En juillet, Mikaël Chérel (Ag2r La Mondiale) nous ouvre son journal de bord à l’occasion de sa troisième participation au Tour de France. Le lieutenant de Romain Bardet, avec qui il fait chambre, nous fait découvrir son univers.

Mikaël, au lendemain de la journée de repos, vous êtes entré en action en prenant l’échappée vers Pra Loup. Quel était votre objectif ?
On savait qu’il y avait de grandes chances que l’échappée se dispute la victoire. J’étais parmi les coureurs cités pour faire la course au départ et aller dans l’échappée. La course a été folle au départ avec, une nouvelle fois, une grosse moyenne. C’est parti après cinquante ou soixante kilomètres de course. On s’est même retrouvés un temps à une cinquantaine de coureurs dans le peloton ! On avait tous eu l’information que Tejay Van Garderen était lâché. Cela motivait certaines équipes qui postulent pour le podium à rouler et à durcir de nouveau la course. J’étais vraiment motivé pour aller de l’avant et je me suis glissé dans les coups. Le dernier a été le bon.

A partir de là, comment s’est déroulée votre étape ?
De la façon dont ça s’est fait, il était évident que c’étaient vingt-cinq hommes forts et qu’il serait compliqué de jouer la victoire. Très vite, je me suis dit qu’il allait falloir être malin pour réaliser une belle performance et aller jouer la victoire. Je n’ai pas eu les jambes espérées dans le col d’Allos. J’étais un peu déçu avec ma 16ème place, mais je relativise. Je suis encore capable d’aller à l’avant en troisième semaine. Au vu de la manière dont ça s’est déroulé, c’est bon signe. Je suis à la bagarre, mais pas à la conclusion.

Le Tour entre en troisième semaine et vos jambes ont bien répondu au lendemain de la journée de repos…
Tout à fait. Comme je l’ai dit dans un précédent journal de bord, j’ai appris à gérer la journée de repos. J’ai fait 1h50 de vélo avec Romain (Bardet) notamment. Nous avons monté un col pour faire des exercices de vélocité. Je remarquais sur les dernières étapes que je tirais un braquet beaucoup plus gros que celui que j’emmenais d’habitude. Du coup, il a fallu réadapter les fibres musculaires en faisant des exercices de ce type, en concertation avec l’entraîneur de l’équipe. Effectivement, la journée a été bien gérée. Elle m’a permis d’aller de l’avant. D’autant que c’était la seule étape dans ma région d’adoption. Géographiquement, je n’étais pas très loin de la maison, même si ce ne sont pas des routes que j’emprunte à l’entraînement. J’ai eu pas mal d’encouragement sur le bord des routes, c’est toujours plaisant.

Prendre le bon coup était également un moyen d’effacer la déception de l’étape de Gap. Racontez-nous.
J’ai eu énormément de regrets après cette étape. Ça m’est resté assez longtemps. Après un départ de feu où on a fait 53 kilomètres dans la première heure, je me suis retrouvé à l’avant avec trente coureurs et notamment Tony Gallopin. Quand le groupe s’est disloqué, nous étions tous à fond, mais stratégiquement, je n’ai pas fait les bons choix au bon moment. Je me suis retrouvé avec cinq coureurs qui ont été repris par le peloton. Malheureusement, l’échappée va au bout avec une vingtaine de minutes d’avance. C’est mon grand regret, j’avais fait le plus dur en étant dedans. Mais tenir les watts sur le plat, c’est exigeant. Au moment de prendre les bonnes cassures, j’ai mal géré. Je m’en suis voulu assez longtemps, ça m’a trotté dans la tête pendant une partie de la journée de repos. C’est aussi pour cela que j’avais envie d’aller de l’avant et de me rattraper.

La journée de repos vous a donc fait du bien aussi pour relativiser. Comment parvient-on à décompresser ?
On essaie de laisser tout ce qu’il y a autour de la course. Une conférence de presse était organisée, mais ce n’était que pour les leaders. Je n’ai eu que deux sollicitations qui ont été très rapides, mais qui m’ont remis dans la course puisqu’on aborde le sujet du vélo. Sinon, j’ai essayé de penser à autre chose. J’ai fait une longue sieste, j’en avais besoin. Je me suis couché tôt. J’ai essayé de faire le break avec la course et de me reposer un maximum pour repartir de pied ferme et motivé pour les quatre dernières belles étapes.

Vous disiez que vous n’étiez pas très loin de votre domicile. Vos proches vous ont-ils rendu visite ?
Non, c’est un choix que j’avais fait avec mon épouse et mes deux enfants. Il y avait 2h30 de route. Mais j’ai préféré attendre de les retrouver à la maison lundi pour me reposer pleinement. C’est une organisation assez complexe pour mon épouse qui est seule avec nos enfants. Je l’ai épargnée de ce long voyage. On n’a pas toujours énormément de temps à leur consacrer. Lors d’une journée de repos, on fait 2 heures de vélo le matin, 1h30 de sieste, sans compter le massage et l’ostéo. Je me suis dit que j’allais retrouver mon épouse dès dimanche à Paris et nos enfants lundi à la maison.

Pendant les trois semaines et demie où vous êtes parti, parvenez-vous à rester en contact avec votre famille ?
Oui, chaque jour, chaque soir, chaque matin. On a la chance d’avoir des moyens de communication avec Facetime, Skype, etc. Ça permet de garder un contact visuel. Pour nos enfants qui ont 1 et 3 ans, c’est important de voir que leur papa est au travail et qu’il n’est pas parti de la maison. C’est un équilibre pour chacun. C’est très important.

La vie de famille vous manque-t-elle pendant un Grand Tour ?
Je profite de chaque situation. Je suis un amoureux du cyclisme et de mon métier. Pour le moment, honnêtement, non, ça ne me manque pas. Je fais la part des choses. Je profite à fond quand je suis à la maison en famille. Quand je suis au travail en course, je me consacre pleinement à mon métier. Je profite également des 5,10, 15 minutes que j’ai par jour avec ma famille. Ça fait le petit break. Je ne vis pas dans une situation de contrainte où je me dis que ma famille me manque. Je suis conscient de la chance que j’ai d’exercer ma passion. Je suis encore jeune. Il paraît que ce sentiment arrive plus tard, mais pour le moment, il ne m’anime pas encore.

Propos recueillis le 23 juillet.