Christian, vous en êtes à votre 4ème saison sur la Haute Route. Comment définiriez-vous les trois premières éditions ou double éditions en ce qui vous concerne ?
Ce furent des expériences extraordinaires. J’avais beaucoup d’appréhension la première année : y arriverai-je ? N’étais-je pas trop présomptueux ? J’ai serré les dents et j’ai vite pris confiance en moi. Ce fut une aventure hors norme pour moi et mon handicap. L’an dernier j’étais donc impatient d’enchaîner la Haute Route Pyrénées après la Haute Route Alpes pour ma troisième participation. Je savais que ce serait très difficile, mais j’y suis arrivé. Je suis très fier en tant que coureur handisport d’avoir réussi cet exploit. Mes sensations furent fabuleuses. J’ai hâte de revivre l’expérience cet été.

Quel regard portent les autres participants sur vous et sur vos performances ?
Les autres coureurs ne cachent pas leur admiration. Ils manifestent aussi beaucoup de respect devant mes exploits. Je ne veux pas être un phénomène. Je leur dis que je suis un sportif exigeant qui fait la même chose qu’eux : du vélo. Je puise dans mes ressources et je repousse mes limites pour dépasser mon handicap et vaincre les difficultés du parcours.

Quelle est la différence entre le regard porté par les sportifs, les cyclistes et le reste de la population qui vous entoure ?
Dans le regard qu’on me porte, il y a de la curiosité, de l’admiration et du respect. Il est certain que je ne passe pas inaperçu en raison de mon handicap. Le public ne ménage pas ses encouragements, pour lui je suis toujours vainqueur, cela m’apporte du réconfort et de la motivation supplémentaire.

Sur les trois éditions précédentes, quel a été le moment le plus difficile, si vous jugez qu’il y en a eu ?
Aucune étape n’est facile sur la Haute Route, elles sont toutes extrêmement exigeantes. Je me souviens cependant tout particulièrement de l’étape marathon de la Haute Route 2012 : enchaîner La Madeleine, le Glandon puis l’arrivée à l’Alpe d’Huez par Villard-Reculas fut un véritable calvaire, c’est tellement dur. C’est pourquoi j’appréhende énormément cette même étape cette année : elle fait vraiment peur !

Cette année, vous allez vous attaquer à la Triple Couronne, est-ce votre plus grand défi jusqu’à présent ?
La Triple Couronne, oui, c’est le plus grand défi que je ne me suis jamais lancé. Enchaîner ces trois épreuves, c’est hors norme, c’est du « no limit » au quotidien durant 21 jours. Mais je sais que j’en sortirai « finisher », je le veux !

Vous allez faire la Triple Couronne avec le papa de Luisa, une enfant atteinte d’encéphalite herpétique, et pour l’association ‘Les amis de Luisa’. Comment s’est établie cette connexion ?
Fabien, le papa de Luisa, fait du cyclocross à un très bon niveau régional et est un voisin et ami de mon village à Sondernach, niché tout au fond de la grande vallée de Munster. Tout le monde se connaît chez nous et Luisa est un peu notre fille à tous. Pour l’aider elle et ses camarades, pour rendre leur vie encore plus normale et plus heureuse, pour soulager leurs parents, nous avons pensé œuvrer en faveur de l’enfance handicapée par le biais d’une association : « Les amis de Luisa ». Comme nous sommes des compétiteurs, nous voulons aussi gagner pour Luisa. Quelle meilleure vitrine que la Haute Route pour médiatiser notre action et sensibiliser le plus grand nombre de personnes à notre objectif ? Pour cela, nous avons le meilleur parrain du monde : Greg LeMond, un ami personnel. Après, j’en ai parlé aux patrons de la Haute Route, Rémi Duchemin et Alexandre Blanc. Je suis heureux et fier du soutien spontané qu’ils m’ont apporté. Je les remercie pour leur généreux partenariat. Ils nous mettent dans les meilleures conditions pour notre action.

L’association vise à trouver des fonds pour le centre Caroline Binder qui suit les enfants polyhandicapés comme Luisa. Quel défi en termes financiers cette fois, vous êtes-vous donné ?
Nous voulons contribuer au financement d’une salle multi sensorielle dite « Snoezelen » du centre Caroline Binder. L’investissement est de 25 000 euros. Nous souhaitons qu’un maximum de personnes me soutienne pour franchir 61 000 mètres de dénivelé positif. Fabien, sur la Haute Route Alpes, en gravira 21 500. Nos supporters nous encourageront et feront la course avec nous en contribuant par leur don, à hauteur de 1 euro par mètre de dénivelé. Nous et les donateurs, nous devons rejoindre l’arrivée ! Ce sera l’objet d’une formidable émulation.

Pour atteindre ce montant « idéal » quels seront les moyens que vous proposez aux donateurs ?
L’association va diffuser une plaquette consacrée à l’action et mettra en ligne un site Internet (www.lesamisdeluisa.com). Une conférence de presse est également prévue lors de laquelle nous solliciterons médias locaux (quotidiens régionaux, radios locales et nationales, télévision régionale) et nous serons présents lors de diverses manifestations régionales. Fabien terminera une étape de la Haute Route Alpes en tractant une remorque avec Luisa. Il faut que 1000 personnes nous poussent concrètement sur 30 mètres de dénivelé, ou bien 500 sur 60 mètres…

Quelle différence faites-vous entre le terme handicapé sportif et celui de sportif handicapé ?
Je ne me suis jamais considéré comme un handicapé sportif. Je cours avec tous les autres concurrents en repoussant mes limites et en me battant loyalement avec mes moyens. Mon mental et ma volonté doivent être exemplaires, plus encore que celle d’un champion dit « normal ». C’est là, la vraie définition du sportif. C’est ma fierté. C’est cette image que je veux véhiculer lors des épreuves auxquelles je participe. Je ne fais pas du sport dans un ghetto. Je ne condamne pas pour autant les jeux paralympiques pour sportifs handicapés. Ils permettent de montrer au monde que justement, un handicap physique n’empêche pas de se battre sportivement et au-delà, de se surpasser. C’est cette conviction qui me transcende. Luisa, Fabien, moi, nos supporters, nos sympathisants, nos donateurs, nous participons tous à notre manière à une même compétition : celle de la vie. Elle vaut qu’on se batte en donnant le meilleur de nous-mêmes.

Propos recueillis le 30 juin 2014.