan-Antonio Flecha et Johnny Hoogerland, ça aurait pu m’arriver. C’était fort possible que ce soit moi qui tombe. C’était un coup de chance. Flecha m’est d’ailleurs rentré dedans, j’ai très mal à la cheville. Je ne suis pas là pour polémiquer mais c’est très regrettable. Il y a suffisamment de risques dans les courses de vélo sans qu’on rajoute ce genre d’accident.

Ce soir, Thomas, êtes-vous un coureur comblé ?
Ca fait déjà un moment que je suis un coureur comblé. Depuis ma victoire d’étape en  bleu-blanc-rouge l’année dernière en fait. J’ai le sentiment de faire du vélo pour me faire plaisir. Tout ce qui vient est du bonus. Cette victoire à Bagnères-de-Luchon a été un aboutissement. Je ne pense pas à ma fin de carrière, mais je ne suis plus là pour prouver quoi que ce soit. Je fais mon métier du mieux possible, ça marche ou non, mais je prends du plaisir. Je ne suis pas plus comblé en jaune ce soir que ce matin, même si je suis bien sûr super content.

Propos recueillis à Saint-Flour le 10 juillet 2011.