Christophe, on va attaquer la troisième année des cyclos que vous organisez, quel bilan tires-tu des deux premières, et surtout, les compétiteurs sont-ils ceux que vous attendiez, notamment du côté des coureurs venus d’Italie ?

Notre deuxième saison a été clairement satisfaisante. L’objectif était de renforcer les fondations de ce que nous avions mis en place en 2016. En 2017, l’accent devait être mis sur deux choses : donner satisfaction sur ce qui fait l’essence d’une épreuve cyclosportive, à savoir ses prestations (sécurité, ravitaillements, repas, remise des prix…), et être financièrement à l’équilibre, car il est nécessaire de partir sur des bases saines à ce niveau là. Objectif atteint sur ces deux points. L’image dégagée par nos cyclos est plutôt positive, si l’on se fie notamment aux retours de nos partenaires qui continuent avec nous dans leur immense majorité. Et d’autres ont même décidé de nous rejoindre pour 2018, ce qui, en ces temps, est plutôt bon signe ! On est bien présent sur les réseaux sociaux et cela plait. Quant aux compétiteurs, nous arrivons à toucher la cible que nous nous étions fixés au départ, à savoir des personnes extérieures à notre département, qui ont représenté cette année environ la moitié des engagés, avec une part de presque 25 % d’étrangers. Nous avons comptabilisé 21 nationalités différentes sur l’ensemble de la saison, avec 18 rien que sur la Mercan’Tour Bonette. Bien entendu, les italiens représentent une part très importante de ce contingent étranger. De vrais liens ont été noués avec l’Italie, notamment avec la création du Trophée Granfondo Alpes, et cela se ressent fortement.

Vous avez doublé le nombre d’épreuves, le nombre de participants ne dépasse pas les 500, donc en deçà de vos attentes, penses-tu que ce soit à cause des dates, de la concurrence ou du type de cyclo assez extrême côté dénivellation ou autres ?

En deçà de nos attentes, pas vraiment sur la globalité de la saison. Certes, nous espérions dès cette année atteindre la barre des 500 sur la Mercan’Tour Bonette, et nous avons fait 400. Mais, je préfère voir le verre à moitié plein, c’est tout de même 10 % d’engagés de plus que pour la 1ère édition ! En créant plusieurs Mercan’Tour, nous savions aussi que nous diluerions immanquablement le nombre de participants. La Bonette entre clairement en concurrence avec les très grandes et très difficiles cyclos montagnardes. Il va falloir du temps pour s’imposer peu à peu dans le paysage. La grande difficulté du parcours effraie-t-elle ? Très certainement pour certains pratiquants. Mais c’est la marque de fabrique et l’identité de cette épreuve. C’est ce qui à terme fera venir les concurrents, nous en sommes convaincus. Les retours très positifs de tous ceux qui l’ont faite nous confortent dans cette vision. Comme nous l’a dit un concurrent, « c’est plus qu’une cyclo, c’est une expérience ». Et faire du chiffre n’est pas notre but premier, car quoiqu’il arrive, cette épreuve sera limitée à 600 participants.

La 1ère de la Mercan’Tour Turini a été une réussite avec 320 engagés alors que nous tablions sur 300. Pourtant ce n’était pas un week-end très favorable avec la concurrence de l’Albigeoise qui, en 2017, qualification pour les championnats du monde Granfondo obligent, a attiré beaucoup de monde… Et celle de la Fête des Mères ! D’ailleurs, cette année, nous l’avons reculé d’une semaine.

Enfin, la Mercan’Tour Madone s’est décidée en cours d’année,  et pour une course de toute fin de saison, nous avons fait 265 engagés, donc pas bien loin de l’objectif 300. Pour cette dernière, la grande difficulté du parcours pour un mois d’octobre en a clairement effrayé plus d’un. D’où notre décision de « raboter » un peu l’épreuve en 2018, avec 15 km de moins et un dénivelé à 2800 m au lieu de 3500.

La présence des pros qui gagnent deux de vos cyclos ne renforce-t-elle pas ce côté « cyclos réservées à des pointures » ?

Je ne pense pas que le fait que Rebellin ou Wellens, puisque ce sont d’eux qu’il s’agit, aient franchi la ligne d’arrivée en premier sur la Bonette et la Madone, joue sur le choix de l’immense masse des cyclos de prendre le départ d’une épreuve ou non. D’ailleurs à ce sujet, je tiens à préciser les choses, les pros ont certes franchi la ligne en premier, mais les vainqueurs officiels, et récompensés en tant que tels, ont été Antoine Berlin et Enrico Zen, les amateurs. Sur cette question des pros, personne n’est venu se plaindre officiellement. Par contre,  j’ai vu et entendu beaucoup de cyclos heureux de partager un moment avec des champions de la trempe de Philippe Gilbert, qui était aussi présent sur la Madone. Pour nous, ils seront toujours les bienvenus. Je n’y vois aucune contradiction avec l’esprit du cyclosport. Un footballeur du dimanche aura-t-il l’occasion un jour de « taper le ballon » au Camp Nou avec Messi ? Non. En cyclisme cela est possible. Et c’est une chance.

On sait que la Haute Route est devenue la référence en matière de cyclosportive, est-ce que ça vous inspire, sinon quelle est l’épreuve dont vous vous inspirez ?

La Haute Route est inspirante pour l’image qu’elle dégage. En termes de communication, c’est un vrai modèle, oui. Mais nous ne sommes pas sur le même format d’épreuve. La Mercan’Tour Bonette par exemple est plus dans la vaine d’une Marmotte. Mais en termes de savoir-faire, d’état d’esprit  et de convivialité, c’est aussi de l’autre côté des Alpes que nous regardons, notamment chez nos voisins et amis de la Fausto Coppi. Cette épreuve est pour moi un très beau modèle.  Ils réussissent à parfaitement allier la quantité et la qualité. Mais c’est 30 ans de travail, on a encore donc du temps devant nous !

Comment réagissent les collectivités d’accueil ? Les Alpes Maritimes ? Et quel bilan tirez-vous du challenge sur les cyclos du 06 ?

Les communes sont satisfaites et n’ont pas hésité au moment de renouveler l’aventure. Nous sommes dans le Haut-Pays niçois, dans des communes de montagne, ce type d’épreuve est important pour l’économie locale. Surtout que nous choisissons toujours des dates plutôt hors « haute-saison » touristique. Le Conseil Départemental s’est également beaucoup engagé, justement avec la création de ce Challenge Cyclosportif 06 l’an dernier. Tout le monde est satisfait de cette initiative, les pouvoirs publics comme les organisateurs qui ont ainsi appris à mieux se connaître, à travailler ensemble, à mutualiser certaines choses. D’ailleurs, dès l’an prochain, deux nouvelles épreuves entrent dans ce Challenge, dont une réservée exclusivement aux féminines. Peu à peu, les Alpes-Maritimes trouvent leur place sur la carte de France du vélo. Et l’annonce du Grand départ du Tour à Nice en 2020 a été pour nous une bien belle nouvelle !

Pour 2018, quelles sont vos ambitions sur les épreuves déjà en portefeuille ?

Grandir un peu, bien entendu, mais surtout maintenir le niveau de prestations. Et continuer à travailler sur notre image et sur la convivialité de nos épreuves. Donner envie de venir découvrir notre magnifique Mercantour à vélo !

Quelles seront vos nouvelles épreuves?

Nous allons créer cette année, avec notre partenaire historique Café du Cycliste, une épreuve 100 % féminine, entre La Gaude et Valberg. L’arrivée du « petit » parcours (102 km-1500 m D+) sera jugée à Guillaumes, au pied de la station de ski. Et pour les plus vaillantes, une seconde ligne d’arrivée sera donc tracée à Valberg, 14km, mais surtout 900 m plus haut (116 km – 2400 m D+).

Vous aurez donc une épreuve 101 % féminine ! Après la fin de la Tavelloise, voire du Challenge Vercors pour elles, quelle mouche vous a piqué de lancer un tel défi ?

Nous voyons tellement de femmes pratiquer aujourd’hui le cyclisme que cela nous est paru naturel. Créer une épreuve dédiée exclusivement aux dames pour essayer d’être acteurs de cette évolution. Pourquoi sans les hommes pourra-t-on nous demander ? Parce que souvent, lorsque nous discutons avec certaines pratiquantes, nous nous sommes rendu compte qu’elles pouvaient hésiter à prendre le départ d’une cyclosportive au milieu des hommes. Et puis leur dédier une épreuve, c’est vraiment un moyen de mettre en lumière cette féminisation de plus en plus importante du cyclisme, et donc la pousser un peu plus. Si l’on suit Aragon qui disait que « la femme est l’avenir de l’homme », il paraîtrait logique qu’elle soit aussi l’avenir du vélo

Côté services, quels vont être les « plus » apportés aux coureurs en matière de récupération, rapatriement éventuel… Pour attirer plus de femmes sur cette cyclo nouvelle, et vos cyclos du challenge ?

Nous allons proposer un service pour les concurrentes désirant laisser un véhicule la veille sur le lieu d’arrivée qui est éloigné du lieu de départ, puisqu’il s’agit en effet d’un format « routière ». Ensuite, les services seront les mêmes qu’à l’accoutumé : massages à l’arrivée, ravitaillements et repas de qualité… Sur ce point là, il y a parité, pas de différence de traitement entre les hommes et les femmes !

Concernant les dérives du cyclosport, que penses-tu des coureurs qui coupent les virages, jouent leur vie (et la survie de l’organisation !) et ne soient pas mis hors course par les organisateurs, idem pour ceux qui jettent des papiers ?

En tant qu’organisateur, je n’aurais aucun scrupule, ni aucune hésitation, à mettre un coureur hors-course s’il est surpris à prendre des risques inconsidérés. Ils se mettent en danger, mis aussi les autres concurrents, les autres usagers de la route et la pérennité des épreuves. Malheureusement, nous ne pouvons avoir une personne derrière chaque coureur. Je suis dans le vélo depuis 25 ans, des briefing en début de course sur la sécurité, j’en ai entendu…  Malheureusement, il y aura, je crois, toujours des concurrents qui feront la sourde oreille ou qui ne se sentiront pas concernés.  Sur la question des papiers, idem. Sur les épreuves Mercan’Tour, cela est même dans le règlement : tout participant surpris en train de se débarrasser volontairement de papiers sera mis immédiatement hors-course.  Et vu notre engagement en matière de développement durable et de promotions d’espaces naturels uniques et protégés, nous serons sur cette question inflexibles. Fort heureusement pour l’instant, les concurrents sont plutôt très respectueux à ce niveau là. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nous voulons que notre croissance reste maîtrisée

Quel est ton point de vue sur les assistances « sauvages » qui suivent et ravitaillent leurs coureurs en dépit du règlement ?

C’est un problème, et cela fausse la course. Clairement. Et cela va à l’encontre d’une certaine philosophie du cyclosport où, justement, on s’arrête ensemble, et on s’attend pour se ravitailler. De plus, cela fait prendre des risques inutiles à ceux que qui veulent recoller après avoir dû eux s’arrêter au ravitaillement. Encore une fois, les règlements l’interdisent… Mais on sait que la réalité du terrain est tout autre, et qu’il est difficile de surveiller tout le monde, l’organisateur n’en a pas les moyens.

Pour toi, les championnats de France, du Monde Masters… Sont-ils toujours du cyclosport ?

Toute personne qui pratique le cyclisme, qui met un dossard, qui participe à un évènement, est un acteur qui fait fonctionner l’écosystème du vélo, avec des retombées positives pour tous les acteurs.  Je n’y vois donc aucun mal. Ce sont des formats de courses totalement différents des nôtres, c’est évident. Mais cela reste des épreuves de masse, et elles attireront des participants qui ne viendront pas forcément chez nous. Au final, cela augmente l’offre pour le pratiquant et donne de la diversité au calendrier.

Pour ceux qui sont devant, qui gagnent des prix en nature, faut-il limiter ces récompenses pour éviter que ceux qui veulent « vivre du cyclosport » ne soient tentés de venir ?

Je vois difficilement aujourd’hui comment l’on peut « vivre du cyclosport ». En gagnant 3 paires de roues et en les revendant ? En gagnant des packs de produits énergétiques ou des cuissards ? J’y vois un épiphénomène. Et si des partenaires veulent donner de beaux lots, ce qui est le cas pour les nôtres qui nous gâtent vraiment, je ne vois pas pourquoi limiter cette dotation par laquelle ils se font de la promotion, ce qui est légitime tant leur soutien est important pour les organisateurs.

Le fait que des pros soient sur des cyclos, trouves-tu ça bien ou pas ? Et le fait que ces coureurs jouent la gagne ?

En marathon, se pose-t-on la question de savoir si c’est une bonne chose lorsque les meilleurs kenyans ou éthiopiens du monde sont au départ ? La réponse est non. Les épreuves de masse mélangent professionnels et amateurs. C’est ce qui fait leur charme, leur spécificité et leur caractère unique. L’exemple du marathon est vraiment très parlant, et j’aimerais personnellement que le cyclisme s’en rapproche. Que ce soit une vraie joie de pouvoir partager un bout de route avec un professionnel. Que ce professionnel décide ensuite de « faire la course » ou non, le choix lui appartient. Certains se contentent de « suivre le mouvement ». D’autres sont vraiment acteurs. L’essentiel étant qu’à l’arrivée se soit l’amateur qui soit récompensé. Et je vais vous faire une confidence, un très grand champion qui était sur une de nos cyclos cette année nous a avoué qu’il a été impressionné par le niveau des coureurs, et qu’il avait par moment souffert. Plutôt gratifiant pour eux non ?