Qu’importe si le scénario jusqu’alors avait été trop creux et bien trop lancinant au goût des amoureux de sport-spectacle. Alors que Paris n’est plus très loin, il convenait d’en soigner la sortie. De sortir la course de l’ennui profond dans lequel elle avait fini par plonger ses suiveurs. Bref, il fallait sauver ce Tour, et ses acteurs l’ont fait. Au prix de prouesses athlétiques régies par l’instinct, de défaillances physiques et psychologiques devant la montagne en colère, et, aussi cruel soit-il, de chutes dont l’imprévisibilité laisse pendre en permanence une épée de Damoclès au-dessus de ceux qui, le temps d’un souffle, peuvent laisser sur la route toutes les illusions bâties depuis près de trois semaines. Héros heureux ou malheureux, les coureurs ont donc donné de la vie à ce Tour, de l’émotion et des frissons, au cours d’une antépénultième étape tracée dans les Alpes entre Albertville et Saint-Gervais Mont Blanc (146 km).

La montagne, que les favoris n’avaient pas su – pu – exploiter comme on l’entendait, au point d’offrir la grande majorité d’entre elles aux échappés, n’en pouvait plus d’accoucher d’une souris. Elle s’est fâchée, étalant dans le ciel qu’elle brave un voile gris qui dissimulerait au regard du mont Blanc les exploits et les drames qui allaient se jouer. Le temps était à l’orage et le tonnerre a grondé. Dans la descente des Saisies, à 40 kilomètres de l’arrivée, pile au moment où Pierre Rolland (Cannondale-Drapac) s’étalait de tout son long, lui qui venait juste d’initier un coup intéressant avec Rui Costa (Lampre-Merida), rescapé tout comme lui d’une échappée matinale formée dès le Collet de Tamié (km 5) autour de Breen et Sepulveda (Fortuneo), Burghardt et Moinard (BMC), De Gendt et Gallopin (Lotto), Kiserlovski et Majka (Tinkoff), Bennett (LottoNL), Berhane (Dimension Data), Buchman (Bora), Lutsenko (Astana), Martin (Etixx), Matthews (Orica), Navarro (Cofidis), Ten Dam (Giant) et Vuillermoz (Ag2r La Mondiale).

L’échappée avait franchi les difficultés devant. Le Collet de Tamié (non référencé), la Forclaz de Montmin, celle de Queige, puis l’inédite Montée de Bisanne. Mais le peloton, mis sous pression par l’équipe Astana dès les premiers kilomètres, n’avait manifestement pas fait une croix sur l’étape du jour. Et tandis que Rafal Majka faisait définitivement sien le maillot à pois de meilleur grimpeur, rien ne garantissait aux hommes de tête la victoire au Bettex. Pierre Rolland tentait néanmoins le coup en se lançant, après la traversée des Saisies, dans un numéro de descendeur avec Rui Costa. Avant qu’une glissade n’emporte ses rêves, laissant seul devant le baroudeur portugais. A cet instant précis, le ciel s’était grimé en monstre. De grosses gouttes d’orage s’abattaient sur la route dont les inscriptions à la peinture se lisaient à l’envers, puisqu’on redescendait sur Domancy par le tracé inverse du contre-la-montre d’hier.

Romain Bardet gravit quatre à quatre les marches du podium, Chris Froome chute.

Ça dégringolait de partout. La pluie du ciel. Les coureurs de la montagne. Et bientôt de leur propre monture. Car sur cette route en forme de patinoire dévalée à pleine vitesse par quelques audacieux, les chutes se multipliaient. Bauke Mollema (Trek-Segafredo), le 2ème du classement général, s’était retrouvé par terre à 15 kilomètres du but. Touché. Avant de reprendre une portion d’asphalte un peu plus loin. Coulé. En grande difficulté, le Néerlandais n’était déjà plus dans le peloton au moment d’aborder la montée finale sur 9,8 kilomètres à 8 %. Cette fois il dévissait pour de bon pour abandonner, livré à lui-même, 4’26 » au vainqueur de l’étape… et se retrouver au fond du Top 10 (à 7’42 ») au classement général. Une descente d’autant plus brutale que les candidats au podium se tenaient dans un mouchoir de poche avant cette avant-dernière journée en montagne. Lui est désormais hors jeu.

La place de dauphin de Chris Froome n’était pas encore vacante que Romain Bardet (Ag2r La Mondiale) s’était élancé dans un vibrant numéro, mis sur orbite par un merveilleux Mikaël Chérel. A l’audace, les deux hommes avaient pris le parti de faire la descente sur Domancy. Ils avaient déboulé sans même se retourner pour distancer le peloton Maillot Jaune et se présenter au pied de la montée finale avec une petite minute d’avance ! Il n’y avait plus que Rui Costa à aller chercher puis à déposer, ce qu’allait faire Romain Bardet à 3 kilomètres du sommet, pour offrir au cyclisme français sa victoire d’étape et lui éviter le sort des éditions 1926 et 1999, restées sans victoire tricolore. Surtout, par sa chevauchée dictée par l’instinct, l’Auvergnat avait gravi quatre à quatre les marches qui le séparaient du podium. Passé Quintana (qui de son côté s’empare du 3ème rang), passé Yates (en difficulté dans le final) et donc Mollema, pour ravir la 2ème place du classement général à 4’11 » de Chris Froome.

Il va maintenant falloir tenir cette place, car les différences demeurent mineures. Et c’est sans doute aussi ce que doit se dire, malgré tout, Christopher Froome ce soir. Car le Maillot Jaune est tombé, lui aussi, en coupant une ligne blanche dans la descente humide de Domancy. Vélo cassé, il est reparti sur la machine de Geraint Thomas. Et ça ne pédalait plus aussi rond pour celui qui d’ordinaire fait usage d’un plateau ovoïde. Maillot jaune râpé sur le côté, genou droit gonflé, le Britannique s’attachait à sauver les meubles au sein d’un petit paquet qui n’allait plus lui laisser une minute de répit dans les 2 derniers kilomètres d’ascension. Mal en point, Froome allait rendre 36 secondes à Bardet mais gérer suffisamment bien la crise pour ne concéder que 10 secondes à Quintana, 8 à Aru… et en reprendre 17 à Porte, 20 à Yates et donc 3’50 » à Mollema. Rien de trop méchant mais dans tout cela, on a retrouvé le Tour tel qu’on l’aime.

Demain samedi, il restera une redoutable étape de montagne à négocier entre Megève et Morzine (146,5 km).

Classement 19ème étape :

1. Romain Bardet (FRA, Ag2r La Mondiale) les 146 km en 4h14’08 » (34,4 km/h)
2. Joaquim Rodriguez (ESP, Team Katusha) à 23 sec.
3. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) m.t.
4. Louis Meintjes (AFS, Lampre-Merida) m.t.
5. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) à 26 sec.
6. Fabio Aru (ITA, Astana) à 28 sec.
7. Daniel Martin (IRL, Etixx-Quick Step) à 36 sec.
8. Wout Poels (PBS, Team Sky) m.t.
9. Chris Froome (GBR, Team Sky) m.t.
10. Richie Porte (AUS, BMC Racing Team) à 53 sec.

Classement général :

1. Chris Froome (GBR, Team Sky) en 82h10’37 »
2. Romain Bardet (FRA, Ag2r La Mondiale) à 4’11 »
3. Nairo Quintana (COL, Movistar Team) à 4’27 »
4. Adam Yates (GBR, Orica-BikeExchange) à 4’36 »
5. Richie Porte (AUS, BMC Racing Team) à 5’17 »
6. Fabio Aru (ITA, Astana) à 6’00 »
7. Alejandro Valverde (ESP, Movistar Team) à 6’20 »
8. Louis Meintjes (AFS, Lampre-Merida) à 7’02 »
9. Daniel Martin (IRL, Etixx-Quick Step) à 7’10 »
10. Bauke Mollema (PBS, Trek-Segafredo) à 7’42 »

Classement par points :

1. Peter Sagan (SVQ, Tinkoff) 425 pt
2. Marcel Kittel (ALL, Etixx-Quick Step) 228 pt
3. Michael Matthews (AUS, Orica-BikeExchange) 163 pt
4. Bryan Coquard (FRA, Direct Energie) 156 pt
5. Alexander Kristoff (NOR, Team Katusha) 152 pt
6. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) 136 pt
7. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) 133 pt
8. Chris Froome (GBR, Team Sky) 131 pt
9. André Greipel (ALL, Lotto-Soudal) 128 pt
10. Rafal Majka (POL, Tinkoff) 119 pt

Classement de la montagne :

1. Rafal Majka (POL, Tinkoff) 209 pt
2. Thomas De Gendt (BEL, Lotto-Soudal) 105 pt
3. Jarlinson Pantano (COL, IAM Cycling) 81 pt
4. Ilnur Zakarin (RUS, Team Katusha) 78 pt
5. Serge Pauwels (BEL, Dimension Data) 62 pt
6. Rui Costa (POR, Lampre-Merida) 60 pt
7. Stef Clement (PBS, IAM Cycling) 53 pt
8. Kristijan Durasek (CRO, Lampre-Merida) 36 pt
9. Thomas Voeckler (FRA, Direct Energie) 33 pt
10. Alexis Vuillermoz (FRA, Ag2r La Mondiale) 33 pt

Classement des jeunes :

1. Adam Yates (GBR, Orica-GreenEdge) en 82h15’23 »
2. Louis Meintjes (AFS, Lampre-Merida) à 2’16 »
3. Warren Barguil (FRA, Giant-Alpecin) à 31’49 »
4. Emanuel Buchmann (ALL, Bora-Argon 18) à 38’02 »
5. Wilco Kelderman (PBS, Team LottoNL-Jumbo) à 1h23’21 »
6. Eduardo Sepulveda (ARG, Fortuneo-Vital Concept) à 1h53’51 »
7. Julian Alaphilippe (FRA, Etixx-Quick Step) à 1h58’52 »
8. Jan Polanc (SLO, Lampre-Merida) à 2h11’01 »
9. Alexey Lutsenko (KAZ, Astana) à 2h23’46 »
10. Patrick Konrad (AUT, Bora-Argon 18) à 2h26’07 »

Prix de la combativité :

1. Rui Costa (POR, Lampre-Merida)

Classement par équipes :

1. Movistar Team (ESP) en 256h42’40 »
2. Team Sky (GBR) à 3’46 »
3. BMC Racing Team (USA) à 30’36 »
4. Ag2r La Mondiale (FRA) à 49’11 »
5. Astana (KAZ) à 49’26 »
6. Trek-Segafredo (USA) à 1h36’46 »
7. Tinkoff (RUS) à 1h42’31 »
8. IAM Cycling (SUI) à 1h57’49 »
9. Team Katusha (RUS) à 1h59’15 »
10. Lampre-Merida (ITA) à 2h30’52 »