Roger, deux ans après la fin de l’histoire Crédit Agricole, que devenez-vous ?
Je reste impliqué dans le cyclisme. Je suis notamment le parrain du Circuit de la Sarthe, où je suis en charge des invités de la course. Dans la Sarthe, j’ai un rôle de conseiller technique par rapport au départ de l’étape du Tour de France Le Mans-Châteauroux. Je joue également un rôle au sein de l’organisation des 24 Heures du Mans Vélo. Et puis je fais toujours partie du Conseil du Cyclisme Professionnel à l’Union Cycliste Internationale. Je voyage donc toujours un peu tout en tâchant de profiter de la famille.

Vous restez donc très proche de l’univers cycliste mais à un échelon moindre ?
Pas moins qu’avant, disons plutôt différent. A l’UCI j’ai toujours des fonctions internationales qui me plaisent bien. Et puis je m’investis beaucoup localement. Là où j’étais autrefois absent, je suis désormais plus présent et très sollicité. J’ai la possibilité de choisir de travailler sur des dossiers et avec des gens qui me plaisent.

Mais le milieu professionnel tel que vous l’avez connu en tant que manager d’équipe pendant vingt-cinq ans ne vous manque-t-il pas ?
Non, parce que j’en ai fait beaucoup ! J’ai réalisé toute ma carrière dans le cyclisme (NDLR : coureur pro entre 1973 et 1982, Roger Legeay a dirigé les équipes Peugeot, Z, Gan et Crédit Agricole entre 1983 et 2008). C’est sûr qu’après le Crédit Agricole, j’avais vraiment l’objectif de trouver un partenaire pour assurer la continuité d’une équipe avec Serge Beucherie et les coureurs que nous avions. Nous avions une belle équipe, la 5ème mondiale à l’époque. J’aurais aimé poursuivre l’aventure, mais je suis tombé dans la plus mauvaise période pour chercher un repreneur. 2008, c’était la crise. Un an avant ou deux ans après, ça aurait été plus facile. J’aurais aimé qu’il y ait une continuité, ça ne s’est pas fait.

La page est donc définitivement tournée quant à l’idée de reprendre un jour la tête d’une équipe ?
Oui, tout du moins je pense… J’avais une belle équipe, une structure, de bons coureurs, et je n’ai pas trouvé de partenaire en dépit d’un vrai beau dossier. Alors aujourd’hui, repartir de rien, sans dossier, me semblerait plus difficile. Par contre, ça me plairait d’être consulté au titre de conseiller, à l’extérieur d’une équipe, mais pas au-delà.

Quel regard portez-vous sur le niveau du cyclisme français en 2011 ?
Le niveau du cyclisme français est toujours bon. Nous avons de bonnes équipes. Tout le monde a été un peu secoué tout de même de se retrouver en 2ème division. Il faut donc se battre absolument sur deux tableaux. D’abord les résultats, et des résultats au niveau international, car les équipes sont maintenant jugées en priorité sur l’aspect sportif. Ensuite, si ça ne suffit pas, le recrutement. Ces deux solutions permettront au cyclisme français de remonter au haut niveau.

Rejoindre la 1ère division, c’est fondamental ?
J’ai le sentiment que le fossé va se creuser entre le niveau WorldTour et le niveau pro continental. Il ne faut absolument pas rater la marche car on voit d’autres équipes monter. Je constate que la moyenne budgétaire des équipes du WorldTour s’élève à 12 millions d’euros. En France, nous n’avons aucune équipe à 12 millions, notre moyenne s’élevant à 8 ou 8,5 millions d’euros. Il va y avoir un effort financier à faire pour rejoindre le peloton de tête car il existe une vraie relation entre le budget et la qualité de l’effectif.

Comment expliquez-vous qu’aucun partenaire en France ne soit prêt à s’investir autant dans le cyclisme qu’à l’étranger ?
Peut-être simplement que les grands partenaires capables d’investir dans ces proportions n’ont pas encore été sollicités. C’est une évolution. Il y a trois ans, j’avais 9 millions de chiffre d’affaire avec le Crédit Agricole et nous étions 5ème équipe mondiale. Mais l’arrivée d’équipes comme Sky ou Leopard-Trek a changé la donne. Ces équipes n’arrivent pas avec des résultats sportifs mais avec de l’argent. Dès qu’ils ont de l’argent, ils font de belles équipes, c’est évident. Nous, en France, il faut garder cette logique en tête : un les résultats, deux le recrutement. C’est ce qui nous permettra de revenir au haut niveau.

On imagine que vous avez tendu l’oreille quant au débat sur le port des oreillettes. Quelle est votre position ?
Je dirais que, sous prétexte de nouvelles technologies, il ne faudrait pas qu’on se laisse déborder. A une époque déjà, dans les années 90, nous avons été débordés avec la position des coureurs sur le vélo, la recherche de l’aérodynamisme à tout prix. Je sais de quoi je parle pour l’avoir vécu avec Chris Boardman. Nous étions arrivés à l’extrême avec une position qui n’était plus dans l’esprit de la compétition cycliste. On a alors tout remis à plat pour revenir à la normale. Aujourd’hui avec l’oreillette, il est normal qu’il y ait débat, mais les histoires de grève me dépassent. Il ne faut pas en arriver là.

Vous avez dirigé vos coureurs avant et pendant l’ère des oreillettes, alors êtes-vous favorable ou non à leur utilisation ?
Je suis favorable aux oreillettes. On donne beaucoup trop d’importance à cet outil car si on donne des informations, elles ne sont pas toujours cruciales. J’étais dans la voiture, je sais ce que c’est : on donne des infos, on présente une stratégie, mais c’est notre métier. La stratégie est mise en place dans le bus, adaptée pendant la course, ça ne me paraît pas illogique. Pour le reste, les courses cadenassées, ça a toujours existé : la garde rouge de Van Looy, Maertens qui gagnait onze étapes sur la Vuelta ou six sur Paris-Nice. L’oreillette n’a rien inventé dans la stratégie. Et je constate que les grandes courses aujourd’hui demeurent superbes malgré la présence des oreillettes. Que le débat se pose est justifié mais il ne mérite pas l’agressivité.

Continuez-vous à suivre vos anciens coureurs ?
Je suis maintenant un supporter de mes anciens coureurs. Je reste beaucoup en contact avec eux. Par texto, par téléphone. Avec Thor Hushovd, Pierrick Fédrigo, Sébastien Hinault, Pierre Rolland et les autres. Je les suis et ça me plaît bien de voir leurs progressions. On s’en aperçoit aujourd’hui, nous avions une sacrée belle équipe.

Propos recueillis à Saint-Mars-la-Jaille le 6 avril 2011.