La grande aiguille de nos montres est braquée sur 17h, la petite, elle, oscille, difficile de connaître l’exacte minute. Samedi 23 juillet, sur les coups de 17h, le Tour de France connaît son nouveau vainqueur. « A bloc, à bloc, à bloc ». A entendre Stefano Zanatta au détour d’une contre-allée du parc Paul Mistral, Ivan Basso (Liquigas-Cannondale) n’est pas là pour rigoler. En ce mercredi 8 juin, comprenez-le bien, il s’apprête à découvrir les portions goudronnées qui pourraient bien le couronner à la fin du mois de juillet. Peu accessible, l’Italien. Peu accessible également que ce contre-la-montre dont on nous a tant parlé. Peu accessible en pratique car sur le papier, un enfant de CM2 pourrait vous l’expliquer tant l’équation est aisée : ça monte, ça monte encore un peu plus fort et puis la route a-t-elle à peine le temps de descendre à pic qu’elle s’élève de nouveau, déjà. Montagnes russes que ces portions de bitume pour la plupart perchées sur les hauteurs de Grenoble.

L’Isère coule ici comme couleront le 23 juillet prochain les sanglots longs de bon nombre de forçats, forçats de la route ceux-là, ayant tout perdu au milieu des somptueuses forêts nichées sur les contreforts du massif de Belledonne. Certains auront des yeux de poissons morts, avalés par trois semaines extrêmement compliquées et un parcours accidenté ayant fini par les achever. La tête prendra le dessus sur des corps malmenés posés au-dessus de machines guidées par la simple ligne qui délimite la portion goudronnée, gare aux abîmes du classement général qui attendent le forçat déconcentré.

A peine 3 kilomètres parcourus que déjà, la route s’élève dans des proportions considérables. Si au départ un choix sera à faire entre un grand plateau de 54 ou de 55 dents, après 3 kilomètres de course, le 44 dents sera nécessaire. A Tavernolles, la pente est plus douce mais avant de sortir du village, la route semble s’envoler de nouveau. Avis aux petits et grands envieux de spectacle, c’est peut-être bien là qu’il faudra être pour assister aux premières passes d’arme. Le lieu-dit Le Replat porte mieux que quiconque son nom dans ce jeu idiot qui consiste à imager tout ce que l’on voit. A Brié-et-Angonnes en ce mercredi après-midi sur le Dauphiné, les enfants sont de sortie, après-midi sans école oblige, c’est le moment choisi par Thibaut Pinot (FDJ) pour avaler Jurgen Roelandts (Omega Pharma-Lotto). Une vraie râpe à fromage oseront certains, nous ne nous aventurerons pas sur ce terrain-là tant l’exigence des kilomètres suivants se suffit à elle-même.

S’ensuit une descente. Elle aussi est casse-patte, de belles épingles à cheveux. Différentes de celles qui tiennent les mèches de ces spectatrices postées dans Vizille. Vaut mieux les avoir bien attachés tant le souffle des coureurs lancés à plus de 80 km/h en décoifferait plus d’une. Un tunnel et puis un temps intermédiaire. Certains sont déjà loin et dire qu’ils n’ont encore rien vu. A un long faux-plat montant succède une nouvelle portion de route inclinée. Le panneau indiquant 20 kilomètres avant l’arrivée pourrait rassurer mais au contraire, il inquiète. Les minutes paraissent doubles, de l’avis général, ce chrono est unique, loin des longues portions planes habituellement proposées.

Il n’y a pas là les caractéristiques d’une montée sèche comme celle de l’Alpe d’Huez en 2004. C’est peut-être pire encore. Les 5 kilomètres en montée au pied de l’ascension vers Chamrousse ont tout d’un vrai col. Quelques kilomètres de plus et certains organismes auraient cédé. A Belmont, un faux-plat s’offre aux courageux, on aimerait s’y reposer mais le rendement ne le permet pas, comme si la moindre ligne droite avait été choisie pour fatiguer les forçats. Au lieu-dit le Bouloud, la route était hier détrempée. Cette partie du circuit est alors rendue dangereuse par un ciel encombré qui se délestait de toute son eau. A la place des participants à l’aventure juilletiste, nous prierions d’ores et déjà le bon Dieu pour qu’au moins le 23 juillet dans l’après-midi un soleil couleur mandarine baigne dans un bleu azur.

En attendant, à Saint-Martin d’Uriage, la route prend enfin une toute autre tournure. Là, il faut désormais plonger dans la cuvette grenobloise. Un virage à gauche et certains s’en iront à corps perdu pour essayer de sauver ce qui peut l’être d’ambitions peut-être déjà abandonnées dans une des précédentes montées. D’autres comme ce fut le cas aujourd’hui joueront avec la prudence, ce sera une affaire de spécialistes. Les nombreux ralentisseurs donneront un peu plus encore aux soldats de la petite reine des allures d’équilibristes.

Une centaine d’artistes déboulera alors un par un dans Grenoble via Saint-Martin d’Hères. De longues lignes droites, un régal pour les spécialistes. Mais des hommes comme Fabian Cancellara (Team Leopard-Trek) risquent bien d’avoir au préalable perdu toute chance de victoire face à l’exigence d’un tracé que tous s’accordent à qualifier de superbe. Un dessin parfait, un dernier virage à droite et le supplice prend fin. Aujourd’hui, pour les moins vaillants ce fut un mauvais moment. Mais après les trois semaines de la grande messe de juillet, ce sera un véritable chemin de croix. Tous le répètent sans cesse à l’arrivée de la troisième étape du Critérium du Dauphiné : en juillet, il faudra garder une certaine fraîcheur pour affronter ces 42,5 kilomètres chronométrés.

Ceux qui n’ont pas eu l’occasion d’affronter le tracé sur route fermée à l’occasion du Dauphiné pourraient rire jaune en y mettant leurs roues le 23 juillet venu. Reste que ce tracé semble dessiné pour un homme aux portes du pénitencier et il y a fort à parier que si le nom d’Alberto Contador (Saxo Bank-SunGard) apparaît sur la liste des engagés en Vendée, il pourrait réapparaître au moins sur le palmarès du contre-la-montre à Grenoble. A moins que Tony Martin (HTC-Highroad) et Bradley Wiggins (Team Sky) n’en décident autrement. Il paraît que l’Allemand et l’Anglais ont quelques idées pour juillet. Eux pourraient rire en jaune au grand désarroi de ceux qui riront jaune.