Jean-François, quel est la première image du Tour de France que vous avez en tête ?
C’est celle de coureur. Quand on arrive sur le Tour de France, on passe dans un autre monde par rapport à toutes les autres épreuves. Le Tour de France, la médiatisation et tout ce que cela comporte. On change d’univers, et c’est vraiment ce qui m’a marqué le plus. Mon premier Tour était en 1978, l’année de la première victoire de Bernard Hinault. C’est l’année où je faisais les sprints et j’ai fait une fois 3ème et six autres Tops 10 dans la première semaine du Tour. Après j’ai eu un accident, je me suis cassé la clavicule dans l’étape de Saint-Etienne, donc j’ai abandonné mon premier Tour. Les plus beaux souvenirs pour un coureur sont d’arriver sur les Champs-Elysées. Cette approche de Paris, même maintenant j’ai constaté que les coureurs prennent en photo la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe parce que c’est grandiose et que ce sont des beaux souvenirs. C’est ce que comporte la magie du Tour de France.

Lorsque vous étiez enfant, quel a été votre premier souvenir du Tour ?
Mon père faisait du vélo, à son niveau, et tous les ans nous allions voir le Tour de France passer. J’ai par exemple vu gagner Jean Stablinski à Orléans. J’allais aussi sur d’autres courses, voir le départ de Paris-Nice avec Anquetil et d’autres. Puis j’ai côtoyé ces gens-là. Mon idole était Jacques Anquetil, et nous nous sommes liés d’amitié grâce au métier que j’ai fait. Il est malheureusement disparu un peu trop tôt.

Diriez-vous, comme certains, que tant qu’on n’a pas franchi la ligne d’arrivée des Champs-Elysées en tant que coureur on n’est pas tout à fait coureur ?
Oui c’est vrai, tant qu’un coureur n’a pas participé au Tour et n’a pas vu la ligne d’arrivée à Paris, il n’a pas vu ce qu’était le Tour de France.

Vous avez eu la chance de le courir, puis de l’organiser. Regrettez-vous de ne pas avoir été responsable ou manager d’équipe ?
Non pas du tout. Quand on m’a proposé cette reconversion j’étais encore coureur, je venais de signer un nouveau contrat de trois ans, que j’ai déchiré avec les dirigeants de l’époque pour me consacrer à mon entrée au Tour de France. Bien sûr je ne l’ai jamais regretté et je ne le regrette surtout pas aujourd’hui. Je suis resté à l’intérieur du peloton puisque ma fonction a fait que je suis resté en son sein, si bien que je me retrouvais avec des coureurs avec qui j’avais couru. Un jour, Jean-Marie Leblanc m’a demandé d’enlever mon cuissard, car j’étais encore trop coureur alors que j’étais dans la direction du Tour de France.

Comment ce fait d’avoir encore « gardé le cuissard » se manifestait-il ? Au niveau des parcours ?
Non parce que l’on faisait les tracés comme on les fait maintenant. On ne fait pas un parcours du Tour pour un tel ou un tel. On a toujours deux ou trois ans d’avance sur un parcours et on ne sait pas comment cela va se passer en course. Le tracé n’est pas forcément fait pour un coureur ou une équipe. C’était dans le fait que je voulais être logé dans le même hôtel que les équipes, pour être avec mes copains qui étaient passés directeurs sportifs. Puis quand je suis passé à la direction, je suis passé à l’hôtel direction de course et j’ai laissé un petit peu le côté coureur.

En juillet 2013, lors du départ en Corse, il y a eu l’affaire du bus coincé sous l’arche. Des anecdotes comme celle-là, vous en avez certainement beaucoup ?
Oui, celle-ci c’est ma dernière, c’était pour mon dernier Tour de France. J’ai remercié Jean-Louis Pagès de m’avoir fait ce cadeau avant de quitter le Tour. Il y a eu la grave chute dans une descente, en Belgique à Spa, due à la pluie tombée après presque deux mois sans une goutte. C’était comme du verglas et il y a eu plus de la moitié du peloton qui a chuté. Nous étions très loin du premier gros groupe et quand nous sommes revenus en tête de course les coureurs ne savaient plus trop quoi faire. Il manquait beaucoup de leaders et ils ont pris la décision de laisser faire Chavanel qui était seul devant. Il y a aussi eu un portique qui tombe sur la route en pleine course, des changements de parcours, des changements de parcours de dernière minute à cause de manifestations, être arrêtés par des manifestations. A Denain lors d’un contre-la-montre par équipes cela avait été beaucoup plus compliqué car nous avions dû annuler l’étape. Nous sommes toujours à la merci de quelque chose jusqu’au dernier moment. Tant que nous n’avons pas franchi la ligne d’arrivée sur les Champs-Elysées, il peut nous arriver n’importe quoi. Le gars qui n’est pas content parce qu’il paie trop d’impôts dans sa commune, il peut arrêter le Tour de France. Il suffit qu’il mette un arbre au milieu de la route et nous sommes bloqués. Nous sommes vraiment plus vulnérables que n’importe quel autre sport.

La plus grande phobie, n’est-ce pas les trains, car finalement on ne peut pas les arrêter ?
Les trains oui, car même si nous avons des contacts avec la SNCF, nous ne sommes pas sûrs à trois minutes près à quelle heure nous allons passer. Les trains peuvent eux aussi ne pas être à l’heure donc tout ça fait que certaines fois nous nous retrouvons devant le fait accompli et il faut arrêter la course.

Le vélo est un sport d’extérieur. Auriez-vous aimé travailler dans un sport d’intérieur où tout est plus facilement maîtrisable ?
Je ne sais pas, j’ai fait toute ma carrière dans le vélo. Je suis déjà aller voir des matchs et je pense que cela doit être un petit peu plus facile à organiser quand on est à l’intérieur. Nous, notre problème, c’est que nous sommes mouvants. Nous changeons les départs et les arrivées tous les jours, il faut se transporter, sécuriser les routes, c’est tout un chantier. Alors que quand on rentre dans un stade, il y a toute l’infrastructure du stade et une fois que l’on est dedans, on ferme la porte et on est chez nous. C’est la différence qu’il y a mais ils ont sûrement d’autres problèmes.

En regardant les derniers Tour de France, y a-t-il quelque chose que vous enviez à vos successeurs ?
Je crois qu’ils sont un peu sur ma lignée. J’ai arrêté en 2013, mais pendant deux ans je les ai formé pour leur donner les clefs de la boutique. Je crois qu’ils sont dans le même schéma que moi, ils vont faire des reconnaissances de terrain, essayer de trouver des nouveautés mais sans aller dans l’exagération non plus et toujours en pensant surtout à la sécurité des coureurs. C’est le point numéro un aujourd’hui. C’est très difficile d’arriver au centre d’une ville, il y a énormément d’obstacles sur la route, tout cela fait partie du choix que l’on doit faire lorsqu’on est organisateurs,. De privilégier un itinéraire par rapport à un autre et ne pas tomber dans l’exagération. Sur les étapes de cette année, je n’ai pas constaté de choses que je ne voyais pas auparavant.

Par rapport à la sécurité, militeriez-vous vous aussi pour une réduction des effectifs à 8 voire 7 coureurs ?
Oui, et ça fait longtemps que je le demande. Un peloton de 160 coureurs est plus facile à faire circuler qu’un peloton de 200 coureurs. J’appartiens à différentes commissions à l’UCI, et c’est le point numéro un. Cette réduction d’effectifs c’est d’abord pour la sécurité, et même pour le Tour de France. Le Tour a l’usage privatif de la route, c’est-à-dire que nous sommes sûrs qu’il n’y a pas de dangers. Mais faire Paris-Nice ou le Critérium du Dauphiné avec 200 coureurs, avec la circulation qui existe et les nombreux obstacles sur la route, je me dis que ce n’est pas possible. Il y a 40 ans, il y avait des pelotons de 120 à 140 coureurs et nous étions sur des nationales. Maintenant, nous avons des pelotons de 200 coureurs et nous sommes sur des routes départementales avec des obstacles dans tous les villages. Donc si nous ne voulons pas enlever de formations, il faut enlever un coureur par équipe. Le but est d’en enlever un pour les Grands Tours, pour passer à 8, mais aussi sur les autres courses pour passer à 7.

Si vous aviez un grand souvenir du Tour en tant que cycliste et un grand souvenir du Tour en tant qu’organisateur ?
Il y en a tellement, c’est difficile de faire un choix. Quand je me suis retrouvé dans la voiture rouge, devant le peloton, à la place de Jean-Marie Leblanc qui m’avait demandé de prendre cette place, je crois que c’était pour moi un grand moment. Et en tant que coureur c’est d’arriver sur les Champs.