A Egan Bernal le leadership sur le Giro, à Tao Geoghegan Hart celui sur la Vuelta et enfin, à Geraint Thomas le rôle encombrant d’être leader sur la plus importante course cycliste du monde : le Tour.

Le Gallois rêve de victoire après avoir remporté l’édition 2018 sans discussion. Mais 3 ans de plus à ce niveau-là, c’est presque une éternité surtout quand l’athlète en question vient d’atteindre les 35 ans. S’il venait à s’imposer, il deviendrait le 2ème cycliste le plus âgé à empocher la Grande Boucle, après le Belge Firmin Lambot en 1922 à l’âge de 36 ans. Et si cette statistique est si rare, c’est bien qu’il existe une raison physique, plus « stricte » que le fait de gagner une course d’un jour, comme l’ont montré par le passé des coureurs comme Gilbert Duclos Lassalle, Sean Kelly et encore aujourd’hui Alejandro Valverde, vainqueur récent – et à la pédale devant quelques-uns des meilleurs coureurs du monde – d’une étape sur le Dauphiné Libéré et toujours l’un des meilleurs puncheurs comme en atteste sa campagne des Classiques Ardennaises.

Ainsi, le pari de l’encadrement de l’équipe Ineos Grenadiers n’est-il pas risqué lorsque la tendance actuelle sur les Grands Tours accentue le fait que les jeunes coureurs jouent les 1ers rôles ? Pour autant et connaissant les enjeux financiers en question, nul doute qu’Ineos a cherché à assurer ses arrières en soumettant le coureur Gallois à une batterie de tests physiques, aidés des fameux watts, afin de savoir si le pari était encore jouable.

Mais avec la jeune génération qui pousse derrière et une concurrence potentielle au sein même de l’équipe, peut-on imaginer que l’encadrement de l’équipe britannique va tout organiser autour de Geraint Thomas, c’est-à-dire en demandant aux Richie Porte, Richard Carapaz et autres Tao Geoghegan Hart de se sacrifier, alors que les 3 coureurs en question sont en pleine forme ?

 

Geraint Thomas, en grande forme sur le Tour de RomandieGeraint Thomas, en grande forme sur le Tour de Romandie | © Ineos Grenadiers

 

Oui

Même si les récents exemples d’Egan Bernal ou mieux, de Tadej Pogacar, tendent à prouver le contraire, courir le Tour de France pour le général est par définition une épreuve de longue haleine réclamant expérience et gestion du stress. Même Richie Porte a avoué durant le Dauphiné Libéré qu’avoir couru 5 saisons en tant que leader lui a coûté énormément d’énergie sur le vélo et en dehors afin de répondre aux sollicitations des médias. Il a même ajouté qu’il s’agissait là de l’une des raisons de son transfert chez Ineos en tant qu’équipier et qu’il était finalement heureux aujourd’hui dans ce rôle, celui de l’arrière-plan, et ravi d’aborder le Tour de France 2021 en tant que lieutenant et non leader. A l’inverse, cette caractéristique liée au stress et aux sollicitations des médias ne semble pas affecter Geraint Thomas dont l’ambition reste intacte et la motivation hors normes.

En témoigne l’excellent niveau auquel il se maintient aujourd’hui, sur le Tour de Romandie dont il est sorti vainqueur, et donc dans les temps de son Dauphiné Libéré 2018 quelques jours avant de triompher sur le Tour.

Thomas sait se préparer « à la méthode Sky » avec des stages d’entrainement très exigeants comme en Mai au Teide où il a roulé quasiment tous les jours 6h, afin d’acquérir le coup de pédale de la montagne et l’endurance nécessaire – lui qui n’est pas un grimpeur né – tout comme le poids de forme, dernier « obstacle » pour aller chercher les dernières unités du fameux rapport poids/puissance.

Par ailleurs, cette année il n’a pas eu de préparation perturbée par la maladie ou les chutes importantes même si la malchance, comme souvent l’a mis à terre en Romandie ou sur le Dauphiné avec ces 2 chutes heureusement sans gravité.

Également et comme l’a encore rappelé son encadrement à l’issue du Dauphiné, le Gallois bénéficie du soutien de son équipe, qui n’avait pas hésité l’an dernier à écarter l’emblématique Chris Froome de la sélection du Tour de France.

A propos de l’équipe justement, avec de tels équipiers en montagne, et pour le moment en face d’une équipe Jumbo Visma qui ne semble pas au niveau de 2020 et d’un Team UAE à qui l’on va probablement demander d’avoir plus de responsabilités, Ineos Grenadiers est peut-être la meilleure équipe jamais vue sur le Tour avec, « pour faire le boulot en montagne », le vainqueur du Giro en septembre 2020, le vainqueur du Dauphiné 2021, l’homme en forme du Tour de Suisse 2021 (qui s’achève dimanche), sans compter les lieutenants qui vont certainement répondre présents tels que Dylan Van Baarle ou Michal Kwiatkowski.

 

Richard Carapaz en jaune sur le Tour de SuisseRichard Carapaz en jaune sur le Tour de Suisse | © Ineos Grenadiers

 

Non

Le plus vieux vainqueur sur le Tour depuis 1922, à une époque où la concurrence est nettement plus rude qu’à l’époque, est-ce réellement envisageable ?

Il est possible de penser que sur la 1ère étape de montagne, si l’un des 3 lieutenants de luxe est mieux physiquement (tout comme au Dauphiné Libéré avec Richie Porte), les rôles s’inversent tout d’un coup.

Et pour le moment, c’est Richie Porte qui s’est montré le plus fort sur la dernière sortie. Comme le bon vin, l’Australien semble se bonifier avec l’âge puisqu’il a obtenu son meilleur résultat sur le Tour à 35 ans et qu’avec un printemps de plus au compteur, ses performances sont toujours tout en haut de l’affiche. Il s’agit d’un coureur naturellement plus léger que Thomas qui a dû contraindre son organisme avec une perte de poids importante pour lui faciliter la tâche en montagne mais, encore une fois à cet âge-là les efforts finissent par fatiguer excessivement l’organisme.

Toujours au registre de l’âge et de l’explosivité (dont Geraint Thomas n’est pas vraiment pourvu face aux meilleurs), il est possible d’imaginer qu’un coureur comme Tadej Pogacar ou encore Primoz Roglic vont davantage jouer sur des attaques plutôt que d’user au train Geraint Thomas qui serait ravi d’une telle tactique, en continuant de mettre en avant la fameuse tactique du rouleau compresseur si chère à l’équipe « Sky-Ineos » ou à Jumbo Visma cru 2020.

Sur les attaques tranchantes de Pogacar, nous imaginons davantage Tao Geoghegan Hart ou Richard Carapaz sauter dans sa roue que Geraint Thomas, même si le staff de l’équipe a précisé qu’en grande forme, le coureur Gallois n’avait rien à envier au Slovène. Pour brouiller les pistes, Ineos Grenadiers peut très bien envisager la 1ère étape de montagne comme un test « pour voir » et mettre les 4 coureurs dont il est question sur un pied d’égalité et ajuster en fonction de ces jambes de chacun. Et Geraint Thomas a intérêt à se montrer d’entrée à la hauteur de la tâche s’il veut conserver la confiance de l’équipe.

 

Par Olivier Dulaurent