Christophe, vous aviez fait de l’étape de l’Alpe d’Huez un objectif. Mais comment vous y êtes-vous pris pour que tout fonctionne ?
Depuis le début du Tour l’équipe se bat pour être devant mais nous n’avons pas toujours été récompensés. Moi j’ai été échappé quatre fois. Ça ne m’avait pas trop souri jusque-là. Ma seule option pour gagner à l’Alpe d’Huez, ce n’était pas d’arriver avec Chris Froome. J’avais donc à cœur d’être dans l’échappée. J’y suis parvenu mais je ne me sentais pas le plus fort du groupe. Je pense quand même avoir bien géré. Les sensations sont revenues dans la première montée de l’Alpe d’Huez. Puis dans la descente du col de Sarenne je me suis retrouvé dans le ruisseau. Heureusement je n’ai quasiment rien perdu, j’avais une étoile au-dessus de moi.

Avant la seconde escalade de l’Alpe, vous vous êtes alors retrouvé avec Moreno Moser puis Tejay Van Garderen. Qu’espériez-vous ?
Au pied de l’Alpe, je croyais très sincèrement que je pouvais gagner. Nous avions fait en sorte avec Moser que Van Garderen, qui était le plus fort, fasse des efforts pour rentrer sur nous dans la descente. Nous voulions que ça lui reste un peu en travers avant l’Alpe d’Huez, et c’est peut-être ce qui lui a manqué dans le final.

Comment avez-vous abordé la seconde montée de l’Alpe d’Huez ?
J’ai entamé l’ascension devant, à mon rythme. Van Garderen ne voulait pas prendre le relais, je voulais voir ce qu’il avait dans le sac. Avec l’effort qu’il avait fait au préalable, je ne pensais pas qu’il allait pouvoir me lâcher. Je croyais que c’était mon jour mais quand il m’a décroché sur une grosse accélération, ce qui n’est pas mon fort, j’ai pris un coup derrière la tête. Je n’avais pas trop d’écarts, tout le monde criait et je n’entendais rien. J’ai juste essayé de limiter la casse. Je me suis alors dit que j’allais me battre pour garder une 2ème place mais mon directeur sportif Julien Jurdie m’a dit de continuer à y croire, qu’il avait déjà coincé dans la première ascension et que ça allait se reproduire.

Vous l’avez cru ?
Non, pas tout de suite. A 5 bornes de l’arrivée, je n’y croyais plus vraiment. Juju y croyait plus que moi, j’avais du mal à imaginer que Tejay Van Garderen allait coincer. Mais soudain quand je l’ai vu au loin devant moi, que j’ai vu comment il se tenait sur le vélo, je me suis dit que je ne pouvais pas louper ça, que c’était ma chance. C’était impossible, incroyable. Quand je suis rentré sur lui je ne voulais lui laisser aucun espoir de croire qu’on allait arriver au sprint. J’ai accéléré aussitôt pour le larguer. Ça s’est incroyablement bien passé.

Comment avez-vous vécu les dernières minutes d’ascension ?
Les trois derniers kilomètres ont été magiques ! Le dernier kilomètre, j’aurais voulu qu’il en dure dix pour en profiter davantage avec le public. Je n’avais pas trop profité de ma première victoire à Ax 3 Domaines il y a trois ans, cette fois je savais que personne ne rentrerait, j’ai voulu savourer. L’Alpe d’Huez, je regardais ça à la télé quand j’avais à peine 10 ans. Monter deux fois l’Alpe aujourd’hui ce n’était pas plus dur que ce qui nous attend demain, mais c’est magique. Nous les Français ne méritions pas de sortir de ce Tour de France sans une victoire d’étape.

C’est une victoire extraordinaire au lendemain de la tragédie dont a été victime Jean-Christophe Péraud, auprès duquel vous étiez présent hier matin quand il a chuté ?
Ce matin on avait dit au briefing qu’il fallait conjurer le mauvais sort. Hier on a perdu Jicé, et aujourd’hui on s’est dit qu’il fallait absolument aller à l’avant tenter d’obtenir la victoire d’étape, se battre, sortir avec la tête haute, essayer de penser au classement par équipes qui nous tient à cœur. Je crois en mon destin. Quand on se bat, qu’on travaille dur, la route est longue et la roue tourne. Sur ce Tour Maxime Bouet s’est fracturé le poignet, Jean-Christophe Péraud la clavicule. Cette victoire est pour eux.

Handicapé par des problèmes de dos en début de saison, votre place sur le Tour n’était pas acquise ?
J’ai eu de grosses difficultés. On a mis du temps à trouver ce que j’avais car je souffrais du dos. Sur les IRM, on n’y voyait rien. J’ai réussi à trouver quelqu’un qui m’a soulagé et je me suis battu. Depuis mi-mars ça va mieux. L’équipe a fait en sorte de me faire un programme adapté pour que je revienne au niveau. Elle pensait que j’allais être frais sur le Tour, n’ayant pas subi les mauvaises conditions que les autres ont eues en début de saison. J’ai fait de gros cycles de travail, un stage en altitude… Ma sélection m’a été donnée tard, au soir du Championnat de France, mais nous n’avons jamais eu une concurrence aussi élevée dans l’équipe. J’ai alors dit à Vincent Lavenu qu’il ne serait pas déçu. Gagner une étape du Tour était quelque chose que je voulais vraiment revivre dans ma carrière. Il y avait tellement de monuments que j’avais l’embarras du choix entre Ax 3 Domaines, le Mont Ventoux, deux fois l’Alpe…

Vous qui êtes partisan de la lutte antidopage, quel regard portez-vous sur les doutes qui planent sur les performances de Chris Froome ?
Je ne comprends pas bien le procès qui est fait à Chris Froome en ce moment. L’avenir nous le dira mais pour l’instant il ne mérite pas ça. Quand on fait du mal au Maillot Jaune on fait du mal à tout le vélo. Les étapes ne sont pas faciles mais on s’entraîne toute l’année pour ça, on optimise notre récupération, et tous les coureurs sont ouverts aux contrôles. Je suis pour qu’on nous contrôle au maximum. J’ai été contrôlé ce matin, je le serai encore à l’arrivée et s’ils le veulent ils peuvent venir ce soir à l’hôtel. C’est une bonne chose, ça fait avancer le vélo. Il faut continuer à se battre, éradiquer le fléau et surtout la suspicion. Je ne crois pas qu’il reste beaucoup de tricheurs. On ferait mieux d’apprendre des Sky plutôt que d’aller chercher une suspicion et des raccourcis trop faciles.

Propos recueillis à l’Alpe d’Huez le 18 juillet 2013.