Geoffrey, vous avez accompagné cet hiver Nacer Bouhanni chez Cofidis, lequel tenait à vous avoir pour poisson-pilote, comme les années passées. Comment s’est nouée cette relation entre vous ?
Nacer et moi avons fait nos débuts pros ensemble à la FDJ en 2011. Plusieurs fois, nous avons été conduits à nous lancer les sprints. Il s’est avéré que ça a payé sur certaines courses. Et au fil du temps Nacer m’a désigné pour poisson-pilote. C’est un poste atypique. Déposer un sprinteur à 150 mètres n’est pas donné à tout le monde. Evidemment, ça ne marche pas à chaque fois, mais il sait que quand nous sommes tous les deux alignés sur une course importante et en très grande forme, ça fonctionne. Nacer prime cela. Il a également fait recruter Jonas Ahlstrand pour cela, le but étant de pouvoir échanger nos rôles en fonction de la course et de se substituer l’un à l’autre.

On dit que vous vous déplacez très bien dans les sprints houleux. On imagine que la confiance est un ingrédient fondamental entre un sprinteur et son poisson-pilote ?
Il existe une énorme confiance entre lui et moi. Ce n’est pas la première année que je lui emmène les sprints, je lui en ai fait gagner à plusieurs reprises, et il sait que quand je suis très bien dans le final j’arrive à lui trouver des solutions et lui ouvrir des portes pour l’emmener jusque là où il veut : 200 mètres, 150 mètres, tout dépend du sprint. Nacer connaît bien mon potentiel. Il sait aussi que je peux plutôt bien passer les bosses, une qualité qu’il a développée et qui lui permet d’éliminer des sprinteurs sur certaines courses.

Vous êtes le dernier lanceur de Nacer Bouhanni, qui a tenu en rejoignant Cofidis à bâtir autour de lui un groupe destiné au sprint. Comment ce groupe s’est-il mis en place ?
Nous avons réalisé un bon travail qualitatif avec ce groupe à l’occasion des deux stages hivernaux, avant de nous retrouver sur le début de saison aux Tours du Qatar et d’Oman. Ça a été une approche différente des autres années, avec des entraînements privilégiés sur le lancement des sprints et que nous essayons d’appliquer au maximum sur les courses. Ce sont de nouvelles marques à prendre pour nous qui étions habitués à aborder les sprints à deux ou trois par le passé. Désormais nous essayons d’avoir des automatismes avec une équipe entière. Ça n’a pas encore payé, ça ne se fait pas du jour au lendemain, mais ça ne devrait plus tarder à sourire.

Afin de perfectionner vos derniers kilomètres, partagez-vous des entraînements avec Nacer Bouhanni ?
Rarement, car nous habitons à 1h45 de route l’un de l’autre, ce qui n’est pas évident. Mais nous sommes amenés à faire de temps en temps des petits stages pour se retrouver du côté de Gérardmer. En début de saison, nous sommes également descendus à Nice ensemble pour reconnaître Milan-San Remo. Maintenant, Nacer sait que quand je suis en forme, nous n’avons pas forcément besoin d’avoir travaillé en amont pour se comprendre et être là dans le final.

Comment se prépare un sprint à l’approche des gros objectifs ?
Ça se prépare en amont. En sprinteur qu’il est, Nacer arrive à estimer à la lecture d’une carte là où il faut être placé en fonction d’un virage, d’un rond-point, d’un rétrécissement. Sur la Vuelta l’an passé, Nacer et moi faisions chambre ensemble. La veille de l’étape que nous gagnons à San Fernando, nous avons étudié le parcours sur le road-book. Il m’a dit : « il faut absolument que tu sois là aux 300 mètres quand ça vire à droite ! » Nous l’avons souligné le lendemain matin au briefing. Chacun a respecté le rôle qui lui avait été assigné. Et le soir nous avons réalisé le sprint parfait. Ça tient aussi du fait que Nacer et moi étions en grande forme et en confiance.

Cette relation exclusive entre le poisson-pilote et son sprinteur prend toute sa dimension dans le dernier kilomètre. Comment communiquez-vous à cet instant précis ?
Nous essayons au maximum d’avoir la place que nous avons établie au briefing. A ce moment-là, c’est lui qui gère au mieux. Ça gueule, il n’y a que comme ça qu’on peut s’entendre dans un final quand tous les sprinteurs crient à leurs équipiers ce qu’ils doivent faire. Nacer est derrière moi, il me donne l’info en essayant d’être le plus pertinent. Ça passe par des mots brefs mais explicites : droite, gauche, go ! Des mots que je transmets au coureur qui me précède et ainsi de suite si nous avons un train. Ce n’est pas toujours évident, surtout à l’allure à laquelle on va dans un final.

Vous évoquez le train, dont la mise en place semble laborieuse. Qu’avez-vous retenu des premières expériences ?
Avec un train, il faut vraiment que les infos remontent hyper vite. Ce sont des marques à prendre entre nous. Nous en avons fait l’expérience dans la première étape du Tour d’Oman. Nous étions sept Cofidis en ligne, moi avant-dernier, Nacer dans ma roue. Il y avait une bosse dans le final dans laquelle les gars ont voulu remonter. Nacer a gueulé pour qu’on lève un peu le pied, mais à sept mecs roue dans roue, ça fait un sacré élastique. Le temps que l’info remonte au coureur de tête, sachant que nous étions à bloc dans l’effort, Nacer avait décroché…

On comprend que c’est le sprinteur qui dirige le train. S’il voit une ouverture et qu’il en donne l’ordre, vous vous exécutez…
Si on a bien compris ce qu’il a dit, on ne se pose pas de questions ! Mais il arrive que dans le brouhaha on ait du mal à interpréter ce que la personne a dit derrière. C’est aussi pourquoi il arrive des instants de temporisation quand un mot un peu mâché nous parvient aux oreilles. Ou qu’on se plante à cause de ça. Mais c’est aussi là qu’interviennent les qualités individuelles d’un poisson-pilote, qui sait trouver les opportunités.

Depuis le début de la saison, Nacer Bouhanni a accroché toutes les places du Top 10, sauf la première. Que lui manque-t-il ?
Pour le moment, on essaie de lancer nos sprints avec l’équipe entière. Forcément, ça chamboule un peu la physionomie du sprint et ce que nous faisions les années précédentes. Ça l’a probablement un peu déstabilisé en début de saison. Et ça n’a pas marché au moment où ça devait le faire. Bien qu’il ne soit pas passé loin.

Vous qui le connaissez bien, le sentez-vous nerveux ?
Ce n’est pas qu’il est nerveux mais il a vraiment envie de gagner la première. Ça lui tarde et ça rajoute un peu de pression à l’enjeu. Il a toujours gagné tôt dans la saison : à la Tropicale Amissa Bongo en 2011, à l’Etoile de Bessèges en 2012 et 2014, au Tour d’Oman en 2013… L’échéance est repoussée cette année, ce qui est toujours un peu frustrant. Mais il est toujours motivé comme un Cadet pour donner le meilleur de lui-même sur chaque sprint.

De votre côté, vous reprenez la compétition ce week-end avec les deux épreuves de Coupe de France. Comment vous êtes-vous remis de votre abandon au départ de Paris-Nice ?
J’ai souffert d’une angine et d’une grosse infection virale. Il m’a fallu une bonne semaine pour récupérer car je n’étais vraiment pas au mieux, mais j’ai repris à rouler dimanche dernier et ça va mieux désormais. Je suis tombé malade sur un objectif important mais Nacer ne le remet pas en cause. Ça fait partie intégrante du sportif que d’avoir des blessures ou de tomber malade. Il sait que je reviendrai.

Votre poste de poisson-pilote vous condamne-t-il à tirer un trait sur vos ambitions personnelles ?
Pas forcément. Il m’arrive d’être aligné sur des courses où Nacer n’est pas là et sur lesquelles je peux jouer ma carte personnelle. Et s’il quitte un Grand Tour avant le terme, ça m’ouvre aussi des portes. Maintenant, ma priorité est de tenir au mieux mon rôle de poisson-pilote et d’atteindre nos objectifs.

Propos recueillis le 19 mars 2015.