Thibaut, réalisez-vous que vous serez ce soir sur le podium du Tour de France ?
Ça reste un peu flou. Ça me fait plaisir de me retrouver sur le podium, je réaliserai sans doute quand j’y serai, mais tant que la course n’est pas finie j’ai du mal à m’y voir. Nous serons deux Français à grimper sur le podium avec Jean-Christophe Péraud, et ça me soulage qu’il soit là lui aussi. Ça va nous permettre de nous répartir cette pression médiatique. C’est mieux comme ça car l’après-Tour, les répercussions que ce podium va engendrer, me fait un peu peur. J’espère pouvoir garder ma petite vie tranquille. Cette année j’ai confirmé mon potentiel. Je me savais capable de faire un grand Tour de France, à la hauteur de mes ambitions. De là à imaginer un podium…

Quand on repasse votre Tour de France en arrière, vous avez reçu beaucoup de critiques en première semaine. Comment êtes-vous passé outre ?
Je n’ai pas été épargné, c’est vrai, en première semaine… Ma façon de courir agace beaucoup de monde. Mais par rapport à ce que j’ai vécu l’an dernier, ces critiques ne m’ont pas affecté du tout. J’ai plutôt pris ça à la rigolade. Je savais que la montagne allait arriver et que j’allais enfin pouvoir m’y exprimer. Avec l’expérience de 2013, je savais que ce n’était pas la fin du monde de rater le Tour. J’ai fait une saison correcte, même si j’ai eu davantage de mal à faire mieux que des Tops 10. En arrivant sur le Tour, je craignais seulement de tomber malade. Je voulais montrer mon vrai niveau.

Quel a été le jour où vous vous êtes senti le mieux ?
J’ai eu de bonnes journées, je pense à l’étape qui allait à Bagnères-de-Luchon via le Port de Balès. C’était certainement le col dans lequel je me suis senti le mieux. J’y avais d’excellentes sensations, malheureusement l’arrivée n’était pas jugée au sommet. C’est la course. D’un autre côté j’ai aussi passé de mauvaises journées. Ça a été le cas à Risoul ou dans l’étape d’Hautacam. Je n’étais vraiment pas bien du tout dans le Tourmalet.

Avant d’obtenir votre place sur le podium, il vous fallait encore repousser Alejandro Valverde dans le contre-la-montre. Etiez-vous si serein ?
C’est étrange à dire mais j’ai passé ma meilleure nuit sur le Tour entre vendredi et samedi. J’étais soulagé d’en finir avec les étapes nerveuses. Je savais que le chrono est une épreuve qui me convient bien, que les sensations et la forme du moment allaient parler. J’étais donc assez serein, ce qui a surpris beaucoup de monde dans le bus. En course cependant les choses ont changé. J’ai reçu tellement d’encouragements du bord de la route que je n’entendais pas bien ce qu’on me disait dans l’oreillette. Jusqu’à deux bornes de l’arrivée, je croyais ne posséder que 15 secondes d’avance sur Alejandro Valverde. Je n’ai donc jamais été trop serein.

Quel programme vous attend encore cette saison ?
Je n’ai qu’une envie à l’heure actuelle, c’est de profiter de ma 3ème place avant d’aller me ressourcer une semaine pour commencer la préparation de la Vuelta. J’y viserai une victoire d’étape, absolument pas le classement général. J’irai peut-êre au Championnat du Monde ensuite pour certainement finir ma saison au Tour de Lombardie.

10ème du Tour 2012, 3ème du Tour 2014, la prochaine étape est-elle de gagner ?
Oui, c’est de gagner, mais il ne faut pas se voiler la face : je suis encore loin du niveau nécessaire pour gagner le Tour de France. Je termine à 8’24 » de Vincenzo Nibali, il y a encore un gouffre. Il y a deux ans, j’avais terminé à 17’17 » de Bradley Wiggins. Certes, j’ai divisé mon retard sur le vainqueur par deux, mais ça prend du temps. J’ai fait des progrès dans le contre-la-montre, je dois encore en faire. Dans mon placement notamment. Ça viendra petit à petit mais pour l’instant j’entends déjà confirmer l’an prochain, en étant acteur comme je l’ai été cette année.

Il faut garder à l’esprit que l’adversité sera sans doute plus coriace l’an prochain avec Contador, Froome, Quintana… Ne craignez-vous pas qu’on attende trop de vous ?
Il est certain que ce sera difficile de faire aussi bien l’an prochain, mais je vais aussi progresser d’ici là. Je vais disputer la Vuelta en septembre, ça va me faire deux Grands Tours dans les jambes, ce qui va me faire prendre encore de la caisse. On l’a vu cette année : il peut y avoir des chutes, des faits de course, des maladies… Un Tour de France, ce n’est pas écrit d’avance. Ce n’est pas parce que Froome, Contador et Nibali étaient au départ que le podium leur était acquis. Rien n’est écrit.

Vous étiez il y a deux ans la révélation du Tour de France, vous serez tout à l’heure sur le podium des Champs-Elysées. En quoi êtes-vous devenu quelqu’un de différent entre ces deux périodes ?
Je suis juste plus serein et plus détendu par rapport à tout ça. J’ai bien conscience que ce n’est que du vélo. L’année dernière je m’étais vraiment pris la tête avec le Tour de France. Cette année, je voulais vraiment être serein au départ. Le Tour, ce n’est que trois semaines dans une année. Je me sens aujourd’hui plus tranquille avec cette idée. Et c’est ce qui fait ma force désormais.

Propos recueillis à Périgueux le 26 juillet 2014.