Alain, quel premier bilan tirez-vous de ce Tour de France pour l’équipe Trek-Segafredo ?
Je pense que jusqu’à vendredi matin, on était très bien. Le bilan aurait été super sans cette chute parce que Bauke Mollema était bien parti pour le podium, même sans conserver sa deuxième place. C’est un petit Quintana qui est sur la troisième marche. Bardet a fait un numéro mais je pense que le podium était accessible. Ça aurait été formidable pour nous. Cette chute a tout mis par terre. Quand tu passes de deuxième à dixième, tu n’y es plus vraiment, et on l’a vu samedi pour Bauke.

Malgré tout, Bauke Mollema a tenté un dernier coup de panache en attaquant au pied du col de Joux Plane…
Oui, il a un tempérament. On l’avait déjà vu à Arcalis où il avait attaqué Froome. S’il a la jambe, c’est un coureur qui attaque sans problème. On ne peut pas dire qu’on a fait un mauvais Tour. Edward Theuns a pris le maillot blanc le premier jour, on a frôlé l’exploit le deuxième jour avec Jasper Stuyven. Ce jour-là, il n’a pas fait d’hypoglycémie mais derrière ils étaient 25 à rouler. Il a buté dans le raidard, mais c’est normal. Il a vraiment montré quelque chose et c’est dommage. Un jeune comme lui, aux commandes du Tour, ça aurait été bien.

Bauke Mollema vous a-t-il enfin donné des assurances sur trois semaines ?
On l’a pris dans cet objectif-là. Ça aurait été intéressant de voir ce que Bauke aurait fait sans sa chute mais c’est un peu de sa faute. Il fait une faute et l’a payée cash. C’est peut-être la seule de son Tour, mais il a fait une erreur en voulant suivre Mikaël Chérel qui connaît ces routes par coeur. C’est quand même la troisième fois qu’il arrive en deuxième position lors de la troisième semaine et qu’il finit 10ème. Mais cette année, il a été plus solide que l’an dernier. L’année dernière, il avait eu des problèmes avant le Tour. Il avait bien fini mais avait perdu trop de temps en première semaine. Je pense que c’est un coureur d’avenir.

Dans la descente de Domancy samedi, pensez-vous que le duo Bardet-Chérel avait un avantage matériel sur vous et les autres ?
On sait que les boyaux Continental Pro Limited sont reconnus pour être bons sous la pluie. Nous avons aussi des boyaux qui ne sont pas mauvais sous la pluie mais c’est aussi la technique qui parle. Ce n’est pas la première fois que Romain Bardet et Mikaël Chérel descendent très bien. Bardet m’avait impressionné l’an dernier dans la descente du col d’Allos sur le Dauphiné. Il avait aussi fait une grande descente du col de la Madeleine sur le Tour. C’est clair qu’il ne fallait pas le suivre.

Comment avez-vous vécu ce Tour de France que beaucoup ont jugé insipide ?
Il faut reconnaître que la 19ème étape a été excitante parce qu’il a plu et que des gars ont attaqué dans une descente. Il faut aussi se rappeler qu’à la sortie des Pyrénées, il y avait dix coureurs en une minute. Je ne pense pas que ça ait été le cas dans le passé. Cela veut dire que le niveau est homogène. On dit que Froome a dominé le Tour mais je ne trouve pas. On dit que son équipe était forte, c’est vrai mais l’équipe d’Hinault était forte elle aussi à l’époque. Lorsque Fignon gagne le Tour en 1984, il a un équipier, Greg LeMond, qui fait 3ème et son équipe gagne dix étapes sur vingt. A l’époque, Hinault gagnait le premier chrono du Tour avec 3 minutes d’avance et la première étape de montagne avec 5 minutes. Le Tour était plié mais personne ne se plaignait. Personne ne disait s’ennuyer. Le problème est qu’on veut retransmettre des étapes entières à la télévision. Mais une course de vélo n’est intéressante que par moments, pas tout le temps. C’est particulièrement vrai sur les Grands Tours contrairement à un Paris-Roubaix qui va être intéressant du départ à l’arrivée. Alors forcément, on s’ennuie devant la télé.

La faiblesse des écarts après les Pyrénées n’est-elle pas due à la nature du parcours, dessiné pour ménager le suspense ?
Le parcours était différent mais je pense quand même que les niveaux se sont resserrés. On n’a plus un coureur qui domine vraiment. Si je suis patron de l’équipe de Froome, j’achète des coureurs à côté pour rouler. C’est une vieille méthode. Indurain avait Jean-François Bernard comme équipier qui pouvait lui-même gagner le Tour. Des exemples comme ça, il y en a partout.

Chez les Bernard, la relève est assurée avec Julien. Le Tour d’Utah et la Vuelta seront-ils à son programme comme il nous l’avait laissé entendre ?
Il fera sans doute les deux. Le Tour de l’Utah est une super préparation pour la Vuelta parce qu’il y a presque deux semaines entre les deux et c’est en plus un entraînement en altitude. Donc je vous confirme que Julien Bernard sera sur la Vuelta.

Si vous deviez réformer le vélo, vous supprimeriez les oreillettes, les capteurs de puissance ou les points UCI ?
Les points UCI. Car le Tour de France est trop gros pour travailler sans oreillette. Ça deviendrait trop dangereux. On n’est plus au Tour d’autrefois, n’en déplaise à certains. Il y a beaucoup plus de monde sur le bord de la route et sur la route. On ne peut plus se permettre de monter à la hauteur du coureur pour lui parler. Autant, je suis pour enlever les oreillettes sur des petites courses mais sur le Tour, ce serait trop dangereux.

Propos recueillis le 24 juillet 2016 à Chantilly.