Fabian, que vous êtes-vous dit dans la dernière ligne droite ?
Dans les 300 derniers mètres, j’avais énormément de choses à l’esprit. C’est mon côté sensible. Je savais que ma femme était sur la ligne d’arrivée, que mes enfants regardaient et que toute l’équipe a fourni énormément d’efforts. Il y a un an, j’étais par terre où je me suis cassé la clavicule. Maintenant, j’ai bien récupéré. Au cours des derniers mois, j’ai fait énormément de sacrifices en vue de cette journée.

Vous avez pris vos responsabilités…
La course s’est déroulée parfaitement pour nous. C’est incroyable de voir que tout ce que nous avons planifié ces cinq derniers mois a fonctionné. J’étais le grand favori, regardé de toute part. Les autres équipes devaient tout planifier. Notre équipe s’est montrée plus forte que ce que les gens croyaient. Sans eux, je ne serai pas là. Ils m’ont protégé et fait un gros travail sur les deux derniers tours, car je savais que ce serait difficile.

Quelle a été votre réaction quand vous avez appris la chute de Tom Boonen ?
J’étais pratiquement à côté de lui. J’étais triste de l’avoir vu chuter. Je me suis dit, « j’espère qu’il n’a rien de grave et qu’il pourra continuer ». Tom connaît une période très difficile depuis plusieurs mois. Il ne mérite pas cela. J’espère qu’il sera vite de retour. Il doit être présent pour livrer bataille avec les meilleurs, car il est l’un des meilleurs coureurs de classiques.

Selon vous, pourquoi les autres équipes n’ont elles rien tenté ?
Je pensais que Sky ou BMC feraient plus de dégâts. Car c’était leur tactique. Ils avaient une bonne équipe. Normalement ils devaient agir de la sorte. Le départ était très rapide et c’est ce qui a fait qu’aucune attaque n’ait été lancée.

Comme au GP E3, la décision s’est faite dans le Quaremont.
J’ai fait une première sélection. Je voulais voir comment les autres réagissaient. C’est assez étrange, car normalement quand on est dans une bonne journée, on le ressent. Mais tout le monde était très fatigué et personne ne pouvait attaquer. C’est ce qui a fait le déclic et je me suis dit que c’était une bonne journée.

Était-ce ce que vous aviez prévu ?
D’abord, je voulais savoir quelle était la réaction des autres. Il y avait encore beaucoup d’équipes qui avaient plusieurs coureurs. Je savais aussi que dans les 13 derniers kilomètres, il y aurait vent de face. Et avec des coureurs derrière, cela aurait été compliqué. La semaine dernière à Harelbeke, c’était déjà difficile quand je savais que cinq ou six hommes roulaient derrière moi. Mais je savais qu’avec la course que nous avons connue, ce serait totalement différent. C’est pourquoi, quand je me suis retrouvé avec Peter Sagan, je me suis dit qu’il devait aussi prendre les relais. Dans le Paterberg, je n’avais pas forcément prévu de faire quelque chose, mais j’ai pédalé aussi fort que je le pouvais. J’ai exploité son moment de faiblesse. Et dans l’oreillette on m’a crié que je devais y aller, que je ne devais pas regarder derrière moi. Et j’ai continué jusqu’à la ligne d’arrivée.

Aviez-vous un plan de secours ?
Le plan B était de jouer homme contre homme. Parfois, il n’y a pas d’autre solution. Je voulais gagner et il voulait gagner. Laisser les autres revenir n’était pas une solution. Je savais qu’après 250 kilomètres, le sprint était aussi une solution pour moi. Comme je l’ai fait à San Remo. Mais le Tour des Flandres c’est différent. L’expérience joue beaucoup. Il fallait surtout qu’on s’en tienne au plan que l’on avait établi. J’en ai discuté avec Luca Guercilena (le manager de la formation RadioShack-Leopard NDLR) et je savais que les occasions seraient rares.

Pensez-vous avoir la meilleure équipe ?
Tout dépend de ce que l’on veut dire par meilleur. Pour moi, oui, c’est la meilleure. L’équipe a fait un travail exceptionnel pendant les premières heures. J’étais un peu inquiet de voir qu’il y avait 12-15 coureurs à l’avant et qu’ils n’étaient pas partis très tôt. Hayden Roulston a fait un énorme travail puis Stijn Devolder. Je savais qu’une fois rentrés sur le circuit, les attaques auraient fusé si mes équipiers n’avaient pas été là. Je leur ai dit : « J’ai besoin de vous et vous avez besoin de moi. » La semaine dernière, nous avons été critiqués. La victoire à Harelbeke a donné à tout le monde la confiance et l’envie de tout donner. Quand un leader marche de la sorte, ce n’est pas un problème. Ils me font confiance et je leur fais confiance.

On a vu votre épouse en larmes et parler d’une année difficile…
La situation familiale a changé avec sa grossesse. Ce n’est pas facile de concilier cela avec mon métier. Ces cinq derniers mois, je n’ai passé qu’une dizaine de jours chez moi. Cette semaine, je n’ai pas pu rentrer pour fuir le mauvais temps que l’on a eu en Suisse. Ce sont des moments difficiles en tant qu’athlète. Avec la petite et les grands qui commencent à comprendre, ma femme qui reste à la maison… Elle voit ces sacrifices que je fais. C’est pour cela que je suis content qu’elle ait été là sur la ligne d’arrivée. Bien sûr, cet hiver j’ai bien coupé, pendant pratiquement deux mois. Ce n’est sans doute pas très professionnel, mais j’avais besoin de cela. Les deux chutes, la grossesse, la situation de l’équipe, tout cela fatigue énormément. Tout se passe dans la tête. C’est pour cela que j’avais besoin de cette pause. Le cyclisme ce n’est pas comme le football où on joue pendant 90 minutes. On fait plus de 250 kilomètres sur les classiques. On a connu des conditions climatiques très difficiles, et on repousse nos limites. On doit être forts. Mais parfois il faut montrer qu’on est aussi des hommes comme les autres.

Vous serez l’homme à battre dimanche prochain, comment allez-vous aborder Paris-Roubaix ?
Tout le monde parle de dimanche prochain, mais je profite de l’instant présent. On ne sait pas ce qu’il peut se passer demain. J’ai une pensée pour ma femme, mes enfants, les supporters l’équipe, tous ceux qui m’ont supporté dans ces moments difficiles. Quand on voit ce qu’il se passe avec Andy (Schleck). Lui aussi a besoin de temps. Bien sûr, tout le monde attend à ce qu’il retrouve son niveau, mais ce n’est pas facile.

Propos recueillis à Audenarde le 31 mars 2013.