Thibaut, courir pour la victoire d’étape à Porrentruy répondait-il à une stratégie établie ?
Non. J’avais la consigne de rester dans le peloton avec les leaders, pour apprendre en vue des deux prochaines semaines, mais je savais que j’avais de bonnes jambes et que si je voulais une victoire c’était aujourd’hui ou jamais. Alors j’ai fait un peu ma tête de mule, comme d’habitude, et je suis parti. On savait que c’était une étape propice aux baroudeurs mais il a fallu batailler pour être devant. Jérémy Roy était là aussi. Il a fait un boulot énorme pour moi. Cette victoire lui appartient aussi.

Avant de vous porter en tête, il fallait aller chercher Fredrik Kessiakoff. N’avez-vous pas eu peur qu’il soit trop tard ?
Quand j’ai vu qu’il avait pris autant d’avance, 1’45 » au pied de l’avant-dernière côte, que Jérémy Roy s’était sacrifié pour moi, je savais qu’il fallait que j’attaque sans attendre pour lui reprendre tout ça. J’ai attendu Tony Gallopin, on a fait un petit bout de route ensemble, puis je savais que j’avais encore du jus dans la dernière côte. J’ai alors tout donné. Et puis, porté par le public, ça a aidé. Je ne sentais plus mes jambes sur la fin avec tous les frissons, tous les supporters. J’ai vraiment vécu un grand moment.

Comment avez-vous abordé le final après le col de la Croix ?
Une fois franchi le col de la Croix, il y avait une descente technique. Je connaissais tout le parcours de l’étape sauf la montée et la descente du col de la Croix. A ce moment-là, j’étais un peu dans le rouge, je ne voulais pas faire de faute. Je suis resté prudent. Les 10 derniers kilomètres étaient plats, avec vent de face, j’ai tout donné. Je savais que Fredrik Kessiakoff perdait du temps mais je n’avais plus qu’une minute d’avance sur le peloton, j’ai vraiment eu peur que ça rentre. C’était dur jusqu’au bout.

Quand avez-vous compris que c’était gagné ?
Je n’ai compris que le peloton ne reviendrait pas que dans le dernier kilomètre. Je n’avais plus d’écarts sur la fin, je savais juste que le peloton revenait fort mais je voyais encore la voiture FDJ-BigMat derrière moi. Quand j’ai compris que je ne serais plus revu, j’ai pu profiter de l’instant à fond.

Avez-vous le souvenir d’être allé aussi loin dans l’effort ?
A chaque fois qu’il y a une arrivée au sommet ou un contre-la-montre je me donne à fond. Là c’était différent parce que je jouais une victoire d’étape sur le Tour. Ça s’est déroulé parfaitement. Jérémy Roy était devant, puis il s’est sacrifié, ensuite c’est moi qui y suis allé. J’ai tellement de mal à réaliser la manière dont ce sont passées les choses aujourd’hui !

Gagner dans votre région ou presque ajoute-t-il une saveur à votre succès ?
J’aurais préféré gagner hier, à la Planche des Belles Filles, parce que c’était vraiment chez moi. Là, en Suisse, je connaissais encore beaucoup de monde sur la route, et je sais que demain ça va être encore un grand moment à Besançon, dont j’ai couru au club. Ces trois jours n’auront vraiment été que du bonheur.

Aviez-vous noté des signes avant-coureurs qui vous faisaient prendre conscience que vous pouviez gagner une étape du Tour ?
Je n’irais pas jusque-là, jamais je n’aurais pensé gagner une étape dès ma première année sur le Tour. Mais j’ai bien commencé avec un bon prologue à Liège, et je savais que la forme était là. Hier malheureusement j’ai connu mon jour le moins bien, j’ai été un peu déçu car c’était le jour où j’étais chez moi. Aujourd’hui j’ai vu que j’avais de bonnes jambes, j’avais coché cette étape sachant qu’une échappée avait des chances d’aller au bout. J’espère maintenant que les copains vont en gagner une dans les deux semaines qui viennent.

Vous n’étiez pas prévu sur le Tour cette année, quels arguments avez-vous brandi pour convaincre Marc Madiot ?
Je l’ai convaincu à la pédale ! Je lui ai montré au Tour de Suisse que je faisais partie des cinq ou six meilleurs grimpeurs en haut des cols. Sans un coup de chaud à la veille de l’arrivée, je faisais un Top 10 au classement général. J’ai montré en Suisse que niveau placement et niveau descente j’avais progressé. C’était le moment pour moi de découvrir le Tour de France. Et si j’en ai fait la demande à Marc, c’est que j’étais sûr de mon coup.

Il vous reste néanmoins des progrès à accomplir pour lutter pour un classement général sur le Tour…
Bien sûr mais depuis un petit moment je reprends confiance dans les descentes, l’équipe m’aide dans les placements. Je commence à avoir un statut de mec protégé, c’est plus facile pour moi de frotter. Cette semaine j’ai touché du bois, je suis passé pas mal de fois près de la chute. Je n’ai perdu que deux minutes au final, c’est déjà une bonne première partie de Tour. Je pensais perdre plus de temps dans la première semaine. Je montre que je fais des progrès, que j’apprends, mais je suis là pour ça.

Propos recueillis à Porrentruy le 8 juillet 2012.