A l’aide d’une équipe nettement moins forte que celle de son compatriote Primoz Roglic, le plus jeune des 2 a finalement bénéficié de tout le travail de l’équipe Jumbo Visma pendant près de 3 semaines tout en venant cueillir « le fruit mûr » la veille de l’arrivée.

A partir de ce constat factuel, la question qui vient à l’esprit est de savoir si c’est le vainqueur qui a gagné ou si c’est le dauphin qui a perdu ?

Primoz Roglic01Primoz Roglic | © Jumbo Visma

Roglic a perdu le Tour de France

9 jours avant le dénouement du Tour, nous avions déjà pensé que Roglic n’avait pas exploité sa condition physique à la hauteur de ce qu’elle était.

Lire ici : https://www.velo101.com/pros/article/primoz-roglic-atil-laisse-passer-lroccasion-du-ko–22050

Mais ceci était avant les Alpes. Ce massif n’a semblé que confirmer cette hypothèse.

En effet, si Pogacar a semblé à peine supérieur à Roglic au sommet du Grand Colombier – mais peut-on parler de supériorité lorsque la différence se joue sur un dernier coup de rein après un tel parcours ? – c’est bien dans les Alpes que l’aîné a repris du temps au benjamin. Dans le col de la Loze, Pogacar a semblé buter sur les forts pourcentages, preuve s’il en est qu’il était battable.

Et si Roglic avait attaqué plus tôt ce jour-là, quel aurait été le débours ? En analysant la section de route où cela s’est joué, il apparait que Pogacar est quasiment revenu sur les talons de Roglic mais qu’il a perdu l’essentiel des 15 sec sur le dernier kilomètre. Le problème est bien que Roglic ne savait pas qu’il était plus fort que Pogacar. Evidemment, si on ne teste pas… on ne sait pas.

Sur l’étape qui arrivait à la Roche sur Foron, la hiérarchie était la même, hélas avec un profil bien peu favorable dans les derniers kilomètres, empêchant d’exploiter complètement les 4600 m de dénivelé de l’étape soit le plus gros total journalier sur le Tour. Fidèles à leurs habitudes, les Jumbo Visma ont joué à la tactique du rouleau compresseur. Empêchant les attaques sérieuses, rejetant les fatigués de la dernière semaine, pour ne laisser qu’un maigre peloton de tête dans la très difficile montée au Plateau des Glières. Presque du pain béni pour Pogacar le futur maillot jaune, qui n’allait pourtant pas attaquer ici au risque de voir revenir les équipiers de Roglic, mâchant le travail pour le leader. Encore une fois, une question de parcours trop peu adapté pour faire la différence. Pour autant, Roglic a démontré qu’il était vraiment le plus costaud lorsqu’il a pris quelques longueurs sur la fin du chemin empierré. Mais à l’inverse de son jeune adversaire, il aurait pu placer un coureur à l’avant dans l’échappée lui permettant de le relayer dans les 20 derniers kilomètres, comme a pu le faire Pello Bilbao pour Mikel Landa.

Encore une fois, il est dommage que Roglic n’ait pas exploité ces différentes phases de course. En cela, il a reproduit exactement le même schéma que lors du Giro 2019 où il s’est montré le plus fort de l’épreuve sur la majeure partie des 3 semaines pour finir « seulement » 3ème à Milan.

Car, même s’il perd le maillot jaune à la Planche des Belles Filles, son Contre La Montre n’est pas catastrophique.

Tadej Pogacar s'élance pour le CLMTadej Pogacar s’élance pour le CLM | © Team UAE

Pogacar a gagné le Tour de France

Il l’avait dit, il l’a fait : Pogacar a attaqué partout où cela était possible dans le cas où ses jambes seraient présentes. Souvent gêné par la force collective des Jumbo Visma, ce qui empêche toute attaque de loin sous peine de faire travailler les équipiers plutôt que les leaders en personne, Pogacar a semblé le plus fort en montagne… jusqu’à sa petite perte de temps au sommet du col de la Loze et quelques instants délicats au niveau du Plateau des Glières.

Mais lui n’a pas pu bénéficier d’un train car son équipe ne s’est pas montrée à sa hauteur en montagne, en partie suite à l’abandon prématurée de Fabio Aru, hors de forme et de Davide Formolo, clavicule cassée à mi-Tour. Sur les dernières étapes de montagne, Jan Polanc a toutefois pu accompagner son leader plus loin dans la course. Dès lors, pour Pogacar le timing a été parfait. Il aurait certainement été impossible pour lui de contrôler la course s’il avait pris le maillot jaune dès les Pyrénées. La seule solution aurait alors été de le laisser à un membre d’une échappée au long cours… en espérant qu’Ineos et/ou Jumbo Visma limitent les dégâts.

C’est plutôt grâce à un Contre La Montre supersonique jusqu’au sommet de la Planche des Belles Filles que Pogacar a réussi l’impensable. Sur la base des précédentes étapes, qui aurait pu croire qu’il allait mettre le 2ème de l’étape à bien plus d’une minute, soit plus que le retard qu’il avait sur Roglic, et laissant ce dernier à pratiquement 2 min. Sur la montée proprement dite, Pogacar a repris 13,5 sec à Roglic, à chaque kilomètre ! Certes, le maillot jaune ne réalise que le 11ème temps d’ascension du jour mais nous parlons bien de 13,5 sec par kilomètre, un écart énorme à ce niveau. Sur la partie précédente nettement moins exigeante de par le relief, Roglic avait déjà déboursé 36 sec.

Wout Van Aert, qui fait le 4ème temps du jour donc a effectué le chrono « à bloc », perd seulement 42 sec sur la montée mais surtout 49 sec sur la partie plate ! Pogacar est-il devenu un meilleur rouleur que Van Aert ?

Quant à Tom Dumoulin, il a parfaitement expliqué que sa performance à 1min21 du vainqueur du jour se situait sur les bases de ses très bonnes performances (en termes de watts), celles qui lui ont permis d’être l’un des tous meilleurs rouleurs du peloton. Mais il a avoué qu’il lui serait impossible d’aller aussi vite que Pogacar ce jour-là.

Pour expliquer la performance de son poulain, le staff du Team UAE a raconté qu’elle avait été le fruit d’une reconnaissance minutieuse du parcours et de 2 vélos parfaitement adaptés à l’effort du jour : un pur vélo de chrono pour aller vite sur le plat puis un vélo « de montagne » avec une cassette de Junior (!) en 14/29 permettant un étagement dent par dent jusqu’au 25. Pour autant, ce n’est pas l’utilisation d’un capteur de puissance qui lui a permis de gérer au millimètre son effort sur la base d’une puissance discutée avec son entraineur, puisque de capteur de puissance il n’en avait tout simplement pas sur ce 2ème vélo. Pas plus que d’un compteur de vitesse. Raison invoquée : la recherche du poids le plus bas. Soit 6,8 kg sur la balance quand habituellement il est nécessaire de lester les vélos équipés de roues de montagne en carbone.

Tout ceci semble autant de raisons d’apporter du romantisme et de belles histoires afin de minimiser la performance hors normes du jeune coureur slovène. Comme si les autres équipes n’avaient pas préparé leur affaire et s’étaient fourvoyé dans l’amateurisme. Si le changement de vélo raté de Primoz Roglic tend à confirmer qu’il y a eu panique dans la maison Jumbo Visma à cet instant précis en voyant que le maillot jaune leur filait entre les doigts, un quelconque manque de professionnalisme ne peut pas leur être attribué dans la préparation de l’événement.

Par Olivier Dulaurent