Entre les Dolomites frioulanes et les Alpes, les deux journées de transition qui s’annonçaient semblaient pouvoir apaiser les esprits et permettre à chacun d’échafauder plus sereinement les stratégies susceptibles de faire vaciller Vincenzo Nibali (Astana) à dix jours du terme de la course rose. Mais il est définitivement écrit qu’aucune étape du Tour d’Italie, même la plus anodine en apparence, ne restera anecdotique. On croyait les 134 kilomètres séparant Longarone de Trévise sans signifiance, si ce n’est pour les sprinteurs, c’était oublier que la route du Giro est longue, corsée, jonchée de pièges… et surtout pluvieuse ! Après quelques jours d’accalmie, le mauvais de temps est de retour dans le ciel vénitien. L’étape, heureusement l’une des plus courtes de cette édition, sera copieusement arrosée. Avec de lourdes conséquences pour un favori.

Ce favori présenté affaibli depuis plusieurs jours, mais encore dans le coup puisque 4ème ce matin à 2’05 » du leader du classement général, c’est Bradley Wiggins (Team Sky). Le Londonien n’est plus vraiment l’épouvantail qu’on voulait nous exhiber en début de Giro. Craintif sous la pluie, limité dans les ascensions trop rudes, maladroit dans les descentes, le vainqueur du Tour de France a fini par lâcher une info importante hier soir : il est souffrant. Depuis plusieurs jours, voilà qu’il se plaint d’une infection pulmonaire que le froid et la pluie rencontrés en première semaine de course n’ont fait qu’entretenir. La journée humide qui se lève sur le Tour d’Italie va réveiller tous les démons de Bradley Wiggins : la peur de la chute, la crainte de frotter, les difficultés à respirer… et finalement son incapacité à suivre le rythme de la course lorsque le peloton s’acharnera à vouloir reprendre les attaquants matinaux dans les 30 derniers kilomètres.

Mis en sommeil depuis une semaine, les sprinteurs ne veulent absolument pas passer à côté de l’occasion qui leur est donnée de se bagarrer à Trévise. Mais les assaillants voient en cette brève étape orageuse une opportunité de saisir leur chance. Ils devront attendre le 12ème kilomètre de course, les conditions de départ étant si apocalyptiques que le jury des commissaires choisit de prolonger la zone de neutralisation d’une douzaine de kilomètres. Quand la voiture s’écarte enfin, et que s’agite le drapeau synonyme de lâcher des fauves, cinq coureurs démarrent tout de go. Ceux qui voient en l’eau du ciel un jour béni pour s’échapper sont Maurits Lammertink et Marco Marcato (Vacansoleil-DCM), Maxim Belkov (Team Katusha), Bert De Backer (Argos-Shimano) et Fabio Felline (Androni Giocattoli).

Diminué, épuisé, résigné, Bradley Wiggins a pris l’eau. Et il est en train de sombrer.

Sur les routes détrempées de la Vénétie, calfeutrés dans leurs imperméables délavés, les courageux de tête prennent leurs précautions, mais cela ne suffit pas toujours. On assiste ainsi à une scène cocasse lorsque quatre des cinq coureurs échappés glissent les uns derrière les autres. Sans bobos heureusement. Paradoxalement, leur mésaventure leur permet de gagner du temps, jusqu’à trois minutes, le peloton averti levant le pied sur les portions les plus acrobatiques. Il ne faut toutefois pas laisser trop de marge à Belkov, De Backer, Felline, Lammertink et Marcato, car le final se courra vent dans le dos, ce qui compliquera le retour du peloton. C’est pourquoi les équipes de sprinteurs mettent les bouchées doubles à une trentaine de kilomètres de l’arrivée. Une accélération qui provoque soudain la scission du paquet !

Aussitôt, on s’interroge sur l’identité des coureurs piégés. Le plus notoire d’entre eux est Bradley Wiggins ! Diminué, épuisé, résigné, le leader des Sky a pris l’eau. Et il est en train de sombrer. L’alerte est donnée. Ses coéquipiers se laissent décrocher pour tenter de le ramener dans le rang. Mais l’Anglais est à bout. Décroché un temps du gruppetto, il y retrouve sa place grâce à l’élan collectif, mais la capacité n’y est plus, la volonté non plus. Quarante-huit heures après Ryder Hesjedal, c’est Bradley Wiggins qui cette fois est en train de perdre le Giro. A Trévise, le multiple champion olympique s’incline pour de bon, cédant 3’17 » au peloton et rétrogradant à la 13ème place du classement général (à 5’22 »). Pour sortir la tête haute de ce Giro, Sky n’a désormais plus qu’une carte à jouer, celle de Rigoberto Uran.

Les autres favoris seront parvenus à échapper aux dangers multiples d’une route périlleuse, négociant prudemment les derniers kilomètres qui tournent autour de Trévise. Les cinq animateurs du jour sont encore devant lorsque se présente la flamme rouge, mais le peloton les tient en ligne de mire et ils s’effaceront à quelques hectomètres du but, laissant s’expliquer ceux que l’on a pris l’habitude de voir jouer des coudes dans les derniers mètres. Et à propos d’habitude, Mark Cavendish (Omega Pharma-Quick Step) a les siennes. Lui qui se voit en passe de jouer la gagne pour la troisième fois dans cette édition ne se rate pas sur la chaussée trempée. Une fois encore, il ne trouve aucun adversaire à la hauteur de sa pointe de vitesse. Après avoir terminé 3ème et 4ème, Nacer Bouhanni (FDJ) s’en va chercher un nouvel accessit : 2ème.

Demain vendredi, ce sera le jour le plus long sur le Giro : 254 kilomètres entre Busseto et Cherasco.

Classement 12ème étape :

1. Mark Cavendish (GBR, Omega Pharma-Quick Step) les 134 km en 3h01’47 » (44,2 km/h)
2. Nacer Bouhanni (FRA, FDJ) m.t.
3. Luka Mezgec (SLO, Argos-Shimano) m.t.
4. Giacomo Nizzolo (ITA, RadioShack-Leopard) m.t.
5. Brett Lancaster (AUS, Orica-GreenEdge) m.t.
6. Manuel Belletti (ITA, Ag2r La Mondiale) m.t.
7. Roberto Ferrari (ITA, Lampre-Merida) m.t.
8. Sacha Modolo (ITA, Bardiani Valvole-CSF Inox) m.t.
9. Ioannis Tamouridis (GRE, Euskaltel-Euskadi) m.t.
10. Francisco-José Ventoso (ESP, Movistar Team) m.t.

Classement général :

1. Vincenzo Nibali (ITA, Astana) en 46h28’14 »
2. Cadel Evans (AUS, BMC Racing Team) à 41 sec.
3. Rigoberto Uran (COL, Team Sky) à 2’04 »
4. Robert Gesink (PBS, Blanco) à 2’12 »
5. Michele Scarponi (ITA, Lampre-Merida) à 2’13 »
6. Mauro Santambrogio (ITA, Vini Fantini-Selle Italia) à 2’55 »
7. Przemyslaw Niemiec (POL, Lampre-Merida) à 3’35 »
8. Beñat Intxausti (ESP, Movistar Team) à 4’05 »
9. Domenico Pozzovivo (ITA, Ag2r La Mondiale) à 4’17 »
10. Rafal Majka (POL, Team Saxo-Tinkoff) à 4’21 »

Classement par points :

1. Mark Cavendish (GBR, Omega Pharma-Quick Step) 83 pt
2. Cadel Evans (AUS, BMC Racing Team) 73 pt
3. Elia Viviani (ITA, Cannondale) 60 pt
4. Maxim Belkov (RUS, Team Katusha) 55 pt
5. Rigoberto Uran (COL, Team Sky) 53 pt
6. Mauro Santambrogio (ITA, Vini Fantini-Selle Italia) 52 pt
7. Nacer Bouhanni (FRA, FDJ) 51 pt
8. Enrico Battaglin (ITA, Bardiani Valvole-CSF Inox) 45 pt
9. Vincenzo Nibali (ITA, Astana) 45 pt
10. Carlos-Alberto Betancur (COL, Ag2r La Mondiale) 43 pt

Classement de la montagne :

1. Stefano Pirazzi (ITA, Bardiani Valvole-CSF Inox) 46 pt
2. Jackson Rodriguez (VEN, Androni Giocattoli) 26 pt
3. Robinson Chalapud (COL, Colombia) 23 pt
4. Maxim Belkov (RUS, Team Katusha) 18 pt
5. Giovanni Visconti (ITA, Movistar Team) 16 pt
6. Rigoberto Uran (COL, Team Sky) 15 pt
7. Emanuele Sella (ITA, Androni Giocattoli) 13 pt
8. Adam Hansen (AUS, Lotto-Belisol) 12 pt
9. Jarlinson Pantano (COL, Colombia) 12 pt
10. Ramunas Navardauskas (LIT, Garmin-Sharp) 9 pt

Classement des jeunes :

1. Rafal Majka (POL, Team Saxo-Tinkoff) en 46h32’35 »
2. Carlos-Alberto Betancur (COL, Ag2r La Mondiale) à 1’05 »
3. Wilco Kelderman (PBS, Blanco) à 4’34 »
4. Darwin Atapuma (COL, Colombia) à 8’31 »
5. Diego Rosa (ITA, Androni Giocattoli) à 24’09 »
6. Jarlinson Pantano (COL, Colombia) à 39’45 »
7. Enrico Battaglin (ITA, Bardiani Valvole-CSF Inox) à 42’30 »
8. Jens Keukeleire (BEL, Orica-GreenEdge) à 43’11 »
9. Fabio Felline (ITA, Androni Giocattoli) à 49’51 »
10. Fabio Aru (ITA, Astana) à 56’04 »

Classement par équipes :

1. Team Sky (GBR) en 138h49’53 »
2. Blanco (PBS) à 2’12 »
3. Lampre-Merdia (ITA) à 9’44 »
4. Movistar Team (ESP) à 10’35 »
5. Astana (KAZ) à 11’43 »
6. Team Katusha (RUS) à 21’22 »
7. Ag2r La Mondiale (FRA) à 22’40 »
8. Androni Giocattoli (ITA) à 30’34 »
9. BMC Racing Team (USA) à 31’51 »
10. Vini Fantini-Selle Italia (ITA) à 40’10 »