Il attaque, grimpe, descend, roule et sprinte à merveille. On le savait capable de tenir tête aux cadors des classiques belges sur le Binck Bank Tour, de garder les roues des meilleurs puncheurs sur la Classica San Sebastian, d’inquiéter Julian Alaphilippe au sprint. On lui connait désormais d’incroyables aptitudes de coureur de haute-montagne, aussi performant dans les montées que dans les descentes. Il n’a que 22 ans mais s’élève déjà au niveau du gratin mondial. Et s’il s’était fait oublier en début de saison, ce jeune suisse a rappelé aux plus distraits son nom : Marc Hirschi. Et au regard de son parcours et de son exploit du jour, il ne fait nul doute que ce patronyme germanique sera rapidement évoqué de nouveau par les commentateurs du monde entier, tant il est promis à un bel avenir.

En effet, l’époustouflante chevauchée dont a été auteur le natif de Berne entre Pau et Laruns n’est en fait que la continuité d’une ascension hors du commun. Sur le devant de la scène dès les rangs juniors, où l’échelle nationale s’avérait même trop réduite pour lui, à l’image de ses deux titres de champion de Suisse dans la catégorie, Marc Hirschi s’est dès lors illustré parmi l’élite mondiale de son âge. Régulièrement placé, et parfois vainqueur, sur les courses d’un jour comme sur les épreuves par étape, c’est avec ce brillant CV qu’il a fait son entrée chez les Espoirs. Et à l’automne 2018, lorsque la France est ébahie devant la démonstration de ses coureurs sur le circuit d’Innsbruck, lorsque les suiveurs assistent à l’éclosion du crack Evenepoel, le suisse décroche le maillot aux liserés arc-en-ciel dans sa catégorie, devant le regretté Bjorg Lambrecht et un certain Tadej Pogacar.

Logiquement passé professionnel l’année suivante sous le maillot de la Sunweb, Marc Hirschi se hisse d’abord par deux fois dans le top 5 d’étapes du difficile Tour du Pays Basque, avant d’endosser le rôle de leader de sa formation sur les épreuves de seconde partie de saison, à l’image du Binck Bank Tour, achevé à la 5e place, mais aussi du Tour d’Allemagne, dont il prend la 6e position du classement général, sans oublier son podium surprise à la Classica Sebastian, deuxième du sprint du peloton derrière Greg Van Avermaet. Preuve que le suisse n’arrivait pas sur ce Tour sans références…

Ainsi sélectionné sur la plus grande épreuve cycliste du monde dès sa seconde saison dans l’élite, Marc Hirschi n’a pas tardé à prouver à son manager qu’il méritait sa place. Assumant dès le deuxième jour son statut de leader sur certaines étapes, il a été le seul en mesure de suivre l’explosive accélération de Julian Alaphilippe dans le col des Quatre Chemins, puis est passé à un boyau de le sauter au sprint. Moins en vue sur la suite du Tour, où il rechargeait vraisemblablement les batteries, le bernois est repassé à l’attaque ce dimanche. Et avec la manière !

Passé à l’offensive dès le pied du col de la Hourcère, son ahurissant tempo a fait exploser tout ceux qui tentaient de s’accrocher à sa roue, rappelant les grandes heures de son mentor Fabian Cancellara, irrésistible lors de ses grands succès sur les classiques pavées. Ainsi, c’est au train que le suisse a décroché Thibaut Pinot, avant de voir l’allemand Lennard Kamna en surrégime lâcher aussi vite qu’il était revenu. S’envolant ainsi à l’avant de la course, s’élançant dans une longue chevauchée solitaire, dont il était autant prisonnier que responsable, le suisse se voyait condamné à l’exploit pour triompher.Marc Hirschi sur la route de LarunsMarc Hirschi sur la route de Laruns | © Team Sunweb

Creusant l’écart avec ses poursuivants, pourtant réputés excellents grimpeurs, dans la première ascension de la journée, Marc Hirschi a ensuite éclaboussé les spectateurs de son savoir-faire technique en réalisant une descente parfaite, aux trajectoires aussi nettes que contrôlées, afin d’accroître son écart sur le groupe maillot jaune où le train jaune et noir des Jumbo-Visma se faisait menaçant se faisait menaçant. En combinaison de chrono, le coureur de la Sunweb a ensuite fait parler sa puissance pour continuer sur sa lancée dans la vallée, alors que ses poursuivants, pourtant bien plus nombreux, s’y faisaient engloutir par le peloton des favoris. Après une remise en jambe dans le col d’Ichère, c’est à l’effroyable col de Marie-Blanque et ses abominables quatre derniers kilomètres à plus de 10% de moyenne de déclivité qu’il s’est attaqué. Le calcul était simple : 8 kilomètres d’ascension et près de 4 minutes d’avance pour résister au retour des cadors. Impressionnant de maîtrise, étourdissant de force, le bernois a d’abord fait jeu égal avec les premiers wagons du TGV de Primoz Roglic, avant de s’avérer impuissant face aux attaques des grands. Au sommet, les minutes sont devenues secondes, alors que le quatuor formé par Roglic, Pogacar, Landa et Bernal plongent la tête la première vers Laruns dans l’optique de distancer leurs adversaires.

Mais en maestro du spectacle, en maître du suspense, Marc Hirschi entame une farouche résistance, parfaitement aligné sur sa machine comme en position de contre-la-montre, les bras allongés sur le cintre, le corps épousant l’air. D’une poignée de seconde au sommet, il repasse à une demi-minute, s’approchant à grands pas d’un exploit légendaire, s’apprêtant à parachever un merveilleux conte pour enfants.

Les histoires contemporaines retiendraient ce récit épique. Charles Perrault aurait bien écrit le scénario final. Cruellement repris à deux bornes de l’arrivée puis battu de justesse par les deux slovènes au sprint, Marc Hirschi ne verra pas son exploit resplendir dans un palmarès encore vierge dans les rangs élites. Mais il est certain qu’il se remplira bien assez vite, pour que le bernois devienne le chef de file d’une jeune génération suisse emplie de promesses, et dont l’éclosion ne saurait tarder. Oubliez Fabian Cancellara, les nouveaux helvètes débarquent avec ambition dans le monde de la Petite Reine !

Par Jean-Guillaume Langrognet