La polémique est née par la voix de Frédéric Grappe. Le Français, directeur de la performance de l’équipe FDJ, n’est pas avare de mots lorsqu’il s’agit de discuter innovation. Cette fois, c’est surpris par un ajout découvert samedi sur le maillot de contre-la-montre d’au moins quatre des coureurs de l’équipe Sky qu’il s’est exprimé. Alors que l’équipe britannique venait de placer quatre de ses garçons dans les huit premiers et réaliser ainsi l’entrée en matière parfaite sur la Grande Boucle, ce sont deux bandes inhabituelles mais d’apparence anodine qui ont amené la FDJ et BMC à sortir de leur réserve et saisir le jury des commissaires.

Le gros mot est rapidement sorti : Vortex. Il s’agit là d’une technologie, des bandes de petites billes d’air, qui aurait pour but d’améliorer l’aérodynamisme et par voie de conséquence la puissance du coureur. Dans un document publié samedi soir sur son compte Twitter, Fred Grappe estimait le gain de temps entre 18 et 24 secondes sur les 14 kilomètres du parcours.

Alors que la polémique gonflait, que permet vraiment le règlement en matière d’innovation aérodynamique sur les maillots ?

Le règlement de l’Union Cycliste Internationale, qui s’applique sur le Tour de France, n’est pas dépourvu de principes et d’exemples concernant les éléments autorisés sur les maillots. Le règlement prévoit :

ARTICLE 1.3.033. Tout équipement vestimentaire susceptible d’influencer la performance du coureur est prohibé. Il est notamment interdit de porter des éléments vestimentaires non essentiels pouvant diminuer la résistance de pénétration dans l’air ou à modifier la physionomie du coureur (compression, étirement, soutien).

Une lecture à chaud du règlement appelle à écarter l’utilisation de tout vêtement qui pourrait avoir un effet sur la performance du coureur. Les éléments vestimentaires qui ont pour effet de diminuer la résistance de pénétration dans l’air sont ainsi cités à titre d’exemple parmi les équipements prohibés. Cette première lecture laisse peu de marge de manœuvre au port d’un équipement tel que celui de la Sky.

Le guide de clarification du règlement technique à jour précise sous l’article précité que :

L’équipement vestimentaire ne peut pas être adapté pour le détourner de son usage purement vestimentaire et il est interdit d’y ajouter tout élément ou dispositif non essentiel. Il est entre autre interdit d’introduire des systèmes mécaniques ou électroniques dans l’équipement vestimentaire. Il est interdit de porter des vêtements ou des combinaisons moulantes auxquels ont été ajoutés des éléments non essentiels destinés à améliorer les propriétés aérodynamiques, comme par exemple des ailettes sous les bras ou un prolongement entre le casque et le maillot ou la combinaison. Les vêtements doivent impérativement suivre le contour du corps du cycliste.

Aussi, il paraît plus clair encore que le vêtement doit servir à couvrir le coureur et offrir un espace suffisant aux sponsors. Qu’il ne peut en aucun cas être l’équivalent de ces tenues aérodynamiques propres aux sports extrêmes, par exemple le ski de descente. Ainsi, les matériaux à vocation purement aérodynamiques ne peuvent faire partie de la tenue d’un coureur.

La défense de l’équipe Sky tient-elle ? Très vite, la formation britannique a souhaité étouffer la polémique. Le directeur sportif Nicolas Portal a ainsi tenu à préciser que « tout est légal et l’équipement a bien sûr été validé par les commissaires. Nous n’aurions pas pris le risque de perdre le Tour dès la première étape en trichant. Nous n’avons pas triché (…). Nous n’enfreignons pas le règlement car le Vortex n’est pas ajouté au maillot, il est intégré, ce qui est différent. »

À bien lire l’argument du Français, ce qui ferait la différence entre un matériau légal et un autre illégal serait la façon dont il est intégré à l’équipement du coureur. Nicolas Portal précise que le Vortex n’a pas été ajouté au maillot, qu’il est fondu dans le tissu et qu’il en deviendrait ainsi réglementaire.

Cet argument semble se fonder sur une lecture très approximative et particulièrement raccourcie du guide de clarification du règlement technique. Ce document précise en effet qu’il est interdit d’ajouter tout élément ou dispositif non essentiel, mais cette interdiction n’est qu’un exemple. Résumer les interdictions à cela revient à occulter le principe même de l’article du règlement qui pose une interdiction bien plus générale de « tout équipement vestimentaire susceptible d’influencer la performance du coureur ». Cela, quelle que soit la technique utilisée.

L’absence de certitudes juridiques est difficile à entendre dans le cas présent. Confronté à la demande des équipes FDJ et BMC, le président du jury des commissaires a déclaré qu’il ne disposait pas, sur la base du règlement, de « certitudes juridiques pour interdire cet équipement ». Compte tenu de la lecture que nous venons de faire du règlement et du guide de clarification, cet argument semble difficilement tenable. En cela, la décision du jury des commissaires est bien plus contestable et incompréhensible que celle d’un précédent relativement récent concernant Frank Schleck (voir ci-dessous).

L’argument tiré de l’incertitude juridique tient encore moins lorsque l’on cherche dans le règlement l’intention des rédacteurs. Aussi, une lecture combinée de l’article précité et de l’article 1.3.024 concernant le vélo, permet de mieux comprendre la volonté des rédacteurs du règlement et semble écarter plus encore l’argument du jury des commissaires.

ARTICLE 1.3.024. Tout dispositif ajouté ou fondu dans la masse, destiné à ou ayant comme effet de diminuer la résistance à la pénétration dans l’air ou à accélérer artificiellement la propulsion, tel que écran protecteur, fuselage, carénage ou autres est prohibé.

L’intention des rédacteurs ne semble pas laisser l’ombre d’un doute. L’objectif des deux articles combinés est bien d’interdire l’utilisation de toute technologie ayant pour objectif unique une meilleure pénétration dans l’air, peu importe la façon dont cette technologie est utilisée.

En 2011, Fränk Schleck avait été aperçu sur le court contre-la-montre du Critérium International un Camelback sous le maillot, permettant ainsi au coureur de bénéficier d’une position plus arrondie et donc plus aérodynamique. À l’époque, le règlement était bien moins clair qu’aujourd’hui. L’UCI avait d’ailleurs été forcée d’ajouter des mesures supplémentaires à compter du 1er avril 2012. Aussi, il semble bien difficile de s’appuyer sur le même argument de l’incertitude juridique tant les textes qui règlementent les deux situations diffèrent par leur précision. Le règlement est bien plus précis aujourd’hui au sujet des innovations autorisées.

Que faut-il en conclure ? Le règlement et le guide qui l’accompagnent semblent particulièrement clairs. Si la technologie utilisée par les coureurs de l’équipe Sky a pour but une meilleure pénétration dans l’air, alors elle n’aurait pas dû être autorisée. La balle devrait donc être renvoyée aux experts en physique.

Reste que la décision du jury des commissaires est sans appel et que si le classement général du Tour de France 2017 devait se jouer pour seulement quelques secondes, ces dernières pourraient faire bien plus parler encore que les 8 secondes d’avance de Greg LeMond en 1989. À l’époque, l’Américain l’avait emporté sur un vélo avec un guidon de triathlète insolite alors. Une innovation qui lui permit de rentrer dans l’histoire et que tous utilisent depuis. – Simon Bernard (élève avocat spécialisé dans le domaine du sport).