Qu’ils circulent en voiture ou chevauchent une moto, une couleur les unit et les distingue à l’échelon course : le rouge, symbole du pouvoir sportif. Voitures rouges pour les trois commissaires internationaux et le président du jury, le Flamand de Grammont Guy Dobbelaere. Casques rouges pour les six commissaires à moto, appelés arbitres à la Fédération Française de Cyclisme. Gilles Jalade est l’un d’eux. Arbitre fédéral après avoir gravi tous les échelons depuis 1985, il observe le peloton du Tour pour la seizième fois depuis 1992. Son rôle : faire respecter le bon déroulement sportif de l’épreuve et veiller à sa régularité en faisant appliquer le règlement UCI. « Deux arbitres à moto circulent à l’avant auprès de l’échappée ou d’éventuels poursuivants, explique-t-il. Les quatre autres vaquent à l’arrière du peloton et jusqu’à la fin de la course. »

C’est là surtout, en fin de course, que les coureurs lâchés sont tentés de contrevenir aux règles qu’ils connaissent mais avec lesquelles ils jouent parfois. Identifiables avec leur casque rouge, les commissaires essaient d’avoir les yeux partout. « Nous avons avant tout un rôle de surveillance, précise Gilles Jalade. Nous vérifions si aucun coureur ne s’accroche à son véhicule, s’il respecte les règles après une chute ou une crevaison, s’il ne bénéficie pas d’un abri prolongé derrière un véhicule… Un coureur lâché ne doit pas profiter de l’abri d’une voiture pour réintégrer le peloton. »

Les petits trucs, les arbitres les connaissent autant que les règlements. « La faute la plus fréquente, c’est le bidon collé, révèle l’arbitre ardéchois, dont le Tour avait honoré la ville d’Aubenas en 2009. Le directeur sportif tend un bidon à son coureur, qui s’y accroche plusieurs secondes. » Quand le commissaire constate la faute, il donne un premier avertissement muni de son sifflet, comme dans les sports de terrain, ou par un geste. « On fait d’abord de la prévention. Mais s’il recommence, c’est la sanction. » L’arbitre sort alors un petit carnet dans lequel il recense toutes les infractions constatées : nature, kilométrage, dossard, véhicule… La précision du rapport est capitale car les amendes et pénalités ne seront décidées collégialement qu’au soir, au moment de la réunion des commissaires qui permettra en outre de recouper des informations.

« On peut décider d’une pénalité en temps ou en points mais aussi d’une amende en francs suisse, rappelle Gilles Jalade. En règle générale les équipes préfèrent payer une amende que de perdre du temps. Au final on relève peu de réclamations. Quand l’infraction est flagrante, les coureurs le savent bien et ils sont avertis en course. » La peine capitale, sur le Tour, c’est la mise hors course. Quand un coureur s’accroche plusieurs minutes à une portière par exemple. Des tolérances restent néanmoins permises, « tant que la tricherie n’apporte pas un avantage. » Ainsi, alors qu’il est devenu interdit cette année de se porter à la hauteur de son mécanicien pour apporter des réglages à son vélo, en raison des abus du passé, les commissaires peuvent accepter certaines entorses au règlement au sein d’un peloton qui commet moins d’infractions qu’autrefois. Il arrive même des fois où les commissaires n’interviennent pas de la journée.

Bien qu’au contact de la course, il n’est pas toujours aisé pour les arbitres de constater la transgression du règlement. « Nous ne sommes que six, rappelle l’arbitre français. On ne peut pas tout voir et ils le savent. Et nous, il nous faut être bien sûrs de ce qu’on voit. Une année, avec la moto, nous nous étions rangés dans le virage d’une côte. Soudain j’ai vu passer un coureur uni à son directeur sportif par un truc rouge dans la main. Quand ils nous ont vus, ils ont tout de suite cessé leur jeu. On s’est aussitôt porté à leur hauteur. J’ai mené l’enquête auprès du coureur, qui m’a dit qu’il récupérait une casquette auprès de son directeur sportif. Or ce dernier m’a raconté qu’il lui passait un bidon. Leurs témoignages ne concordaient pas, ça leur a valu une pénalité. » En course, c’est un peu le jeu du gendarme et du voleur motivé par la relation « pas vu, pas pris ».

Loin des terrains où les décisions de l’arbitre font souvent l’objet de contestations, quand ça ne va pas plus loin, les arbitres en cyclisme bénéficient d’un vrai respect. Les décisions prises, justes, ne soulèvent aucune agression. « On intervient aussi pour que certaines pratiques ne deviennent pas une habitude, conclut Gilles Jalade. Quand ils sont pénalisés, c’est souvent pour des gestes qui ne servent à rien. Au final on condamne plus la mauvaise image que les contrevenants donnent au cyclisme que l’avantage qu’ils tirent de leur infraction. »