Vincent, ce 101ème Tour de France est-il plus stressant ou plus excitant à vivre ?
Stressant, c’est quand l’équipe ne marche pas. Le Tour de France, ça représente des mois de travail et d’investissements. Quand on arrive sur un événement comme celui-ci et que ça ne marche pas, là on est stressé. Quand vous avez deux coureurs parmi les premiers du classement général, il y a un certain apaisement même si l’enjeu, en course, apporte ses moments de stress. Mais c’est aussi pour cela que l’on fait ce métier, pour ressentir ces sensations. Nous sommes tous heureux, apaisés, presque sur un nuage, tout en sachant qu’il y a encore du labeur qui nous attend jusqu’à dimanche pour concrétiser à Paris.

Comment fonctionnez-vous dans la perspective des nombreux objectifs qui sont les vôtres ?
Nous avançons au jour le jour. Nous ne spéculons pas trop à long terme. Nous ne nous mettons pas de pression non plus. Tout ce qui arrive aujourd’hui, ce n’est que du bonus. Nous avons dépassé les objectifs initiaux, même si nous sommes ambitieux, l’appétit venant en mangeant. Nous sommes sportifs de haut niveau, nous en voulons toujours plus, sans se mettre un stress particulier pour quelque chose d’inaccessible. On prend ce qui vient au jour le jour, on l’apprécie, et on essaie d’être bien précis car on sait qu’il y a des pièges à tous les coins de rues. Nous avons une équipe technique, qui commet peu de fautes. Globalement, on court plutôt bien.

Avant les Pyrénées, Romain Bardet est 3ème du classement général, Jean-Christophe Péraud 6ème. Comment cohabitent-ils ?
Ils s’entendent très bien, même si cette question revient sur les lèvres de tous les journalistes depuis vendredi et la première étape alpestre, dans laquelle Romain et Jicé étaient à fond tous les deux et n’ont pas pu allier leur énergie de manière positive. Samedi on a vu au contraire que l’équipe avait été très soudée. Jean-Christophe Péraud, comme il avait été décidé dans le briefing, devait attaquer à un certain point, sachant que Romain Bardet pouvait suivre derrière. Il a suivi d’abord Pierre Rolland, avant d’être le seul à accompagner Vincenzo Nibali. Il a été un point d’appui important pour Romain, qui a pu s’appuyer sur le fait que nous avions un gars à l’avant, ce qui a été plus facile pour lui. La tactique a été plutôt bien suivie. Il y a une très, très bonne entente entre ces deux coureurs, je vous rassure.

L’équipe Ag2r La Mondiale a imposé le tempo dans la seconde étape alpestre, faut-il s’attendre à ce que ce soit encore le cas dans les Pyrénées dès demain ?
C’est difficile à dire. Samedi c’était nous, demain ce sera peut-être une autre équipe. Tout le monde a ses objectifs, sa stratégie, mais ce qui fait la différence reste la capacité physique. Samedi, on a vu une grande équipe Ag2r La Mondiale, avec cinq coureurs dans le final. Nous avions mis une tactique en place pour déstabiliser Thibaut Pinot dans la descente de l’Izoard, sachant qu’il n’est pas forcément à l’aise dans cet exercice. Ça a failli réussir. De là on a demandé à Christophe Riblon, qui était échappé, de s’arrêter pour venir donner un coup de main. Il s’est sacrifié jusqu’à Guillestre, avant que le relais ne soit pris par Mikaël Chérel et Ben Gastauer. Nous avons montré que nous étions capables de peser sur la course au haut niveau. C’est bien sûr une grosse source de satisfaction.

On est à six jours de Paris. Pourquoi allez-vous courir dans les jours à venir : la victoire finale ou une place sur le podium ?
Nous restons humbles dans nos ambitions. Si on ramène un podium à Paris ce sera déjà bien. N’oublions pas qu’il y a le chrono samedi, qui n’est pas forcément notre tasse de thé. Romain Bardet a besoin d’y progresser, et il le sait. Il a d’autres atouts mais il manque encore de puissance. Avant d’en arriver là, il y aura les Pyrénées, dans lesquelles la course va se dessiner un peu plus. A notre avantage ou à notre désavantage, c’est l’incertitude du sport. Quel que soit le résultat, à partir du moment où il est sainement acquis pour qui que ce soit, nous le respecterons. On assiste à une belle bataille entre Thibaut Pinot et Romain Bardet, deux coureurs qui se connaissent bien, qui s’entendent bien, qui se respectent. Le meilleur des deux l’emportera pour le maillot blanc.

Il reste encore une semaine de course avant le clap de fin. Mais d’ores et déjà diriez-vous que cette saison 2014, avec la victoire en mars dans Paris-Nice, est la plus sensationnelle de votre carrière de manager ?
Nous avons vécu quelques grands moments en vingt-deux ans mais, cette année, c’est vraiment du bonheur. On apprécie vraiment ce qui se passe. Peut-être n’avons-nous jamais été à un niveau aussi important. Nous avons en plus un groupe très agréable à vivre au quotidien, même si c’est toujours plus facile à dire quand ça marche que quand ça ne marche pas, comme dans tous les sports. Là on ressent de l’apaisement, de la sérénité, de la gentillesse entre nous. On arrive à allier objectifs majeurs sur une compétition de haut niveau et simplicité. A vivre, c’est le top.

Est-ce la concrétisation d’un rêve ?
Je n’ai pas d’ambition démesurée. Je vis plus dans l’instant avec les plaisirs que m’apportent ce métier. Vous remarquerez que je suis le dernier des Mohicans à tenir le volant. C’est que j’aime sentir l’embrocation du peloton, le stress que représente l’enjeu de la course, la technique, la tactique, tout ça… D’autres managers préfèrent boire des coupes de champagne avec les VIP, moi ce n’est pas mon truc.

On avait déjà bien entendu parler d’Ag2r La Mondiale l’an dernier, l’équipe est-elle en train de détrôner dans le cœur des gens le Team Europcar ?
Notre équipe a surtout pour caractéristique d’avoir toujours été performante depuis très longtemps sur les Grands Tours. Elle a été bâtie pour ça. Si vous regardez les classements par équipes, nous sommes devant depuis de nombreuses années. On a toujours réussi nos Giros, nos Vueltas. Nous sommes une équipe organisée pour les Grands Tours. La médiatisation et la popularité, c’est une chose, mais nous, d’abord, on fait du sport.

Propos recueillis à Tallard le 20 juillet 2014.