Cette année, la Grande Boucle revient dans des régions plus occidentales : la Bretagne, terre de cyclisme s’il en est, et l’Aquitaine.

Cela vaut à cette édition de présenter un dénivelé total de moins de 50000 m, inférieur de 11 à 12% à celui de l’édition précédente, et à celui de l’édition 2019 qui en cumulait 54100. Ce millésime 2021 du Tour est donc moins escarpé que ses 2 précédents, avec au programme 8 étapes estampillées « de plat », celles de Pontivy, Fougères, Châteauroux, Valence, Nîmes, Carcassonne, Libourne, et bien sûr Paris, autant d’arrivées qui ont fait et feront la part belle aux purs sprinteurs.

Cela n’a pas échappé aux équipes engagées, bon nombre de sprinteurs de premier plan s’étant présentés au départ de Brest, alors que même les équipes de baroudeurs ayant le leur. Seules celles visant la victoire ou le podium au classement général (Ineos, UAE, Movistar, EF…) se passant d’un grand sprinteur dans leur effectif.

Avec un tel plateau au départ, le scénario de course pour ces 8 étapes « plates » est tout autant prévisible que verrouillé : échappées publicitaires – composées généralement pour bonne part de coureurs des équipes continentales invitées – reprises à proximité de la ligne avant la mise en place des trains des équipes pour une arrivée en sprint massif…  L’étape de Pontivy n’a ainsi pas dérogé à la règle avec Brent Van Moer repris à 200 m de la ligne, même s’il est possible de dire que le peloton a joué avec le feu… Ca aurait pu « ne pas passer » sur ce coup-là.

Ennui garanti, diront les mauvaises langues, et ceux qui sont aussi aficionados de ballon rond qualifieront ces étapes de « purges », pour reprendre un terme utilisé dans le football pour qualifier les matches de faible qualité et de peu de spectacle. On constate d’ailleurs que les organisateurs programment toujours ces étapes en semaine, dans les jours ouvrés, lorsque l’audience potentielle est moindre que les week-ends ou le 14 juillet, jours réservés aux étapes de montagne.

La 3ème étape arrivant à Pontivy l’avait montré également, ces « étapes de l’ennui » ont de plus en plus tendance à devenir également des « étapes à chutes et accidents ». L’émotion et la crainte du pire n’était pas feinte chez les observateurs devant le déroulé du final de cette étape-là, tout simplement qualifié de « carnage », le public exprimant lui aussi via les réseaux sociaux sa désapprobation de ce type de spectacle.

Pour résumer et même si la victoire de Mark Cavendish a fait plaisir à beaucoup de fans et même d’adversaires du « Cav », les étapes « pour sprinteurs » semblent ne pouvoir échapper pour leur scénario à une funeste alternative entre ennui et chutes. Ainsi, une question simple se pose : faut-il continuer à les programmer, ou tout au moins dans un nombre aussi important ?

Le train des équipes pour sprinteurs ne rend pas la course bien passionnanteLe train des équipes pour sprinteurs ne rend pas la course bien passionnante | © ASO – Charly Lopez

 

Non

Même en étant fan de vélo, il apparait clairement que le faible spectacle télévisuel, chutes et accidents mis à part, proposé sur les étapes pour sprinters dessert le cyclisme. Le sort des échappées publicitaires étant très souvent scellé avant même leur formation, les uniques interrogations à leur propos étant de savoir à quelle distance de la ligne elles seront reprises – donc parfois seulement 200 m – et qui parmi elles obtiendra le prix de la combativité, la « glorieuse incertitude du sport », ce piment essentiel de tout sport bankable, est totalement absente de ces étapes-là,

Mais le danger qui émerge de ces étapes, de par la nervosité qui anime le peloton à l’approche des arrivées, est un mal bien pire que l’ennui. Et ces chutes, souvent graves ou très graves en elles-mêmes et outre le tort qu’elles font à l’image du cyclisme, nuisent considérablement à l’intérêt de la compétition en mettant injustement à terre des coureurs importants pour l’épreuve.  Etait ce une bonne affaire, pour l’intérêt du dernier Giro, de perdre des coureurs comme Mikel Landa, Pavel Sivakov ou Joe Dombrovski, vainqueur la veille, dès la 5ème étape, à l’arrivée à Catolica ? Est-ce une bonne chose pour l’intérêt du Tour de France de voir des coureurs comme Geraint Thomas, Jack Haig, Caleb Ewan, Marc Hirschi ou Steven Kruijswijk éliminés ou diminués dès le 3ème jour ? Assurément non. Et plus généralement, n’avoir comme événements notables que des chutes, blessures ou abandons accidentels de favoris n’est pas une très bonne chose pour un sport, quel qu’il soit.

Par ailleurs, il est évident que les coureurs eux-mêmes commencent à trouver saumâtre le goût d’ennui teinté de danger qui caractérise ces étapes-là. A tel point que pour peu que les conditions météo ne soient pas bonnes, ils décident d’eux-mêmes de ne pas les disputer ou au moins de les raccourcir, comme lors de l’insipide traversée de la Plaine du Pô qui leur avait été proposée lors de la 19ème étape du Giro 2020, qui devait arriver à Asti, ou de mettre pied à terre, ne serait-ce que temporairement, pour marquer leur désapprobation des risques excessifs auxquels ce genre d’étapes les confronte.

Enfin, la profusion de ce genre d’étape, surtout en début d’épreuve, comme ce fut souvent le cas sur le Tour jusqu’assez récemment, a eu comme effet d’inciter de grands sprinters à ne venir sur le Tour que pour ces étapes-là, programmant leur abandon dès l’abord des massifs montagneux. Le grand Mario Cipollini, certainement l’un des premiers adeptes de ce genre de pratique, a fait des émules dans une habitude qui n’a pas totalement disparu, et dont on ne peut dire qu’elle marque un immense respect pour l’épreuve : un Grand Tour, c’est bien davantage une course de 21 étapes qu’une succession de 21 courses d’un jour.

Passage du Tour de France 2021 en BelgiquePassage du Tour de France 2021 en Belgique | © ASO / Ashley Gruber – Jered Gruber


Alors que faire pour tenter de varier les déroulés tristement prévisibles de ces étapes de plat ? La solution la plus simple serait de mettre davantage de difficultés sur le parcours, pour éviter de voir 150 coureurs débouler en même temps et pleine balle sur la ligne d’arrivée. Si l’on s’est réjoui lors du dernier Giro de voir tant d’échappées « aller au bout », c’est bien parce que le parcours était accidenté, comme dans les étapes arrivant à Canale, à Sestola, à la Guardia Sanframondi ou encore à Stradella… Et au sommet du Mur de Bretagne, le risque d’assister à une chute collective dans le peloton était plutôt faible.

Et sauf à se terminer sur des murs, des parcours un peu plus vallonnés, y compris sur les portions finales, n’élimineraient pas systématiquement les chances de victoire des sprinters : sur Milan San Remo, des coureurs comme Arnaud Démare, Caleb Ewan, Peter Sagan, et d’autres ont largement montré qu’ils étaient parfaitement capables de passer la Cipressa et le Poggio en compagnie des meilleurs.

D ‘autres solutions, plus complexes, seraient envisageables, comme par exemple prendre les temps de chronométrage beaucoup plus en amont de la ligne et laisser les sprinteurs et leur pilote s’expliquer sur le final. Il sera certainement intéressant d’entendre les diverses suggestions que les commentateurs et observateurs patentés ne manqueront pas de faire à ce sujet.

 

Oui

A l’inverse, et bien que l’émotion suscitée par les chutes de Pontivy soit encore vive, les arguments du maintien de 7 ou 8 étapes de plat sur le Tour de France méritent d’être entendus :

– Le Tour de France, c’est aussi, et depuis toujours, le « Tour de la France », et pas le « Tour de la France du sud de la Loire », ni celui de « l‘Est et Sud de la France » comme certains ont qualifié les deux dernières éditions.  Et toute la France est terre de cyclisme, la Bretagne on l’a déjà dit, le Nord bien évidemment, mais aussi la Touraine et les Landes, (terre d’André Darrigade, qui n’est pas le français le moins important dans l’histoire du Tour). Et quand une région est plate, il n’y a rien à faire, elle est plate…

– Il ne faut pas oublier que ce sont les régions qui font vivre et financent en grande partie de Tour de France. En exclure certaines au motif qu’il n’y a pas assez de relief sur leurs terres serait une erreur tant stratégique qu’économique pour les organisateurs de Grands Tours et pour le cyclisme en général.

La Bretagne offre beaux paysages et possibilité de parcours escarpésLa Bretagne offre beaux paysages et possibilité de parcours escarpés | © ASO – Pauline Ballet

 

– Que dire de la rencontre et du contact avec le public ? Combien d’enfants ont vu leur passion ou même leur vocation pour le cyclisme naitre au passage du Tour de France devant leurs yeux émerveillés ? Devrait-on priver les jeunes et le public d’aujourd’hui de cette joie au motif qu’ils habitent des régions trop plates ?

– Du point de vue sportif, même si certains des meilleurs sprinters ont démontré leur capacité à franchir des bosses avant de se présenter pour la gagne, certains, et non des moindres, aux gabarits plus imposants sont moins capables de le faire, et ils n’en sont pas moins de purs talents qu’une épreuve comme le Tour de France ne saurait exclure, car le sprint « pur » a toujours fait partie du cyclisme sur route. Si les 31 victoires d’étapes de Mark Cavendish sur le Tour n’ont pas la même dimension épique que les 34 d’Eddy Merckx ou les 28 de Bernard Hinault, il s’agit quand même de 31 victoires d’étapes dont la dernière, toute fraîche, résonne comme une rédemption ! Et voir si l’homme de l’Ile de Man sera en mesure d’augmenter plus encore ce nombre est certainement l’un des attraits de cette édition 2021 !

– Enfin, les adeptes de la géographie doivent se rappeler que dans les régions de plaine on est rarement à l’abri du vent, en France tout au moins. Et qui dit vent, dit course de bordures, ce qui n’est pas sans intérêt. Pour preuve les premières étapes des Paris-Nice, qui malgré la platitude de la Beauce, du Bassin parisien et de l’Orléanais s’avèrent souvent intéressantes à suivre.

 

Nul doute que le déroulé de cette édition 2021 apportera certainement de l’eau aux moulins situés des deux côtés de cette question. Espérons de belles courses et de beaux vainqueurs, sur les étapes de plat comme sur les autres, sans avoir à déplores d’autres chutes graves.

 

Par Olivier Dulaurent et Adrien Sarrault