Laurent, vous rentrez d’un séjour en Polynésie française dans le cadre du XTerra Tahiti et de la Ronde Tahitienne, dont vous étiez le parrain, quelles images garderez-vous ?
C’est difficile de faire le tri tant on a vu de belles choses tout au long de ce séjour. Sur le plan sportif, j’ai participé à deux belles épreuves. J’ai fait le XTerra Tahiti Trail sur un parcours de 45 kilomètres avec des conditions météos très pénibles, des trombes d’eau et une humidité qui m’a laissé sur les rotules. J’ai fini en marchant, ça a été vraiment difficile de terminer. J’ai mieux géré la Ronde Tahitienne, sur un parcours relativement facile de 110 kilomètres sur la côte est de Tahiti. Je suis resté tranquille dans un groupe qui me convenait très bien. Tout en roulant à un rythme soutenu, j’ai pu profiter du parcours et du paysage. Sur le plan de la beauté du pays, on n’est pas déçu ! On s’attendait à voir des choses merveilleuses et clairement, ça l’aura été ! On a nagé avec les requins et les raies dans des lagons magnifiques… Et rien que pour ça le déplacement en vaut la peine.

4ème à Papeete, vous avez fait plus que de la figuration…
Comme sur le trail, j’ai trouvé des garçons motivés qui sont partis bille en tête, mais je n’ai pas reproduit la même erreur que sur la course à pied. J’ai essayé de rester mesuré sur mes efforts car ici on peut vite payer l’addition, et progressivement je me suis senti à mon aise. J’ai fait un beau parcours. Aujourd’hui je roule pour le plaisir, le résultat m’importe peu. Mais j’étais devant et ça faisait plaisir aux coureurs qui m’accompagnaient de rouler avec moi. On s’est même un petit peu attaqués dans le final, j’ai retrouvé des automatismes de l’époque où j’étais coureur, et c’était plutôt marrant. J’étais avant tout venu pour participer, faire plaisir aux cyclistes locaux et aux gens qui m’ont fait l’honneur de m’inviter. 4ème, compte tenu de ma préparation, c’est presque inespéré.

Quatorze ans après le terme de votre carrière, en quoi consiste désormais votre pratique du vélo ?
Je ne m’entraîne plus beaucoup. J’ai ressorti le vélo sur les routes polynésiennes alors que je n’avais presque plus roulé depuis un mois. J’aime bien rouler mais depuis que j’ai eu mon accident il y a trois ans, je sens que j’ai une grosse baisse de régime. Je n’arrive plus à retrouver mon niveau. Après la fin de ma carrière, le triathlon m’a obligé à rouler assez régulièrement, beaucoup même, à raison de 12000 kilomètres par an. Cette année je n’ai même pas 3500 kilomètres. En revanche je fais beaucoup de course à pied, ce qui compense. Aujourd’hui le vélo me permet de récupérer, de me faire plaisir. J’en ai besoin, et ça, ça n’a pas changé. Ça fait partie d’une hygiène de vie. Comme beaucoup d’anciens coureurs, j’aime toujours rouler, mais je n’essaie plus de lutter avec des jeunes qui ont envie de me larguer. A 48 ans bientôt, il ne faut pas se tromper : ma carrière, elle est derrière, et loin derrière.

Quand on a eu l’esprit de compétition pendant des années jusqu’à tutoyer les sommets, est-il naturel de courir pour le plaisir ?
Etonnamment, oui. Dans les vingt-quatre heures qui ont précédé la Ronde Tahitienne, je n’ai rien fait pour être bien. Je me suis fait cinq heures de voiture, j’ai mangé n’importe quoi, j’ai bu du vin… Non pas que je n’étais pas motivé, mais je me fiche de la performance. Par contre je sais les efforts que font les organisateurs, et quand je suis sur la ligne de départ, je mets un point d’honneur à essayer de donner le meilleur de moi-même. Je ne m’amuse pas à rester dans les derniers du peloton et à rouler peinard. Et c’est là, une fois que je me retrouve devant, que je me surprends à redevenir un peu coureur. Ça m’a fait sourire de me retrouver à nouveau dans la peau d’un coureur, à prendre des relais, à organiser une poursuite. Certes, la façon de courir est un peu différente sur une cyclosportive. J’ai essayé de motiver les mecs pour qu’il y ait un peu de cohésion. Ils roulaient bien mais ils manquaient de constance. C’était marrant mais on voit que les coureurs polynésiens ont encore à apprendre un peu.

Avez-vous pris le temps de lever la tête du guidon pour observer le paysage féérique par lequel transite la Ronde Tahitienne ?
Bien sûr, mais je n’étais pas tellement surpris pour l’avoir découvert la veille. J’ai pris soin en effet de faire le tour de Tahiti en voiture. J’y tenais absolument. Je l’aurais bien fait en vélo mais je manquais de temps. J’ai dû passer cinq heures au volant et ça en valait la peine. La côte est est plus sauvage. Elle n’a pas de lagon, les vagues déferlent, on voit beaucoup de surfeurs, ça lui donne une atmosphère différente.

Quel regard portez-vous sur la cyclosportive la plus lointaine du calendrier français ?
La Ronde Tahitienne n’a rien à envier aux autres, si ce n’est peut-être un nombre de participants plus important. Mais compte tenu de la distance qui sépare Tahiti des autres pays, c’est difficile d’y faire venir des gens ! Nous étions tout de même plus de 500 à prendre le départ. Je trouve que c’est une belle réussite. C’était parfait sur le plan de l’organisation, il y a des festivités tout autour de la course, des coutumes locales, les danses polynésiennes, la prière avant le départ, le lancer de fleurs en haut du Tahara’a. Ce sont des choses que l’on ne vit pas ailleurs mais qui font partie du décor à Tahiti et qui font plaisir à voir et à vivre.

Afin d’attirer les participants étrangers, le Vélo Club de Tahiti couple depuis plusieurs années sa cyclo avec un séduisant package touristique. Que pensez-vous de cette formule ?
C’est une très bonne idée. Evidemment, pour des garçons qui font du vélo, aller à Tahiti pour faire une cyclo, ça fait plaisir. Pour les accompagnateurs, c’est un long voyage, et si c’est juste pour voir une course de vélo, ce n’est pas très intéressant. Il faut à côté être capable de proposer autre chose. Là, le décor s’y prête. Il y a tellement de belles choses à voir, toutes ces îles, que le séjour est trop court. Les trois jours sur Moorea nous ont permis de vivre ensemble, avec des personnes qui pratiquent le vélo et en ont la passion. Nous avons vécu ces quelques journées dans la bonne ambiance pour découvrir ensemble la beauté des fonds marins, la culture polynésienne et partager des repas toujours très animés. C’est la bonne formule si on veut faire venir des gens de très loin. Et c’est plus facile pour convaincre Madame de faire vingt-quatre heures de voyage pour aller à l’autre bout de la planète faire une cyclosportive !

D’autres cyclos sont-elles cochées dans votre calendrier ?
Je fais ma cyclo tous les ans au mois d’août (le dimanche 21 à Mazamet), quelquefois la Look, mais ça reste rare. Je réponds à des invitations dans des endroits un peu exotiques. J’avais couru à la Réunion il y a deux ans. Mais j’ai tellement fait de courses de vélo que je ne cours plus après. Je me rends compte d’ailleurs que je suis vachement plus concentré la veille d’un trail – je prépare mes affaires, mon ravito, ma boisson, mes chaussures… – que la veille d’une cyclo. A 19h00 la veille de la Ronde, je cherchais encore un Kärcher pour donner un coup au vélo, et j’ai préparé mes affaires en 30 secondes. Ça m’est peut-être plus familier, mais ça m’attire moins désormais. Maintenant, je sais que ma présence fait plaisir, et je le vis d’autant mieux.

Dans les années qui ont suivi votre retrait des compétitions, on a vu émerger un cyclisme plus scientifique avec des outils qui n’étaient pas à votre disposition au cours de votre carrière. Vous y êtes-vous intéressé sur le tard ?
Quand je faisais du tri, ça m’a titillé à un moment donné. Les mecs roulaient à la puissance et je me suis tâté à mettre un capteur de puissance pour voir. Je donnais souvent trop fort sur la partie vélo puis je peinais en course à pied. Mais je n’ai jamais passé le cap. J’ai toujours un cardio, mais je ne le mets plus. Je sais que le cœur ne monte plus : je suis un gros diesel.

Inévitablement, même pour un champion, la condition décline avec l’âge ?
Les années sont là et ça se sent. Même si je me considère encore assez jeune, tu sens bien qu’il te faut un peu plus de temps pour récupérer quand tu fais des efforts. L’hygiène de vie est moins bonne aussi, et c’est très bien comme ça. Aujourd’hui je profite de la vie. Je fais toujours du vélo mais il ne s’agit plus d’un entraînement. C’est toute la nuance. Au cours de ma carrière, certains entraînements étaient plus durs que des compétitions. Je reproduisais des efforts de manière à pouvoir peser sur la course ensuite. Désormais, quand ça monte, ça me pèse de m’accrocher. Je ne suis plus dans le même esprit.

Propos recueillis à Papeete le 22 mai 2016.