Hier soir encore, il ne cessait de le répéter, il avait encore rêvé d’elle. C’est bête, elle n’a rien fait pour ça.  Au départ à Liège si eux n’ont d’yeux que pour lui, lui n’a d’yeux que pour elle. Ce matin, tous l’ont compris, l’homme à battre c’est Philippe Gilbert (Omega Pharma-Lotto). Vainqueur de l’Amstel Gold Race dimanche, de la flèche Wallonne mercredi, le belge est aux portes de l’histoire. Le natif de Remouchamps se sait attendu sur les 255,5 kilomètres de courses menant les coureurs de Liège à Ans par-delà dix ascensions, le célèbre col du Rosier (4,4km à 5,9%), la côte de la Redoute (2 km à 8.8 %), la côte de la Roche aux Faucons (1.5 km à 9.5 %) ou bien encore la côte de Saint-Nicolas (1.2 km de montée à 8.3 %).

Tous parmi lesquels Andy et Frank Schleck (Leopard-Trek), Joaquim Rodriguez (Katusha) ou bien encore le vainqueur sortant Alexandre Vinokourov (Astana) n’ont qu’une idée en tête : battre Philippe Gilbert. Alors, pour ce faire, certains se disent qu’il vaut peut-être mieux anticiper la bataille à venir. Ces hommes là savent les dégâts que peuvent occasionner plusieurs hommes parés à se battre pour réaliser leur rêve : s’offrir la Doyenne. Comme souvent depuis sa première édition en1892, elle va avoir son lot de prétendants matinaux. Cette année, ils sont dix à se présenter à la tant convoitée. Voilà 40 kilomètres passés une fois le départ donné et on retrouve en tête Sébastien Delfosse (Landbouwkrediet), Frederik Kessiakoff (Astana), Vorganov (Katusha), Jesus Herrada Lopez (Movistar), Mathias Frank (BMC), David Le Lay (AG2R La Mondiale), Thomas De Gendt (Vacansoleil), Tony Gallopin (Cofidis), Mickael Delage (FDJ) mais aussi Yannick Talabardon (Saur-Sojasun).

Leur avance n’excède jamais les quatre minutes. Non que ces hommes ne soient pas au goût de la Doyenne mais c’est qu’il y en a d’autres qui attendent au balcon. Aussi, l’équipe Omega Pharma-Lotto protège les intérêts de son leader Philippe Gilbert alors que se profile l’enchainement côte de Wanne, côte de Stockeu et côte de la Haute-Levée. L’équipe Belge commence à avoir un peu d’expérience lorsqu’il s’agit de mener à bien une conquête, alors, elle sait l’enchainement redouté et s’y est préparée. Problème, un groupe de huit hommes s’intercale entre le peloton et le groupe de tête. On y retrouve Enrico Gasparotto (Astana), Damiano Caruso (Liquigas), Greg Van Avermaet (BMC), Laurens Ten Dam (Rabobank) et Juan Manuel Garate (Rabobank), les Français Blel Kadri (AG2R La Mondiale) et Jérôme Pineau ainsi que l’Italien Dario Cataldo (Quick Step). Devant, Mickael Delage et Yannick Talabardon doivent se résoudre à abandonner leur rêve le plus fou face à la difficulté proposée.

Et Philippe Gilbert poussa la porte de la légende.

Les hommes de tête savent ce qui les attend encore alors ils unissent leurs efforts afin de prendre de l’avance. A moins de 10 kilomètres de la côte de la Redoute, ils se voient attribuer ce qui restera comme leur avantage maximum, 1’30’’ d’avance sur un peloton emmené conjointement par les Léopard-Trek des frères Schleck et ce qu’il reste des équipiers de Philippe Gilbert déjà fatigués par un travail qu’ils ont commencé de bonne heure. La Redoute, haut lieu de Liège-Bastogne-Liège est le lieux où se donnent rendez-vous chaque année les plus fervents supporters de Philippe Gilbert. C’est ici alors que la route s’élève à une moyenne de 8.8% pendant deux kilomètres que les frères Schleck ont décidé de fournir leur effort. Le vainqueur sortant Vinokourov (Astana) est contraint de changer de vélo sur incident mécanique pendant que les luxembourgeois s’envolent, accompagnés vous vous en doutez de Philippe Gilbert.

Quelques rescapés de l’échappée initiale tentent de s’accrocher, Van Avermaet (BMC) apparaît le plus prompt à suivre le trio royal mais la côte de Saint Nicolas se profile à l’horizon et cette année plus que jamais, il semblerait que la Doyenne ait décidé d’en faire son juge de paix. Ce sont bien les quatre hommes de tête qui vont se jouer la victoire, ils ne sont bientôt plus que trois, Van Avermaet décroche sous les coups de boutoir successifs, d’abord d’Andy Schleck puis de son frère Frank et enfin, de Philippe Gilbert. Mais ces trois là forment un bien trop beau trio et il serait dommage de les séparer aussitôt, pourquoi ne pas attendre le dernier moment pour décider de qui sera l’élu. Sous la flamme rouge, les Schleck se savent perdant face à un finisseur de la trempe de Gilbert. Pourtant, ils s’essayent à un jeu d’observation. Une observation qui tourne vite court.

A 200 mètres de la ligne Philippe Gilbert intercalé entre ses deux rivaux attend son heure. Là, d’un hochement de tête il semble en rêver si fort que tous ses adversaires s’en souviennent encore. Lui qui petit regardait les grands passer au pas de sa porte s’apprêtait à pousser une autre porte, celle de la légende. Tout en douceur, juste pour son cœur,  il s’en est allé, déposant tranquillement les frères Schleck que ses rêves avaient surpassés. En une semaine il vient de réunifier la Belgique autour d’un sport, de son sport. Celui qui le couronne après son triptyque historique. En ce dimanche de Pâques, à défaut de ramasser les œufs, Gilbert s’est exercé à un autre rêve de gosse, celui de conquérir la Doyenne.

Classement :

1. Philippe Gilbert (BEL, Omega Pharma-Lotto) en 6h13’18 »

2. Frank Schleck (LUX, Leopard-Trek) m.t.

3. Andy Schleck (LUX, Leopard-Trek) m.t.

4. Roman Kreuziger (RTC, Astana) à 24 sec.

5. Rigoberto Uran (COL, Sky Pro Cycling Team) m.t.

6. Chris Sorensen (DAN, Saxo Bank SunGard) m.t.

7. Greg Van Avermaet (BEL, BMC) à 27 sec.

8. Vicenzo Nibali (ITA, Liquigas) à 29 sec.

9. Bjorn Leukemans (BEL, Vacansoleil-DCM) à 39 sec.

10. Samuel Sanchez (ESP, Euskaltel-Euskadi) m.t.