Montrer, analyser, diagnostiquer… Autant de facultés que possèdent les cartes, à travers leurs méthodes d’éclairage uniques, saisissant la vue et l’esprit comme nuls mots ne peuvent le faire. Instrument privilégié des politologues, urbanistes ou encore géographes, les cartes sont devenues au fil du temps un figuré majeur des rapports et autres articles. Existantes depuis l’antiquité, autrefois utilisées uniquement pour placer, situer et reconstituer les cités et les contrées, leur portée s’est nettement accrue depuis, s’étendant ainsi jusqu’à des domaines forts éloignés. C’est pourquoi cette nouvelle rubrique a pour objectif d’apporter un regard nouveau sur le cyclisme, de regarder notre sport à travers un prisme inédit, pour en dénicher des aspects jusque là inexplorés. Si, dans l’Histoire, les cartes avaient coutume de guider les Hommes là où personne d’autre n’avait mis les pieds, elles servent aujourd’hui à fouler des terrains dans lesquels les mots ne peuvent aller. Alors s’il sera question d’étayer ces illustrations par des propos, pour éclaircir la méthodologie employée ou expliquer les effets montrés, la carte consistera le cœur de chaque article, de chaque chronique, tournés vers elle et dévolus à elle. Nous commençons aujourd’hui avec une première carte, intitulée « la mondialisation relative du cyclisme ». Bonne lecture.

La carte :

Carte : la mondialisation relative du cyclismeCarte : la mondialisation relative du cyclisme | © Jean-Guillaume Langrognet (Pour mieux visualiser la carte, l’ouvrir dans un nouvel onglet)

Méthodologie :

Tout d’abord, il convient de vous dévoiler les derrières de cette carte, car la réalisation d’une carte implique automatiquement un certain nombre de choix à faire. Si je passe sur l’esthétique adoptée ou encore le type de projection, je m’attarderai ici sur la construction du fichier de données, donnant lieu aux statistiques affichées. Ayant pris pour ressources les statistiques de l’excellent site de datas cyclistes Procyclinstats, véritable référence en la matière, j’y ai relevé l’ensemble des courses masculines professionnelles, toutes catégories confondues, mise à part les championnats nationaux. En revanche, les championnats continentaux et mondiaux ont été intégrés aux calculs, pour le compte de leur nation organisatrice. J’ai en effet souhaité souligner qu’une telle organisation résultait d’une réelle volonté fédérale, et qu’elle se devait donc d’être valorisée. Quant au comptage des coureurs professionnels, il concerne également seulement la gente masculine, et concerne également toutes les divisions, des formations Continentales aux cylindrées World Tour. Affichées sous forme de parts, ces statistiques ont ainsi vocation à représenter les teintes du peloton mondial, et illustrer la prééminence de certaines nations dans le tout. Cela étant dit, nous pouvons désormais évoquer les points majeurs d’analyse.

Analyse :

Le Vieux Continent prédominant…

De manière assez évidente, l’Europe est au cœur de cette carte, non seulement pour sa position européanocentrée, mais aussi pour sa capacité à en rassembler les plus gros figurés et les plus vives teintes. Mère de la Petite Reine, l’Europe continue en effet d’être le continent-roi du cyclisme, de part ses coutumes, mais également du fait des politiques publiques mises en place dans un certain nombre de ses nations, notamment en Scandinavie, aux Pays-Bas ou encore en France. En comptant les trois quarts des courses et la majorité des coureurs professionnels en son sein, elle se place naturellement au cœur de la discipline. Et cette domination outrageante n’est pas seulement quantitative, mais aussi qualitative. Tous les monuments, toutes les classiques, tous les Grands Tours, y sont organisés. Et dans les 19 premiers du classement UCI de la saison 2019, seul Egan Bernal fait figure d’intru. Pourtant, au-delà de ces chiffres écrasants, se cache une vraie révolution.

…Mais à la suprématie contestée par d’autres pays de l’OCDE…

En effet, depuis quelques décennies, les contingents américains, australiens ou encore néo-zélandais s’accroissent. Les trois sacres de Greg Lemond sur la Grande Boucle, accompagnés de la victoire d’Andrew Hampsten sur le Giro 1988, avaient d’ailleurs symbolisés l’arrivée de l’impérialisme étatsunien, alors qu’outre-Atlantique, la bicyclette ne pèse guère face à la ballon orange ou ovale. Cependant, cette première est parvenue à se frayer son chemin parmi les classes aisées du continent nord-américain, promulguant les Etats-Unis et le Canada parmi les nations fortes du cyclisme moderne, au point de voir-même une formation américaine écraser le Tour de France au cours des années 2000, avec les méthodes que l’on connaît… De même, à l’autre bout du globe, la Petite Reine a aussi su séduire Down Under. S’adressant également à un public privilégié, elle y est lentement montée en puissance, avant de connaître son grand boom avec le triomphe de Cadel Evans sur le Tour de France en 2011, également premier océanien champion du monde en 2009, le tout concordant avec la première organisation australienne des mondiaux sur route en 2010. Depuis, si les jaunes et verts ne se sont plus arrogés de tels succès, ils sont cependant parvenus à s’installer durablement dans le paysage du cyclisme de haut-niveau, tout comme les néo-zélandais, représentés sur les classements généraux des Grands Tours par le vaillant grimpeur George Bennett.

…Ainsi que par des nations émergentes en quête de visibilité sur le terrain sportif…

Pourtant, le futur de la discipline semble se situer en-dessous de la fameuse ligne de développement, séparant le monde en deux parties distinctes. Effectivement, l’année 2019 a sonné l’arrivée sur les podiums des sud-américains, avec les tonitruantes victoires de l’équatorien Richard Carapaz sur le Giro et du colombien Egan Bernal sur le Tour. Sur le premier, seul le prodigieux Nairo Quintana était parvenu à s’emparer du fameux maglia rosa à l’arrivée finale. Sur le second, aucun sud-américain n’avait jusqu’ici réalisé une telle prouesse. Et avant la décennie 2010, seul Luis Alberto Herrera avait su tirer profit d’une très montagneuse Vuelta 1987 pour aller chercher le premier Grand Tour de son continent. En effet, si les colombiens foulent les pelotons professionnels depuis les années 1970 – 1980, ils restèrent longtemps de piètres rouleurs, survolant les montagnes mais perdant de précieuses minutes dans les contres-la-montre et les étapes de plaine. Avec l’émergence de performants sprinteurs comme Fernando Gaviria, ainsi que le développement de qualités intrinsèques dans l’exercice en solitaire, notamment présentes chez Egan Bernal, mais aussi chez le plus discret Daniel Felipe Martinez, champion de Colombie du chrono, ceux-ci s’avèrent enfin être de vrais coureurs complets, enfin aptes à briller sur tous les terrains, ravissant ainsi logiquement leur première victoire à Paris.

Mais à moindre niveau, ce développement se produit aussi en Asie, en Chine comme dans le Sud-Est du continent. Si les ressortissants des nations concernées sont encore peu présents en World Tour, ils sont en revanche plusieurs dizaines à vivre de leur passion, foulant à longueur d’année le méconnu calendrier continental asiatique, et ses obscurs Tours de Langkawi, du lac Qinghai ou de Thaïlande. Et si ces coureurs sont encore loin d’espérer un sacre sur le Tour, les ténors du peloton se rendent enfin sur leurs terres, avec l’apparition au calendrier World Tour du Tour de Pékin dans un premier temps, remplacé aujourd’hui par le Gree Tour of Gangxi, achevant fin octobre la saison cycliste. Plus financières que passionnelles, ces courses participent pleinement à la mondialisation croissante de notre sport.

…Dans une dynamique n’intégrant pas toutefois les pays encore sous-développés

Cependant, ces dynamiques n’atteignent pas encore un certain nombre de pays, majoritairement situés en Afrique, mais aussi au Sud-Ouest de l’Asie, où les colossaux défis de développement économique rendent tout projet d’organisation de course cycliste farfelue. Sport quelque peu onéreux, le cyclisme peine effectivement à s’imposer dans ces contrées au niveau de vie effroyablement bas, bien loin de la popularité du football. En réalité, la Petite Reine ne se développe que lorsque l’économie est lancée, comme en témoigne l’exemple du Rwanda, pays d’avenir de la discipline, au Tour National déjà réputé parmi les meilleurs coureurs africains. De même, en dépit de sa situation politique inquiétante, l’Erythrée s’est posée en figure de proue du cyclisme continental, aux côtés de l’Afrique du Sud, en voyant même Daniel Teklehaimanot revêtir occasionnellement le maillot blanc à pois rouges du Tour de France en 2015. Mais la route restant à parcourir est encore longue, et la mondialisation du cyclisme bel et bien relative.

Par Jean-Guillaume Langrognet