Il fallait oser mettre le Mur de Grammont au rebut, amputer de son haut-lieu un monument comme le Tour des Flandres. Le pari était risqué, culoté, un peu inconscient. Ce n’était pourtant pas un poisson d’avril en avance. Ce premier dimanche d’avril, le Ronde a bel et bien changé de formule. Un nouveau tracé, trois circuits marquants autour d’Audenaarde, et une réelle incertitude quant au déroulement d’une épreuve à la fois empreinte de sa magie traditionnelle et paradoxalement complètement inconnue de tous. On disait le parcours plus dur, c’est d’ailleurs en ce sens qu’il avait été songé par ses concepteurs, mais il fallait attendre de voir les principaux concernés en découdre avec les 256,9 kilomètres pour savoir si le plus fort l’emporterait réellement. Et le plus fort, dans une classique flandrienne, coïncide souvent aussi avec le plus chanceux.

Les monts, au nombre de douze désormais (seize ascensions au total avec les triples montées du Vieux Quarémont et du Paterberg), les secteurs pavés, les routes étroites et sinueuses, les pièges de la chaussée, tous ces ingrédients extérieurs au peloton sont de nature à peser sur le scénario d’une classique comme le Tour des Flandres. La nervosité ambiante au cœur de la course, c’est une autre affaire. Elle va compliquer la tâche de l’un des plus grands favoris. A 60 kilomètres de l’arrivée, alors que le peloton s’éveille tout doucement, Fabian Cancellara (RadioShack-Nissan) se couche au sol. Tombé dans la dernière zone de ravitaillement, le champion suisse voit ses illusions s’envoler ici. La chute dont il est victime, seul au sein du peloton, lui coûte une triple fracture de la clavicule et réduit à néant les espoirs d’un duel entre le champion helvétique et l’autre grand favori du jour, le Belge Tom Boonen (Omega Pharma-Quick Step).

Avant même l’entrée en scène des candidats à la victoire, la malchance qui aura trop accompagné Fabian Cancellara ces jours derniers précipite le Ronde dans une autre dimension. A cet instant de la course, quinze garçons échappés de bonne heure ouvrent encore la route, ce qu’ils feront jusqu’à l’entame de la dernière heure. Notez leur nom : Andreas Schillinger et Daniel Schorn (Team NetApp), Manuel Belletti (Ag2r La Mondiale), Peio Bilbao (Euskaltel-Euskadi), David Boucher (FDJ-Big Mat), Gert Dockx (Lotto-Belisol), Tyler Farrar (Garmin-Barracuda), Massimo Graziato (Lampre-ISD), Vladimir Isaychev (Team Katusha), Pablo Lastras (Movistar Team), Anders Lund (Team Saxo Bank), Baptiste Planckaert (Landbouwkrediet-Euphony), Maarten Tjallingii (Rabobank), Sven Vandousselaere (Topsport Vlaanderen) et Tom Veelers (Argos-Shimano).

Le dernier enchaînement du Vieux Quarémont et du Paterberg tient son rang.

Les échappés matinaux sur le point d’être revus, Fabian Cancellara déjà hors course, ce sont de nouvelles stratégies qui entrent en jeu. Le premier enchaînement du Vieux Quaremont et du Paterberg, puis la montée du Koppenberg, n’ont finalement pas donné lieu à la bagarre attendue. Il faudra attendre le deuxième franchissement du Vieux Quarémont pour voir les Omega-Quick Step, précipités au rang de favoris, mettre en place une tactique infaillible. On court clairement pour Tom Boonen aujourd’hui. Et les diverses accélérations portées par Sylvain Chavanel puis Niki Terpstra n’ont pour but que d’éclaircir les rangs d’un peloton encore trop compact. L’effort des deux équipiers de Boonen associé à une série de chutes finit par payer. Les plus costauds se dégagent à la faveur de la deuxième montée du Paterberg à 34 kilomètres de l’arrivée. Il ne reste alors plus que onze hommes en tête dont le trio Boonen, Chavanel, Terpstra.

Dans la roue des Omega Pharma, on ne compte plus que des individualités : Alessandro Ballan (BCM Racing Team), Juan-Antonio Flecha (Team Sky), Maxim Iglinskyi (Astana), Vincent Jérôme (Team Europcar), Luca Paolini (Team Katusha), Filippo Pozzato (Farnese Vini-Selle Italia), Peter Sagan (Liquigas-Cannondale) et Sep Vanmarcke (Garmin-Barracuda). Des onze de tête, Vincent Jérôme était sans doute le moins attendu devant à cet instant de la course. Le Mayennais va faire encore mieux que cela puisqu’il s’extrait du groupe à 28 kilomètres de l’arrivée, parvient à prendre 20 secondes avant d’être pris en chasse par Chavanel et Terpstra. Il est finalement rejoint au pied de la dernière escalade du Vieux Quarémont, au moment où le peloton revient de l’arrière pour donner lieu à un regroupement général d’une cinquantaine de concurrents !

Plus sélectif, ce parcours ? Pas si sûr. Néanmoins, le dernier enchaînement du Vieux Quarémont et du Paterberg va tenir son rang et trois coureurs vont éviter au Ronde de se conclure au sprint massif. On doit l’accélération décisive à Alessandro Ballan, rapidement pris en chasse par Filippo Pozzato et… Tom Boonen. Cette fois, le Belge passe à l’action. Resté discret mais présent dans les roues de ses coéquipiers, le Flamand entre en scène. Le bon coup vient de se dégager. Sur la route d’Audenarde, les trois de tête augmentent leur avance mais ni Pozzato ni Ballan ne parviendront à surprendre Boonen, et c’est au sprint que se termine l’épreuve. Comme un poisson dans l’eau, Tom Boonen s’en va conquérir sur un tapis rouge son troisième succès au Tour des Flandres, un co-record. Il signe en outre le triplé après avoir conquis le GP E3 et Gand-Wevelgem. Il sait maintenant ce qu’il lui reste à faire dimanche prochain à Roubaix.

Classement :

1. Tom Boonen (BEL, Omega Pharma-Quick Step) les 256,9 km en 6h04’33 » (42,3 km/h)
2. Filippo Pozzato (ITA, Farnese Vini-Selle Italia) m.t.
3. Alessandro Ballan (ITA, BMC Racing Team) à 1 sec.
4. Greg Van Avermaet (BEL, BMC Racing Team) à 38 sec.
5. Peter Sagan (SVQ, Liquigas-Cannondale) m.t.
6. Niki Terpstra (PBS, Omega Pharma-Quick Step) m.t.
7. Luca Paolini (ITA, Team Katusha) m.t.
8. Thomas Voeckler (FRA, Team Europcar) m.t.
9. Matti Breschel (DAN, Rabobank) m.t.
10. Sylvain Chavanel (FRA, Omega Pharma-Quick Step) m.t.