Thomas, vous avez à nouveau réalisé un grand numéro sur le Tour, aviez-vous prémédité un tel scénario ?
Aujourd’hui, j’ai pris la course ascension par ascension. J’avais quatre courses à faire. Ça s’est bien goupillé dès le départ. Il y avait trente-huit coureurs dans l’échappée et j’avais Yukiya Arashiro avec moi, comme vers Bellegarde-sur-Valserine. Ces routes, je les connaissais par cœur. Je ne fais pas de reconnaissances mais je roule dans ces montagnes depuis longtemps et j’en connaissais chaque mètre.

Yukiya Arashiro a de nouveau accompli un très gros travail pour vous. Parlez-nous de lui.
Yukiya est un coureur très discret mais très important. Il n’a pas fait le Tour l’an dernier et il a repris sa place dans la sélection, et pas pour le folklore d’avoir un coureur japonais. D’ailleurs il a prouvé sur ce Tour qu’il avait sa place dans l’effectif. Yuki et moi, on ne parle pas beaucoup ensemble. Quand j’ai vu un large groupe partir, j’ai dit « Yuki » et on a bouché le trou ensemble. Ensuite, quand ça a attaqué dans le Tourmalet, j’ai juste eu à le regarder pour qu’il roule. C’est un coureur très important, comme les autres dans l’équipe.

Le genou douloureux, c’est de l’histoire ancienne. Comment vous sentiez-vous aujourd’hui ?
J’avais l’impression d’avoir les jambes de Liège-Bastogne-Liège. Quand on a franchi l’Aubisque, je sentais que je n’avais pas encore souffert. Pour que les trente-huit passent ensemble au sommet, c’est aussi que ça n’a pas roulé vite. Et le peloton a laissé faire derrière. Mais on a fait en sorte de creuser davantage. Dans le Tourmalet, je suis allé voir Brice Feillu car il me fallait un collègue qui puisse me relayer. On a bien collaboré, j’avais quand même peur de lui. Il a prouvé à Arcalis il y a trois ans qu’il était capable de faire un gros numéro. Mais quand les autres se sont rapprochés je n’ai plus calculé.

Le maillot à pois que vous aviez porté après votre première victoire dans les Alpes, c’était une obsession ?
Pas une obsession, non, mais je mentirais si je disais que je ne n’y pensais pas. Maintenant, nous étions une quinzaine à être dans la même situation que moi au classement de la montagne. Je n’étais pas plus avantagé qu’un autre. Mais il est clair qu’à partir du moment où l’échappée s’est dessinée, c’est devenu l’objectif. Quand je me suis retrouvé seul avec Brice Feillu, je lui ai dit que je visais le maillot et que je n’allais pas compter mes efforts. Il fallait que je passe en tête dans Peyresourde et j’ai fait comme si l’arrivée était au sommet. Si j’ai démarré, c’est surtout que je ne voulais pas que Vinokourov et Sörensen reviennent, ça aurait été trop dur de gagner face à eux.

Vous ne disposez que de 4 points d’avance au classement de la montagne avant la dernière étape pyrénéenne demain…
Mieux vaut avoir 4 points d’avance que de retard, mais c’est clair qu’il va falloir remettre cela demain car le maillot à pois ne m’est pas encore acquis. Il faut que je récupère bien ce soir avec un bon grand massage. L’étape a été dure pour tout le monde, j’espère ne pas être moins bien que les autres. Pour moi le Tour de France s’arrête demain. Aujourd’hui j’ai passé quatre cols en tête dans les Pyrénées sur une étape de 200 kilomètres. Je voyais ça à la télé quand j’étais gamin, là c’était moi. Il faut que je l’avoue, j’ai du mal à réaliser !

On vous sent ému par la performance réalisée, est-ce la plus belle de vos victoires ?
C’est toujours difficile de faire un classement des victoires. Je suis très fier de ce que j’ai fait aujourd’hui, oui, car c’est comme ça que j’aime faire du vélo. Je me suis rendu compte en course que j’étais en train de faire quelque chose de grand, quand je franchissais chacun des cols en tête. J’ai eu le temps d’apprécier, c’est rare et tellement différent des autres fois. Ce n’est peut-être pas la plus belle victoire, faute de grosse opposition dans l’échappée, mais je suis très fier. C’est sûr que je n’aurais pas pu faire cette échappée si je n’avais pas perdu tant de temps au départ du Tour mais je préfère courir comme ça que rester dans le peloton pour terminer 15ème. Le vélo, plus que jamais, c’est comme ça que je l’aime.

Propos recueillis à Bagnères-de-Luchon le 18 juillet 2012.