« A l’ombre ! A l’ombre ! On l’emmène à l’ombre ! » Céline Mazard, l’attachée de presse de l’équipe Ag2r La Mondiale, essaie tant bien que mal de fendre l’épaisse masse journalistique dans laquelle Jean-Christophe Péraud (Ag2r La Mondiale) vient de se jeter juste après l’arrêt du chrono au franchissement de la ligne de Périgueux. Alejandro Valverde vient d’être rejeté pour de bon du podium, Thibaut Pinot est encore en course pour quelques instants, mais déjà on sait. Jicé sera le premier dauphin de Vincenzo Nibali sur le podium du 101ème Tour de France. Escorté par le peloton médiatique qui s’écarte à reculons, le Toulousain est conduit à l’ombre d’un poids lourd, dans un mince couloir borné d’un côté par le camion, de l’autre par une grille.

Là, à l’abri du soleil et des projecteurs, le coureur d’Ag2r La Mondiale se laisse enfin choir sur l’asphalte, comme il l’avait fait après chacune de ses performances en montagne. Le dépassement de soi-même conjugué à tous les temps. Bientôt, on lui officialise l’information : « Jicé, tu es 2ème du Tour de France ! » Julien Jurdie, son directeur sportif qui a suivi Romain Bardet quelques minutes plus tôt, s’est hâté de rejoindre le fond de ligne. Il est le premier à embrasser chaleureusement le n°2 du Tour de France. Aussitôt imité par le staff d’Ag2r La Mondiale présent autour du Français.

Qu’est-ce qui peut bien alors traverser l’esprit de Jean-Christophe Péraud, qui renie la définition de personnage atypique mais dont le parcours cycliste reste des plus singuliers. « Jamais je n’ai eu la prétention de faire une carrière de coureur cycliste, dit-il. Pour moi, le vélo, c’était avant tout ludique, même s’il a toujours représenté pour moi la recherche de la performance, de la progression. Mes parents m’ont toujours fait donner la priorité aux études. Et je les ai écoutés. »

Diplômé en 2004 en génie énergétique et environnement, l’ingénieur toulousain a d’abord trouvé son plaisir dans le VTT, la discipline de son cœur, celle qui l’a hissé jusque sur la deuxième marche du podium des Jeux Olympiques de Pékin en 2008, à la droite de Julien Absalon, cinq ans après avoir accroché le mythique Roc d’Azur. Aujourd’hui encore, la médaille d’argent des JO reste indétrônable dans son cœur. « Ça reste plus important qu’une 2ème place sur le Tour, affirme-t-il. Les Jeux, c’est l’événement qui m’a toujours fait rêver. Pour l’esprit de Coubertin. Le VTT m’a clairement construit. Il m’aide surtout à être performant en contre-la-montre, à gérer un effort et à tenir l’intensité maximale. Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce au VTT. »

Pourtant, ce sont les sirènes de la route qui l’appellent bientôt. Sous le maillot du Creusot Cyclisme, avec lequel il est devenu champion de France chez les amateurs en 2008, Jean-Christophe Péraud crée la surprise en devenant champion de France du contre-la-montre à Saint-Brieuc en 2009. Lui, l’amateur issu du VTT alors âgé de 32 ans, laisse Sylvain Chavanel à 24 secondes. Une porte s’ouvre alors sur une aventure professionnelle chez les routiers. L’ingénieur d’Areva prend une disponibilité pour s’engager en 2010 avec l’équipe Omega Pharma-Lotto de Marc Sergeant. Mais ses débuts sur le Tour seront repoussés d’un an, la faute à une septicémie.

Le tout jeune pro, recruté dès 2011 par Ag2r La Mondiale, va alors faire le début de carrière qu’on lui connaît : 9ème de son premier Tour de France en 2011, 3ème de Paris-Nice en 2013 avant de devoir abandonner sur chutes le Tour et une place promise dans les 10 à Paris, et tout à l’heure 2ème du Tour de France 2014.

Jean-Christophe Péraud n’a pas repris ses esprits au moment où il s’installe, une heure après Vincenzo Nibali, au pupitre dressé en salle de presse dans une cité scolaire de Périgueux. Traditionnellement, seul le (futur) vainqueur du Tour de France s’y installe vingt-quatre heures avant le défilé des Champs. Evénement tricolore oblige, Jean-Christophe Péraud et Thibaut Pinot s’y présenteront à tour de rôle. La conférence de presse du n°2 du Tour sera brève, sept minutes, mais sept minutes de supplice pour un coureur qui s’y présente extrêmement ému.

Dès ses premiers mots, volontairement courts, des sanglots d’émotion s’échappent de la gorge nouée du coureur aux yeux humides. « J’avais les temps intermédiaires, explique-t-il en référence au chrono déterminant de Périgueux. Je savais que j’avais un peu d’avance sur Thibaut Pinot et qu’Alejandro Valverde n’était plus dans le coup avant ma crevaison. Dans ce genre de situation de stress, il ne sert à rien de s’affoler. J’ai essayé de garder mon sang-froid. A l’arrivée j’ai été gagné par l’émotion. Par l’ampleur de la tâche peut-être. J’ai fourni beaucoup d’efforts, et quand les efforts sont récompensés, ça fait grand plaisir. »

Furtivement, le micro plaqué contre ses lèvres tremblantes, Jean-Christophe Péraud évoque l’avenir dans des réponses qui se font de plus en plus brèves. « Est-on obligé d’être différent après une 2ème place sur le Tour ? – Non, je ne pense pas que ça me changera. » « Quels seront vos nouveaux challenges ? – Avant de pouvoir prendre ma retraite, j’ai encore envie de découvrir. Je n’ai jamais fait le Giro, il me reste deux ans pour cela. » Un journaliste évoque alors son émotion. Et puis soudain, les mots ne sortent plus. Cette fois la gorge dénouée ne peut plus retenir les sanglots, les yeux détrempés ne peuvent plus contenir les larmes. Une salve d’applaudissements retentit pour laisser à Jicé le temps de reprendre ses esprits. Il ne les reprendra pas. « Je pense qu’on en a assez dit, non ? On va me laisser aller dormir… », conclut-il en pleurs avant de s’effondrer dans les bras de son manager Vincent Lavenu.